Pour Michel Robert, tout a commencé en concours complet avec le surprenant Ut Majeur
Qu'ils collectionnent les honneurs ou multiplient les victoires, chaque champion garde en tête le souvenir d'un cheval qui, à défaut d'avoir marqué leur carrière avec un titre ou les esprits, a joué un rôle dans leur chemin vers le succès. Précédemment, Jean Luc Force avait confié à GRANDPRIX ses souvenirs de Lugarde, un cheval découvert dans un pré de montagne et avec lequel il a fait ses débuts en compétition internationale. Cette semaine, Michel Robert, cavalier de saut d'obstacles multimédaillé que l'on ne présente plus, a accepté de revenir sur son histoire avec Ut Majeur, un cheval de concours complet qui réservait bien des surprises...
Quelle cheval a marqué vos débuts en tant que cavalier?
L’histoire a commencé alors que j’étais apprenti groom dans une écurie du département de l’Ain, à Béligneux, qui comptait environ soixante chevaux. Un jour, l’un des cavaliers de la maison qui devait emmener ses chevaux en concours complet à Avignon a changé ses plans et m’a donc proposé d’y aller à sa place. Parmi ces chevaux, l'un s'appelait Ut Majeur. Alors que je ne l'avais encore jamais monté, j'ai gagné avec lui ce que l’on appelait encore à l’époque les “deuxièmes séries”, des épreuves dans lesquelles on faisait débuter les chevaux. Nous étions en 1969 et le cheval avait alors six ans. À la suite de cela, nous avons participé à trois concours complet en l’espace d’un mois et demi.
Ut Majeur avait été élevé par le propriétaire des écuries où je travaillais à l’époque et était issu d’un père Pur-Sang (Verdi) et une mère demi-sang. Il était grand car il toisait 1,75m, bai brun, pas très doué à l’obstacle mais doté de beaucoup d’action. Il avait un garrot plutôt haut, avec une très grande encolure, mais n’avait pas de force dans les jarrets et un dos très peu musclé. Je le montais pratiquement toujours en suspension tellement son dos était fragile. Il avait tout de même de la classe, ce qui était un avantage pour le test de dressage. Cette année-là, je suis passé de groom à cavalier grâce à lui.
L’année suivante, le propriétaire des écuries est décédé et j’ai donc repris toute l’exploitation avec les soixante chevaux. L’épouse de ce monsieur avait demandé au directeur technique du concours complet de l’époque de venir voir si les deux des chevaux, dont Ut Majeur, pouvaient éventuellement servir pour le haut niveau. Les jugeant trop lourds, il n’a pas été intéressé. J’ai alors continué à les faire travailler, et cette même année, j’ai remporté les championnats de France avec Ut Majeur à Coëtquidan (camp militaire au nord-est de la Bretagne, ndlr), à ma grande surprise.
Jusqu’à quel niveau a-t-il continué d’évoluer?
Une période un peu particulière a suivi les championnats de France. À l’époque, la Fédération avait réquisitionné les chevaux des meilleurs cavaliers français pour les emmener à Fontainebleau et les faire travailler avec un entraîneur et des cavaliers sur place, comme si nous étions incapables de le faire nous-mêmes. Si nous voulions rentrer dans le système, il fallait que l’on donne nos chevaux. Deux des miens, Ut Majeur et un autre nommé Vandale, sont donc partis à Fontainebleau tout un hiver en vue des Jeux olympiques qui allaient se tenir à Munich en 1972. Je m’y suis donc retrouvé deux ans plus tard avec mes deux chevaux qui n’en étaient soi-disant pas capables. Ut Majeur y a été monté par François Fabius et j’ai terminé meilleur français de ces Jeux, à la dix-septième place du classement individuel avec Vandale.
Après ces Jeux olympiques, Ut Majeur a rejoint Thierry Touzaint. Quant à moi, j’ai arrêté le concours complet car je trouvais les conditions de l’époque trop dures pour les chevaux. Les terrains étaient mauvais et les chevaux avaient régulièrement des problèmes physiques, ce qui ne correspondait pas à ma vision des choses. Aujourd’hui, c’est différent. La discipline a évolué, les chevaux et les cavaliers aussi. Les conditions des concours ont également changé, notamment grâce au contrôle anti-dopage. Les distances ont été raccourcies, les terrains sont bien meilleurs et les obstacles moins dangereux. À notre époque, c’était très rustique.
Comment ce cheval qui n'était a priori pas profilé pour le haut niveau s'est-il retrouvé à défendre les couleurs de la France aux Jeux olympiques?
À l’époque, les chevaux qui faisaient du concours complet étaient ceux qui n’avaient pas assez de qualité pour participer à des épreuves de saut d’obstacles. Je pense qu’aujourd’hui, même en complet, il lui aurait été difficile de parvenir au sans-faute à l’obstacle car son style laissait à désirer et il n’était pas non plus très respectueux. En revanche, entre les routiers, le steeple-chase et le cross (les anciennes phases du test de fond en concours complet, ndlr), nous avions trente-trois kilomètres à parcourir au total, alors il fallait des chevaux résistants! À cette époque, je pouvais également faire travailler mes chevaux environ deux à trois heures par jour. Je les montais le matin en dressage, puis travaillais le fond et le saut d’obstacles l’après-midi. Pendant une longue période, je n’ai eu que deux chevaux, ce qui me laissait du temps pour eux. Grâce à cela, j’ai pu les muscler, les préparer et leur prodiguer tous les soins nécessaires jusqu’à ce qu’ils deviennent des athlètes complets. J’étais également le seul à m’occuper d’eux et je faisais tout le travail d’écurie à leurs côtés, du pansage au nourrissage. Je passais plusieurs heures par jour avec eux, ce qui nous a permis de développer une belle complicité. Ce type de période est rare dans une vie de cavalier.
Comment a-t-il impacté votre équitation?
Tout d’abord, l'épreuve du cross implique d’aborder les obstacles à une vitesse d'environ six cent mètres par minute, ce qui est nettement plus rapide que dans un parcours de saut d’obstacles. En plus de cela , il fallait le faire avec des chevaux qui n’était pas forcément d’excellents sauteurs, ce qui nécessitait d’être un peu adroit! Je pense que pour travailler et dérouler des reprises de dressage avec un tel cheval, j’ai dû faire preuve d’un peu de sens et être assez malin. Cette musculature du dos et cette locomotion pour laquelle on travaille en concours complet n’est pas la même qu’en saut d’obstacles. Le concours complet m’a beaucoup appris, autant sur la démarche de rendre un cheval athlète que sur le fonctionnement du cheval à travers le dressage.
Cette période a-t-elle également contribué à forger la vision du sport que vous vous employez à transmettre aujourd’hui?
Absolument. Je suis toujours resté dans le même registre après avoir arrêté le concours complet. Une fois que l’on entreprend cette recherche du confort du cheval, on ne peut que continuer. Aujourd’hui encore, c’est ce qui me passionne.
Qu’est-il devenu?
Nous avons donc vendu le Ut Majeur au propriétaire de Thierry Touzaint, avec qui il a participé à de nombreux concours internationaux. Il a été l’un des meilleurs chevaux français et a fait partie de l’équipe de France pendant quelques années.