Amélie Quéguiner publie une nouvelle lettre ouverte à l’attention de Serge Lecomte
“Parce qu’il ne faut pas en parler qu’à mon poney…” Sept mois après la publication d’une première lettre ouverte pour attirer l’attention de Serge Lecomte sur le fléau des violences sexuelles sur mineurs, dont le monde équestre est loin d’être épargné, Amélie Quéguiner, elle-même victime de tels faits, a repris sa plume et publié cet après-midi sur les réseaux sociaux une nouvelle missive qu’elle a envoyée hier au président de la Fédération française d’équitation. L’enseignante et dirigeante des écuries de Liam, à La Roche-Chalais en Dordogne, estime notamment que la FFE ne consacre pas assez d’énergie et de temps à ce problème préoccupant, essentiel et urgent. Voici sa lettre reproduite en intégralité.
“À Monsieur Serge Lecomte, président de la Fédération française d’équitation,
Je sais que vous avez “d’autres chats à fouetter”, minous auxquels se sont ajoutés la Covid-19, les chevaux mutilés, et les sacrosaintes élections. La gestion de votre emploi du temps vous appartient ainsi que l’importance que vous donnez à chaque sujet. Sachez, M. le président, que chacun de vos électeurs, y compris moi, ont aussi tous, tous ces problèmes à gérer, plus le reste qui s’appelle la vie courante. Pour la crise financière que nous subissons depuis le confinement, vous avez été assez prompt et opportuniste, en vue des élections, à réagir et proposer tout un tas de mesures et d’aides dont il faudra surveiller l’application. Bien.
Récemment, pour les attaques que subissent nos chers équidés et les préjudices financiers et moraux de leurs propriétaires, là aussi vous avez fait part d’une relative rapidité d’action, sachant que je vois personnellement passer les premiers cas depuis le début d’année. Il aura fallu attendre que cela devienne tout aussi épidémique que la Covid pour que cela revienne aux oreilles de votre fédération. La cause animale étant elle aussi porteuse de voix, cela a abouti à la déclaration nous informant que la fédération se portera partie civile pour chaque cas porté devant la justice. Bravo, félicitations, bonne initiative. À suivre de près aussi.
Maintenant, comme je vous l’ai écrit en février dernier, le monde sportif, et l’équitation, sont malades, d’un mal nommé pédocriminalité. Ce mal touche vos petits et petites licenciés d’hier et d’aujourd’hui. J’avoue avoir été aveuglée par votre réponse et les actions mises en place à l’époque. De bien belles affiches avec un slogan qui claque. Une cellule d’écoute et de recueil de signalements. Bien, très bien. Des mesures conservatoires envisagées pour tous les signalements. L’espoir était réel.
Votre collaboratrice avec qui j’étais en relation m’assurait que vous étiez un père de famille et que ce genre de comportement était loin de votre vision de la vie. Que vous découvriez en somme que cela pouvait être possible. Que vous étiez, selon ses dires, assez naïf sur ce point et découvriez l’ampleur du problème, mais que vous aviez bien l’intention de vous en occuper. Super, j’y crois, l’espoir est encore là. J’attends, je suis patiente. Les signalements soi-disant affluent, sont transmis malgré la liaison entre vos services, le ministère des Sports et celui de la Justice qui s’invente et se crée. OK, ça prend du temps…
Et puis patatras, voici l’affaire Caudal, dont on m’avait à plusieurs reprises fait part bien avant ma première lettre. Comme pour m’alerter sur votre crédibilité. Ne pouvant prendre la parole sur une affaire qui ne me concerne pas et non publique, j’ai gardé cela dans un coin de ma tête et de mon ordinateur, et j’ai voulu vous croire. La naïve, c’est bien moi! C’est maladif chez moi mais je me soigne. Comment une telle somme de mensonges est-elle possible? Comment pensiez-vous nous faire avaler cette couleuvre? Je découvre que le père de famille naïf, et peu au fait du problème de la pédocriminalité, est en fait l’ami, le patron, le défenseur et le soutien d’un homme condamné par deux fois pour agressions sexuelles sur non seulement vos licenciées, mais également clientes de votre structure personnelle. Et tout ça sans en être au courant. les guignols de l’info se seraient délectés d’une telle actualité et cela déclencherait des éclats de rire malgré la dramatique de l’histoire. «A l’insu de votre plein gré.» Vous comprendrez donc la déception, sinon, la colère qui est la mienne.
Parlons maintenant du silence dans lequel vous et toute votre équipe êtes plongés depuis. Pas l’ombre d’une communication de regret. Pire, on justifie dans vos rangs que M. Caudal avait le droit de travailler comme tout le monde. Je suis d’accord avec le principe : tout le monde a droit à une nouvelle chance de réinsertion. Mais, pour cela, il faut peut-être choisir un emploi limitant les risques de récidive. Visiblement, ça n’a pas eu l’air évident pour vous et vos services de ressources humaines. Ce Monsieur n’a pas eu un poste de chauffeur poids lourd pour aller livrer des marchandises dans les supermarchés, non il a été chauffeur poids lourd pour le stand de la FFE sur le circuit du Grand National et autres événements, là où il n’y a aucune tentation féminine juvénile pour lui. C’est ballot, vous n’y avez pas pensé.
Silence encore aujourd’hui quand on vous demande de donner votre point de vue dans la presse spécialisée, qui traite enfin le problème. Silence quand on vous demande votre projet sur les différentes demandes de mises en conformité de vos statuts, par votre ministère de tutelle. Statuts derrière lesquels vous vous retranchez pour ne pas intervenir dans des cas signalés se passant dans des structures affiliées mais hors de votre domaine de sanction, qui se limiterait à la compétition. Facile, mais pas en adéquation avec le Code du sport. Silence et inaction sur les quinze signalements identifiés par la direction des Sports depuis ce début d’année dans l’équitation. À ce jour, aucune procédure disciplinaire contre les mis en cause. Pourquoi?
D’où ma question M. le président : en quoi une affaire de cheval mutilé motive plus votre fédération à se porter partie civile, qu’une affaire de mineur sexuellement agressé? Le nombre de cas, peut-être? Ce nombre qui risque d’être vertigineux, risquerait-il de ruiner votre service juridique? Avez-vous honte de ce nombre ? Si c’est la honte qui vous gêne, il ne faut pas, M. le Président, vous n’êtes pas la seule fédération aussi affectée. Nous ne sommes tout simplement pas le seul échantillon de notre société à être touché par ce fléau. Par contre, vous avez eu l’occasion de faire partie des pionniers. Des premiers à prendre des mesures radicales et effectives. Raté!
Il est vrai que ce sujet à l’air moins générateur de voix électorales. Car le silence n’est pas, il faut le reconnaître, que fédéral. Il est dramatiquement professionnel. J’en aurais tant de questions à poser à mes collègues sur leur silence et leur léthargie, mais ce courrier ne s’adresse qu’à vous. Libre à ceux qui le liront de se reconnaître et de faire leur propre examen de conscience. Comprendront-ils, eux aussi, qu’il en va de la crédibilité et de la confiance accordée à notre profession? Le message que vous délivrez par votre inaction et vos silences est désastreux: la Fédération française d’équitation préfère fermer les yeux.
Notre fédération aura-t-elle un jour un dirigeant qui osera relever ce défi? Être un modèle. Notre fédération sera-t-elle un jour celle qui vérifie les cartes professionnelles? Le défaut de mise à jour peut permettre de cacher un changement de casier Judiciaire. Avis aux employeurs. Notre fédération sera-t-elle celle qui contrôle qu’une personne sous le coup d’une condamnation ou d’une mesure suspensive provisoire lui interdisant d’enseigner ou d’approcher nos jeunes, n’est pas contrevenante? Pour l’instant, elle ne l’est pas. Notre fédération sera-t-elle celle qui réfléchira sur les pistes pouvant aboutir à des projets de lois visant à ne plus permettre à des condamnés récidivistes, ou non, de graviter dans une structure sous le couvert d’un prête-nom, marital, familial ou autre?
Voyez-vous de qui je veux parler en illustration? M. Caudal est actuellement marié à une personne qui vient d’ouvrir une structure équestre pouvant accueillir des pensions. Dans ma région. Mon esprit est sûrement mal tourné quand il imagine que sa femme, une ancienne juriste de notre fédération, lui sert de prête-nom. Peut-être n’y mettra-t-il jamais les pieds après tout? En tout cas, il lui est aujourd’hui interdit d’intervenir auprès de mineurs. Qui ira contrôler cela? Ah oui, c’est vrai, on m’a dit qu’il n’y enseignerait pas! Je vais peut-être vous apprendre quelque chose : il n’y a pas que les enseignants qui agressent et violent les jeunes. Cela peut être un secrétaire, un palefrenier, un bénévole – et ce peut être au féminin. Bref, voilà encore une situation à risque. Mais je vois le mal partout, me direz-vous. Soit, c’est légal et bien ficelé. Toujours est-il qu’il y a ici un vide juridique qu’il faut combler rapidement. Aurez-vous le courage d’y participer?
M. le président, M. Lecomte, j’ai encore l’espoir d’avoir des réponses, et le rêve d’attendre un engagement et des actes de votre part. Je serais si fière que notre fédération soit ce modèle, et participe au changement dont notre société a besoin. Dont les jeunes ont besoin.
Veuillez recevoir, M. le Président, l’expression de mes salutations les meilleures”