Thierry Rozier, le redoutable et joyeux luron qui va manquer au haut niveau
Thierry Rozier s’était lancé un pari un peu fou il y a quatre ans en voulant retrouver le plus haut niveau et décrocher le plus beau des métaux aux Jeux olympiques de Tokyo, quatre après son frère Philippe et quarante-quatre ans après son père, Marcel. Hier soir, à regret, le quinquagénaire a annoncé qu’il renonçait à son objectif et qu’il allait s’éloigner du haut niveau. Ayant insufflé un vent frais et joyeux dans cette élite parfois trop corsetée, il manquera à beaucoup.
Il y a quelques mois, alors que GRANDPRIX avait profité du 1er avril pour faire croquer à ses lecteurs un poisson au sujet de la retraite sportive de Thierry Rozier – bien entendu mis dans la confidence – pour se consacrer à une carrière d’influenceur, le principal intéressé avait reçu des flots de messages interloqués. Le numéro un mondial himself avait tenté de le convaincre de changer d’avis, les plus grands médias sportifs nationaux l’avaient sollicité pour obtenir des confidences et les effusions de tristesse avaient été légions. Et il ne s’agissait que d’une blague potache... C’est dire si ce joyeux luron doit être inondé de messages depuis hier soir.
Jamais avare d’un bon mot ou d’une plaisanterie, Thierry Rozier n’avait pas la tête à la boutade hier soir, assis sur son canapé, affublé de ses lunettes noires face à son téléphone. En direct sur Instagram, face à plusieurs centaines de fidèles, le cavalier de cinquante-six ans a annoncé les larmes aux yeux et la gorge serrée qu’il s’apprêtait à ranger ses bottes au placard. Pas question pour autant d’arrêter de “poser ses fesses sur des chevaux” comme il le dit si bien, mais il va s’éloigner des hautes sphères du circuit international. La motivation n’est plus là. Il évoque aussi des raisons personnelles, et surtout, son souhait de ne faire prendre aucun risque à Venezia d’Écaussinnes l’an prochain aux Jeux de Tokyo. Âgée de quinze ans, la belle alezane aurait-elle encore les capacités physiques et mentales pour disputer une telle compétition, reportée d’un an en raison de cette fichue pandémie de Covid-19 ? Pas question de prendre ce risque. L’objectif de Thierry, c’était bien 2020, et une breloque à décrocher en Asie. Le quinqua a ainsi perdu de vue son objectif… Son annonce aurait pu avoir un parfum de fin de fête ratée. Mais il n’en a rien été. Car la fête fut belle ces dernières années.
Quatre ans en arrière, alors qu’il voyait son frère aîné Philippe devenir champion olympique par équipes à Rio de Janeiro, quarante ans après leur père Marcel, Thierry s’est pris à rêver d’un retour au sommet du sport, qu’il avait déjà côtoyé dans les années 80. “La médaille de mon frère m’a donné un bon coup de pied aux fesses !”, disait-il encore dans nos colonnes en 2018. Un troisième Rozier menant la France au sommet de l’Olympe, cela aurait été quelque chose!
Bon vent, mais ne partez pas trop loin
Quatre années après, à l’heure du bilan, Thierry Rozier n’a ni le palmarès le plus clinquant de la sphère équestre, ni une collection de titres à faire pâlir d’envie l’invincible judoka Teddy Riner, l’ancien nageur américain Michael Phelps, ou même le Kaiser allemand Ludger Beerbaum. Pour autant, il a obtenu de magnifiques réussites sportives, bien sûr avec Venezia d’Écaussinnes et Star, récemment cédée à Mike Kawaï. Il a aussi réussi à fédérer une communauté (plus de 46.000 abonnés sur Instagram, tout de même) qu’il amuse presque quotidiennement. Il y a d’abord eu ses entraînements filmés à cheval, puis quelques stories loufoques, avant que celles-ci ne deviennent un véritable rendez-vous. Régulièrement entouré de ses deux compères Nicolas Delmotte et Alexis Deroubaix, avec lesquels il a notamment été du voyage aux Jeux équestres mondiaux de Tryon, en 2018, comme réserviste, Thierry Rozier n’a pas manqué d’amuser ses followers, n’hésitant pas à se moquer avec tendresse des deux gars du Ch’Nord.
“Titi”, comme l’appellent ses intimes, est dans la vie comme à travers l’écran. Enthousiaste, rieur, bienveillant, il doute pourtant de tout. Et particulièrement de lui. Quoi qu’il en soit, il a réussi à insuffler une ambiance de camaraderie partout où il passait, là où le haut niveau semble parfois trop aseptisé. L’équipe de France en a indiscutablement bénéficié. On se souviendra longtemps de cette conférence de presse lunaire suivant la Coupe des nations Longines du CSIO 5* de La Baule. Après un double sans-faute mémorable sur sa grande dame alezane, Thierry avait été pris d’un fou rire incontrôlable, qu’il avait communiqué à ses coéquipiers Pénélope Leprevost, Alexis Deroubaix et Nicolas Delmotte, ainsi qu’à tous les journalistes présents. Et puis franchement, qui d’autre que lui aurait pu faire la révérence au galop face au public baulois après cette fameuse prestation sur la piste du stade François-André?
Pendant quatre ans, Thierry Rozier s’est exprimé avec le même entrain à travers les médias, pour lesquels il est devenu un “formidable client”, et qui l’ont très souvent sollicité. Des interviewes de lui, il y en a plein les tiroirs, et bien plus que certains pilotes d’un rang encore supérieur, qui rechignent, voire refusent de se prêter au jeu… Pour tous les amoureux de ce sport, cette parenthèse enchantée fut follement rafraîchissante. Quel bonheur de voir sur un “nouveau” visage le même enthousiasme que sur celui d’un jeune garçon après une belle performance, doublé des pitreries d’un clown. Quel bonheur de voir, aussi, un cavalier à l’écoute de ses chevaux. Merci pour tout Monsieur Thierry Rozier. Comme cette parenthèse fut vivifiante; comme vous allez nous manquer. Bon vent, mais ne partez pas trop loin. À très vite.