Lauren Nicholson, le travail et la passion à l’américaine
Si elle figure aujourd’hui parmi les dix premiers cavaliers de concours complet au classement mondial, rien ne prédestinait Lauren Nicholson, auparavant connue sous son nom de jeune fille, Kieffer, à faire carrière auprès des chevaux. Pressentie pour faire partie de l’équipe qui ira défendre les couleurs américaines lors des Jeux olympiques de Tokyo l’été prochain, l’amazone a su provoquer elle-même son ascension en restant fidèle à ceux qui l’entourent, humains comme chevaux, grâce à une passion inébranlable et une volonté à toute épreuve. Portrait.
Née le 6 juin 1987 dans une commune de l’Est américain du nom de Mount Carmel, à la frontière entre les États de l’Illinois et de l’Indiana, Lauren Nicholson n’est pas issue d’une famille de cavaliers. Son père, Kevin, dirigeait une entreprise dans le secteur pétrolier, tandis que sa mère, Jo, travaillait comme comptable. Attirée très tôt par les chevaux, leur fille passe son enfance à essayer de s’introduire en cachette dans les prés voisins pour tenter de monter les quelques équidés qui s’y trouvent. “Je faisais partie de ces petites filles que les chevaux obsèdent”, avoue la trentenaire en souriant. Pour son sixième anniversaire, ses parents lui offrent ses premières leçons d’équitation dans le poney-club du coin, imaginant que cela l’aiderait peut-être à oublier cette lubie. Manque de chance, à partir de cet événement, sa passion ne fait que grandir. Quelques années plus tard, le père de Lauren, résigné, troque sa superbe moto, un modèle BMW F650, contre un hongre Appaloosa pour offrir son tout premier cheval à sa fille. C’est à l’âge de douze ans que cette dernière franchit un nouveau cap en allant apprendre les bases de la compétition auprès de Susannah Lansdale dans une écurie de concours complet située à une soixantaine de kilomètres de la maison, à Evansville, dans l’Indiana. Quelques mois plus tard, associée à un Pur-sang nommé Cardinal, la jeune fille participe à son premier concours complet, au cours duquel elle chute à plusieurs reprises avant même d’être entrée dans la boîte de départ du parcours de cross. “Le début de ma carrière est loin d’avoir été prometteur!”, s’amuse-t-elle, n’imaginant peut-être pas à l’époque qu’elle participerait à ses premiers championnats continentaux en catégorie Jeunes Cavaliers cinq ans plus tard.
À l’issue de ses années de lycée, la jeune Lauren s’inscrit à l’université, sans grande conviction. Elle n’y mettra jamais les pieds puisque c’est précisément à cette période qu’elle parvient à se faire employer comme apprentie dans le village de The Plains, au nord de la Virginie, dans les luxueuses écuries du couple américain Karen et David O’Connor. Tous deux membres de l’équipe étasunienne sacrée vice-championne olympique à Atlanta en 1996 et médaillée de bronze par équipes à Sydney en 2000, où David s’était également offert la médaille d’or individuelle, les deux complétistes sont considérés comme des monstres du concours complet, et mettent depuis toujours leur expérience au profit des plus jeunes. À cette époque, l’expression “être au bon endroit, au bon moment” prend alors tout son sens pour l’amazone. En effet, ses deux mentors se retirant peu à peu de la compétition à haut niveau, elle récupère plusieurs de leurs chevaux et s’en voit confier quelques-uns par leurs propriétaires, ce qui lui permet de faire ses armes à l’échelon supérieur. “J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir compter sur leur soutien. C’est ce qui m’a permis d’en être là aujourd’hui. Nous travaillons toujours ensemble quotidiennement, et bénéficier de leur regard expert me permet de continuer à évoluer”, reconnaît Lauren.
De sa relation avec le couple O’Connor, Lauren a également gagné la confiance d’une certaine Jacqueline Mars, femme d’affaires américaine. Héritière de la famille fondatrice du groupe agro-alimentaire Mars Incorporated, à l’origine de la fameuse barre chocolatée, et classée trente-unième plus grande fortune mondiale en 2014, cette équestres et gérante d’un élevage familial de chevaux Pur-sang, Jacqueline Mars est propriétaire de plusieurs montures que Lauren a la chance de compter au sein de son piquet. La cavalière admet volontiers l’importance de cette collaboration dans l’accomplissement de sa carrière. “Le fait d’avoir Madame Mars pour propriétaire représente un avantage financier considérable car c’est elle qui me permet d’acheter des chevaux. Elle a tout bonnement fait ma carrière! Mais au-delà de ça, elle est régulièrement présente à l’entraînement et se tient au courant de l’évolution de chaque cheval, en plus de nous accompagner sur les terrains de concours. C’est une vraie connaisseuse!”, explique Lauren.
Ce qui n’empêche pas la cavalière d’admettre qu’il est très souvent difficile pour un cavalier de gagner la confiance d’un propriétaire à un tel niveau, en particulier en tant que femme. “J’ai de la chance car ce constat ne concerne pas mes propriétaires actuels, mais de manière générale, il existe une tendance chez les propriétaires de chevaux à se tourner plus facilement vers des cavaliers masculins. Je pense que cela est dû, en partie, au fait qu’ils n’auront pas à se soucier de voir leur cavalier mettre sa carrière entre parenthèses pour fonder une famille, et accoucher en l’occurrence. C’est ainsi que notre société fonctionne depuis toujours et cela risque malheureusement de prendre du temps avant de changer… Pourtant, dans notre sport, je trouve que les hommes ne se poussent pas autant dans leurs retranchements que les femmes. Ils ont plus confiance en eux et en leurs décisions, et semblent avoir plus de facilité à mener une carrière dans le milieu de l’équitation”, soutient-elle.
LA DÉBROUILLARDISE, MÊME À HAUT NIVEAU
La confiance que son entourage lui voue, Lauren ne la doit pas au hasard. En effet, en plus d’être une cavalière émérite, la jeune femme a tout d’une véritable femme de cheval. Depuis les balbutiements de sa carrière, l’amazone s’applique à ne rien laisser au hasard. Elle s’astreint à réaliser elle-même chacune des tâches qui concerne ses chevaux et à être présente dans toutes les étapes de leur formation. Et elle ne risque pas de déroger à cette philosophie, même aux portes du haut niveau, bien au contraire. “Certains cavaliers aiment accueillir des chevaux déjà prêts à les emmener sur de belles épreuves, et c’est compréhensible. Mais ce que j’aime personnellement, c’est partir de rien pour les emmener le plus loin possible. Pour preuve, la plupart de mes chevaux de tête sont dans mes écuries depuis qu’ils ont trois ou quatre ans maximum.” Parmi les proches de la cavalière, nombreux sont ceux qui croient en ce système, à commencer par sa cavalière maison, Kim Cecere, une jeune Américaine qui évolue également en concours complet jusqu’en CCI 4*-L : “Lauren fait tout toute seule ! Elle prend le temps de monter chaque cheval sans compter ses heures et adapte le travail en fonction des besoins de chacun. Dans les faits, peu d’autres personnes montent ses chevaux et c’est ce qui, je pense, la rend d’autant plus unique à leurs yeux. Je m’inspire beaucoup de sa façon de travailler car elle m’a tout appris, du débourrage des poulains à la compétition à haut niveau.”
Au quotidien, Lauren met également un point d’honneur à ce que ses chevaux puissent vivre au plus près de la nature. “On voit souvent des cavaliers devenir très protecteurs envers leurs chevaux, surtout à haut niveau. Pourtant, je pense qu’il est important qu’ils aient la possibilité de se rouler dans un pré et d’être en contact avec leurs congénères. Nous ne devons pas oublier qu’ils restent des chevaux et nous devons respecter leurs besoins fondamentaux afin de préserver leur santé et leur moral”, explique-t-elle avec une grande sérénité. “Elle peut partir marcher en forêt pendant des heures avec ses chevaux de CCI 5*, et elle adore ça !”, ajoute Kim Cecere. Ancien cavalier olympique suédois et sélectionneur de l’équipe américaine de concours complet depuis 2017, Erik Duvander ne manque pas non plus de vanter les mérites de la compétitrice. “Lauren aime profondément les chevaux. Et ils le lui rendent bien ! Elle a une manière bien à elle de communiquer avec eux. Elle a acquis sa manière de travailler en observant celle de Karen et David O’Connor, qui a fait ses preuves, et ces derniers gardent aujourd’hui encore un œil sur son fonctionnement, alors cela ne peut que marcher. Elle sait aussi très bien s’entourer au quotidien et c’est sans aucun doute ce qui fait la différence. D’un point de vue technique, elle a un réel don pour voir les distances devant les obstacles. Je me souviens encore de la première fois que je l’ai vue avec sa jument Veronica (KWPN, Pacific x Ferro, avec laquelle elle a notamment disputé les Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016, ndlr), il y a quelques années à Lexington, où elle avait effectué un parcours d’une précision remarquable et avec une aisance déconcertante. C’est un talent non négligeable chez un cavalier”, affirme-t-il.
Dès ses débuts, Lauren a pu observer les vertus de sa patience et de sa persévérance aux côtés de sa toute première monture d’envergure. Âgée de quatorze ans à l’époque, elle fait la rencontre d’un certain Snooze Alarm (ANAA, Serazim x Unpredictable, Ps), que tout le monde surnomme “Maggot” (ce qui signifie asticot en anglais), un petit Anglo-Arabe de quatre ans arrivé là pour être vendu comme cheval de concours complet. Lauren tombe rapidement sous le charme. La responsable de l’écurie étant enceinte, elle lui confie la tâche de monter la nouvelle recrue. Maggot est caractériel, parfois compliqué, mais le courant passe assez vite entre les deux, si bien que la jeune cavalière supplie son père de lui en faire cadeau. Plutôt réticent face au tempérament bien trempé du jeune cheval, celui-ci finit par céder. Partie s’installer chez les O’Connor aux côtés de son Anglo-Arabe, Lauren profite des conseils avisés des deux champions, et le couple parvient peu à peu à se distinguer dans des compétitions de plus en plus prestigieuses. “C’était comme dans un conte de fée!”, raconte-telle. “Au début, nous n’avions l’un comme l’autre aucune expérience. Maggot a dû composer avec mon petit niveau et mes erreurs d’adolescente. Nous avons toutefois progressé ensemble jusqu’à pouvoir participer à des compétitions de niveau CCI 5* telles que celle de Lexington, et avons terminé troisièmes, cinquièmes puis deuxièmes du championnat nord-américain trois années de suite. Ce n’est pas quelque chose de courant, surtout avec un premier cheval. C’était une immense fierté d’arriver là avec lui.”
DE LA PROSPÉRITÉ À LA DÉSILLUSION
La période de grâce de Lauren Nicholson débute indéniablement quatre ans plus tard, en 2014, année au cours de laquelle elle s’offre la deuxième place du mythique CCI 5* de Lexington avec une certaine Veronica, une jument KWPN alors âgée de douze ans, à qui la cavalière attribue le crédit d’avoir propulsé sa carrière. “J’ai acquis avec Veronica l’expérience que certains cavaliers mettent toute une vie à obtenir. J’ai plus appris avec elle qu’avec n’importe quel autre cheval”, admet-elle. La paire participe trois fois au CCI 5* de Lexington, deux fois à celui de Badminton, deux fois au CICO 3* d’Aix-la-Chapelle et une fois au CCI 5* de Pau. “Cette jument a marqué un véritable cap dans ma carrière”, se souvient Lauren. En 2015, l’Américaine est sélectionnée pour participer à son tout premier grand championnat Seniors aux Jeux panaméricains de Toronto avec Meadowbrook’s Scarlett (Psa, All In Black x Bliss), où elle participe à glaner l’or par équipes et obtient une septième place individuelle. “Même après avoir participé à plusieurs Coupes des nations, faire partie de cette équipe était quelque chose de fort et cela m’a vraiment donné le goût de continuer ce que je faisais”, rapporte-t-elle.
En août 2016, alors douzième au classement mondial des cavaliers de concours complet, Lauren connaît la retombée du soufflet. Lors des Jeux olympiques de Rio de Janeiro en 2016, les États-Unis récoltent une douzième place et l’amazone se fait éliminer sur le cross à la suite d’une chute avec Veronica. “L’année 2016 a été une période compliquée dans l’ensemble, ponctuée par cet échec lors des JO. Nous étions plus exposés que d’habitude de par nos succès précédents, et le public avait de grandes attentes nous concernant, ce qui a rendu la pression d’autant plus compliquée à gérer. Par la suite, il a été difficile de retrouver la motivation et de reprendre l’entraînement là où nous en étions avant cet événement”, regrette la complétiste.
LA CLÉ DU SUCCÈS : SAVOIR MISER SUR LE BON CHEVAL
Aujourd’hui, Lauren évolue au plus haut niveau avec un demi-frère de son précieux Snooze Alarm, Vermiculus (AA, Serazim x Be My Native, Ps), qui a lui aussi droit à son surnom, “Bug”. Et, petit clin d’œil, Vermiculus signifie “asticot” en latin, en référence au surnom de Snooze Alarm. “Lorsque j’ai mis Snooze Alarm à la retraite, n’ayant pas énormément de moyens et me demandant comment revenir au même niveau, j’ai décidé de m’orienter vers ce que je connaissais et je suis donc allée chercher son frère, qui n’avait que deux ans à l’époque”, relate-t-elle. “Ce fut une excellente décision ! Ils sont très similaires : ils sont intelligents et braves, bien que Bug ait un physique un peu plus avantageux que Maggot. Il est petit et court, mais doté d’une très grande action. De nombreuses personnes me pensaient folle de l’avoir acheté à cause de sa taille, mais il faut savoir parfois se donner les moyens de nos ambitions et travailler dur pour que cela fonctionne.”
Au cours de la sixième année de Vermiculus, Jacqueline Mars en acquiert la propriété. “À l’époque, elle a sûrement cru me faire une faveur !”, s’amuse Lauren. “Il n’était pas commode lorsqu’il était jeune. Il était très effronté et ne voulait pas s’entraîner. J’ai vraiment dû m’adapter à lui pour arriver à quelque chose.” Comme pour Snooze Alarm, personne n’aurait misé une pièce sur le fait que Lauren et Vermiculus parviendraient un jour à prendre le départ des compétitions les plus prestigieuses du monde. Pourtant, à force de travail et de volonté, le couple fait ses preuves et gagne la sympathie du public, ainsi que le respect de leurs confrères. “Vermiculus est un cheval pour le moins atypique mais il a beaucoup de qualités”, affirme Erik Duvander. “Il est loin de ressembler à un cheval de dressage, mais montre tout de même sa bonne volonté dans cette discipline. C’est surtout un excellent sauteur, particulièrement performant en cross. Il peut être très rapide, et si Lauren continue à travailler sur cet aspect, il pourrait devenir redoutable !”
Après une cinquième place au CCI 5* de Lexington en 2018, Lauren et Bug sont appelés pour participer aux Jeux équestres mondiaux de Tryon en individuel la même année. Mais au cours de leur parcours de cross, le bai trébuche à la réception d’un obstacle, provoquant la chute de sa cavalière, qui se retrouve éliminée de la compétition. Une nouvelle déception pour Lauren, qui n’a toutefois pas dit son dernier mot, puisque la paire s’est ensuite classée dans chacune des compétitions internationales auxquelles elle a pris part, y compris dans les CCI 5* de Lexington et de Burghley.
DES RÊVES DE MÉDAILLES
D’ailleurs, l’Américaine ne cache pas ses ambitions olympiques! Doublement motivée par sa défaite à Rio, la jeune femme ose rêver en grand. “Être un jour sacrée championne olympique serait pour moi une consécration absolue et je le souhaite plus que n’importe qui. C’est quelque chose qui est toujours dans un coin de ma tête au quotidien”, admet-t-elle. Avec les Jeux de Tokyo en ligne de mire, Lauren peut compter sur des atouts expérimentés. “Vermiculus commence à avoir du métier, et je peux également compter sur Paramount Importance (exPiloto, DWB, Pasco x Louis), qui a signé quelques belles performances, notamment lors des championnats d’Europe de 2017 avec le Suédois Ludwig Svennerstal. Je pense que le fait de finalement bénéficier d’un an de préparation supplémentaire (à la suite du rapport des Jeux olympiques à 2021 en raison de la pandémie de Covid-19, ndlr) leur sera bénéfique à tous les deux”, affirme-telle. “J’aimerais également aller aux JO de Paris en 2024, d’autant qu’il s’agit de l’une de mes villes préférées au monde. Vermiculus et Paramount devraient être encore disposés à y participer, mais je prépare également quelques chevaux plus jeunes sur lesquels j’espère pouvoir compter à l’avenir.” Des projets qui pourrait bien être amenés à se concrétiser si l’on en croit les propos du sectionneur de l’équipe américaine. “Nous croyons en Lauren, et elle est pour le moment en bonne route pour une sélection… Elle est le genre de cavaliers sur qui on aime pouvoir compter au sein d’une équipe.”
Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX, au mois de septembre.