Dans une publication sur les réseaux sociaux, vous défendez que les règlements d’accessibilité aux CSI pourraient être remis à plat en cette période particulière de crise sanitaire et d’accalmie sportive, et notamment que le classement mondial pourrait être scindé en deux : un réservé aux cavaliers professionnels et un autre aux amateurs. D’où vous est venue cette réflexion ?

Je ne prétends absolument pas avoir réponse à tout face aux problèmes auxquels nous faisons face. En constatant certaines choses, je me pose toutefois des questions et je ne suis pas la seule. Cela touche les cavaliers, les éleveurs, les propriétaires et les organisateurs de compétitions. Si presque tout le monde travaille à perte, c’est qu’il y a un problème…

Vous déplorez la difficulté à accéder aux compétitions internationales face aux personnes s’offrant des pay-cards, n’est-ce pas ? 

Je constate que des choses vont mal et que notre filière s’éloigne de l’éthique du sport. Le cheval doit être remis au centre du débat, car sans lui, nous ne sommes rien. On voit de plus en plus d’amateurs pouvant payer pour accéder à des concours internationaux. Il faut d’ailleurs distinguer trois catégories de concours : les nationaux, les CSI 1* et 2*, puis les CSI 3*, 4* et 5*. J’ai l’impression qu’on prend la direction de sports tels que la voile ou la Formule 1 (deux sports ayant pour réputation d’être réservés aux sportifs disposant de sponsors aux moyens financiers considérables, ndlr). Pour moi, les petits ajustements et autres modifications réglementaires ne sont que des rustines alors qu’il faudrait profiter de cette année difficile et étrange en raison de la Covid-19 pour mettre les choses à plat. 

Dans quelle mesure pensez-vous que le cheval est oublié dans le règlement tel qu’il est aujourd’hui ?  

Le cheval est tout d’abord oublié car il y a un problème avec le classement mondial. Il faudrait qu’il y en ait deux : celui qui existe actuellement et celui qui prend en compte les résultats des couples cavalier/cheval (comme celui de dressage, ndlr). À mon sens, ce dernier devrait être mis au même plan que la hiérarchie actuelle, car la prise en compte du cheval dans notre sport est la base. Un cavalier qui a assez de chevaux de Grands Prix et qui peut prendre part au Longines Global Champions Tour tous les week-ends va automatiquement engranger beaucoup plus de points qu’un cavalier ayant un seul cheval de haut niveau. En plus, s’il ne fait pas partie des trente meilleurs mondiaux, il devra payer un droit d’entrée pour concourir et faire ses preuves. C’est compliqué… Aujourd’hui, un cavalier qui est à la porte du haut niveau et qui a un talent incroyable est obligé de vendre son cheval. Regardez par exemple en tennis : le jeune Hugo Gaston, 239^e du classement mondial ATP, a obtenu une invitation de la Fédération française de tennis pour Roland Garros et a failli battre en 5 sets le numéro trois mondial Dominic Thiem après avoir battu Stanislas Wawrinka en seizième de finale. Cela va changer sa carrière. De la même manière, je crois qu’il est primordial de sans cesse renouveler le sport en donnant l’accès aux compétitions au plus grand nombre, afin de ne pas finir en vase clos. 

Je me suis déjà retrouvée dans tous les cas de figure et j’essaie toujours de me mettre à la place des autres, car certains ont la mémoire très courte. Dès lors qu’ils sont en haut de l’affiche, ils oublient tout le reste. Pourtant, il ne faut pas oublier qu’avec les chevaux, la roue tourne très vite.  

“La maltraitance des chevaux débute par l’ignorance”

Vous regrettez donc un manque de méritocratie…

Oui, exactement. Je pense que la priorité serait d’établir un classement officiel pour les amateurs, car je crois que cela ferait plaisir à beaucoup d’entre eux. Sans professionnels à leurs côtés, cela leur permettrait aussi de pouvoir gagner des épreuves. Bien sûr, il faut distinguer deux types d’amateurs : dans les CSI 3*, 4* et 5*, certains amateurs sont très bien entourés, entraînés et ont de très bons chevaux. J’ai encore eu l’exemple de José Maria Larocca récemment, qui est un très bon cavalier ayant une activité professionnelle en parallèle, et qui signe beaucoup de sans-fautes en Grands Prix CSI 4* et 5*. La distinction entre un amateur et un professionnel, c’est qu’à l’inverse de ce dernier, l’amateur ne vit pas de l’équitation. Le problème aujourd’hui, c’est que beaucoup de professionnels n’en vivent plus, alors qu’ils en ont les compétences et l’envie… Je ne critique rien ni personne en particulier, je mets simplement le doigt sur un fait.
Le règlement doit être le même pour tout le monde, c’est primordial. Pourquoi ne pas organiser un CSI Amateur en parallèle des CSI 3*, 4* et 5*, à l’occasion duquel les cavaliers pourraient entraîner leurs clients ? On peut aussi imaginer qu’un professionnel concourant habituellement dans des CSI 4* et 5* n’ait pas le droit de monter un cheval de plus de sept ans dans un Grand Prix CSI 1*, pour que les engagements ne soient pas surchargés. Il pourrait aussi être judicieux d’imposer un pourcentage de cavaliers amateurs que l’on autorise à prendre part à des épreuves de niveau 4* et 5*, dès lors qu’ils ont fait leurs preuves dans leur propre catégorie. Cela pourrait être un palier accessible, mais un minimum est nécessaire. Fixer à deux parcours à moins de huit points dans un CSI 3* ou 4* pour avoir le droit de prendre part aux Jeux olympiques et réduire les équipes à trois cavaliers pour faire de la place aux nations émergentes est sans intérêt si c’est pour qu’ils écrasent tout le parcours. Ce n’est ni bien pour les cavaliers, ni pour les chevaux, ni pour le public. Je comprends bien qu’il faut donner sa place à tout le monde, mais un minimum de compétences est requis pour pouvoir faire sauter un cheval une épreuve à 1,50m. Je ne vois pas qui pourrait me contredire là-dessus. Et par expérience, mes clientes seraient ravies qu’il existe un classement mondial dédié aux amateurs ! Lorsque l’on participe à une compétition d’athlétisme, il faut au préalable avoir obtenu un certain chronomètre au 100m par exemple. L’équitation est le seul sport qui mélange tout le monde et qui permet de prendre part à un Grand Prix CSI 5* si l’on a payé un bon cheval et un droit de participation au dit concours. En parlant des Jeux olympiques, il est primordial qu’une structure pérenne et prestigieuse puisse être construite ou améliorée pour Paris 2024, plutôt que de compter sur un site éphémère comme celui de Versailles. Cela pourrait profiter à toute la filière équestre française, car il ne faut pas confondre dépenses et investissements. 

À côté de cela, on nous tape sur les doigts concernant le bien-être animal en nous interdisant les rênes allemandes, les guêtres postérieures, etc. Il ne faut pas interdire mais plutôt éduquer les gens. La maltraitance des chevaux débute par l’ignorance. Aborder un cheval, ça ne s’improvise pas et “le cheval pour tout le monde” n’est pas une ambition viable. Il y a un animal en jeu. En Formule 1, la moitié des partants sur la grille de départ sont des faire-valoir car leurs sponsors ont payé. On peut dire que Jan Tops s’est inspiré de Bernie Ecclestone (connu pour être le “patron de la F1”, il en a fait un business très rentable en faisant disparaitre l'amateurisme et l'ambiance des débuts, ndlr). Jan tops est d’ailleurs extrêmement fort car il parvient à gagner de l’argent sur deux tableaux : en organisant les concours et en vendant les chevaux qui y participent. Bien sûr, notre sport a besoin de ces gens brillants et de ces hommes d’affaires, et nous sommes bien contents qu’ils organisent des concours et qu’ils fassent venir autant de clients qui disposent de grands moyens financiers, mais il faut revoir le règlement afin qu’il soit le même pour tous les organisateurs. 

Des problèmes d’équité sportive sont présents car le règlement n’est pas le même pour tout le monde, et de facto, la distribution des points permettant de grimper dans le classement mondial n’est pas juste. Dans le fond, c’est le fonctionnement du classement mondial qui pose problème. J’aimerais d’ailleurs que l’on m’explique… Le classement mondial appartient au Club international des cavaliers de saut d’obstacles (IJRC). Dans aucun autre sport la hiérarchie mondiale appartient à un groupe représenté par ses cinquante ou cent meilleurs sportifs. Je fais pourtant partie de ce club, qui fait un travail formidable et qui essaie d’arranger beaucoup de choses. Si on résume : le classement mondial appartient à l’IJRC, la Fédération équestre internationale (FEI) est dirigée par l’ancien bras droit de Jan Tops, et cette dernière est supposée représenter ses cavaliers… Or, la FEI prend des décisions qui vont à l’encontre de ce que souhaitent la majorité des cavaliers. Elle décide sans prendre en compte l’avis de ceux qui font vivre ce sport. 

Dans le texte publié par Stephan Conter (qui dénonçait une fédération “liberticide, dictatoriale, et anti-démocratique, ndlr), il y a des choses avec lesquelles je suis d’accord, mais dans le fond, il prêche pour sa paroisse. Il dit qu’il aimerait avoir les mêmes droits que Jan Tops, mais le problème ne réside pas là. Le problème, c’est que Jan Tops a des droits qui concurrencent directement les circuits officiels de la FEI. Nous sommes bien sûr ravis qu’il y ait des clients fortunés auxquels vendre des chevaux, j’en ai moi-même vendu à la fille de Bill Gates (Jennifer Gates, ndlr) ou à Reed Kessler, et je ne crache pas dans la soupe. Je réclame simplement une équité sportive afin que les professionnels puissent vivre de leur métier et que les gens qui ont du talent et qui travaillent aient leur chance. Si les amateurs veulent prendre part aux mêmes épreuves que les professionnels, il semble logique qu’ils se plient à la loi du sport : la performance. 

“Presque tout le monde est d’accord avec ce que je dis, mais personne n’ose en parler”

Les personnes avec lesquelles vous avez pu en parler sont-elles en ligne avec vous concernant le système du classement amateur distinct du professionnel ? 

Bien sûr, presque tout le monde est d’accord avec ce que je dis, mais personne n’ose en parler, même si l’IJRC tente bien de faire bouger les choses. Je ne suis pas dans le noyau dur des meilleurs cavaliers mondiaux qui prennent part à toutes les réunions et qui décident, mais à chaque fois, j’entends qu’ils ne trouvent pas d’écho et qu’aucun dialogue n’est possible avec la FEI. C’est un sujet tabou, dont les médias n’osent pas tellement parler non plus, mais il ne faut pas oublier que l’on parle simplement d’équitation et que nous ne demandons que des réponses à des questions très simples.

Vous parliez du bien-être animal. Pourquoi dîtes-vous qu’il a été mis de côté ?

L’absence de prise en considération du bien-être animal existe à tous les niveaux : chez des gens qui s’occupent mal de leurs chevaux laissés à l’abandon dans des prés, dans des écuries mal gérées par des gens qui n’y connaissent rien, chez des cavaliers professionnels en manque de moyens et qui doivent absolument signer des parcours sans faute pour que les propriétaires ne leur enlèvent pas les chevaux, l’amateur qui veut à tout prix prendre part à une épreuve à 1,50m et qui écrase son cheval sur la moitié du parcours alors qu’il n’a jamais gagné un Grand Prix à 1,30m… Par ailleurs, beaucoup prennent cela à la légère pour le moment, mais les associations qui défendent la cause animale risquent de nous tomber dessus bientôt. Je crois qu’il faut rééduquer les gens et punir les comportements déviants, plutôt que d’interdire des choses, car cela ne sert à rien. Si on mettait des gens compétents autour d’une table et que l’on ne faisait plus prendre des décisions à des gens qui n’ont aucune idée de la réalité du terrain, la situation serait différente. 

Dans le système actuel, les concours se financent en bonne partie grâce aux droits d’entrées payés par des cavaliers amateurs. Est-il encore possible de faire machine arrière et de déconstruire ce fonctionnement ? 

Le cercle vicieux qui s’apparente à accepter d’empocher de l’argent et de penser à court terme a ses limites. On peut le voir dans n’importe quel domaine. Il suffit de professionnaliser à nouveau notre métier. Le mélange des genres qui s’est fait et les conflits d’intérêts ne sont plus très clairs… Nous avons besoin de tout le monde, mais il faut règlementer pour pouvoir satisfaire la majorité, comme dans le commerce. Je suis une fille de commerçants et on m’a toujours dit qu’une affaire était réussie dès lors que le client et le vendeur sont contents. Dans l’état actuel des choses, ce n’est pas le cas. 

Est-ce quelque chose que vous avez remarqué récemment ou qui existe depuis plus longtemps ? 

Non, c’est le cas depuis longtemps. Je dois dire que j’ai la chance d’avoir des parents joailliers mais aussi cavaliers. Mon père, qui a monté en concours complet, était le propriétaire de Galoubet A, mais aussi d’autres chevaux de saut d’obstacles, de complet et de courses. Ma mère a été championne de France des cavalières et mon grand-père maître de manège au Cadre Noir. J’ai été élevée dans le respect et l’amour des chevaux, dans le goût du travail et de l’effort. Pourtant, j’ai bien conscience d’avoir été privilégiée et que mes parents ont pu m’aider à débuter avec de bons chevaux, mais surtout avec les meilleurs cavaliers français tels que Gilles Bertran de Balanda, Hervé Godignon, Hubert Bourdy… Désormais, j’en vis, je performe, je vends des chevaux… J’essaie simplement de me mettre à la place de tout le monde. 

Avez-vous l’impression d’être entendue ? 

Absolument pas, car à chaque fois que l’IJRC ou que la Fédération française d’équitation tente quelque chose, il n’y a aucun écho. La FEI est supposée nous représenter, or, lorsque nous posons des questions, nous n’avons pas de réponses. Ceux qui ont le plus d’écho sont les trente ou cinquante meilleurs cavaliers au monde, mais ils n’osent pas tellement dire quoi que ce soit car ils ont accès à tous les concours et ne veulent se fâcher avec personne, donc ils détournent le regard. Je ne juge personne, d’autant que j’ai moi-même fait partie des cent meilleurs mondiaux avec un seul cheval, mais on ne sait jamais ce qui peut arriver… Il suffit qu’un cheval soit boiteux et un autre vendu pour qu’une carrière change du jour au lendemain. Il faut penser aux autres et ne pas seulement se regarder le nombril. 

Avez-vous l’occasion de parler de tout cela avec les cavaliers les mieux classés au monde ? 

Oui, mais c’est compliqué. J’ai parfois assisté à la réunion annuelle de l’IJRC à Genève, et certains se battent et veulent faire entendre leurs voix, mais à la fin, on se retrouve face à un mur. Le seul qui ose vraiment parler de tout cela, c’est Steve Guerdat. Si les fédérations nationales et internationales ainsi que les cavaliers n’arrivent pas à travailler main dans la main, c’est qu’il y a un problème. La FEI prélève de l’argent aux cavaliers, aux organisateurs et à absolument tout le monde, mais ne reverse rien. J’aimerais savoir où va l’argent. Par exemple, la FFE encaisse de l’argent, mais elle le reverse. À plus ou moins bon escient, bien sûr il est toujours possible d’en débattre, mais nous n’avons pas de raisons de nous plaindre. Par rapport à d’autres pays, nous avons une très bonne fédération. N’oublions pas que ceux qui remplissent les caisses, ce sont les clubs. À haut niveau, nous sommes bien contents de pouvoir bénéficier des stages fédéraux encadrés par Henk Nooren ou encore Barnabas Mandi, d’avoir des aides lorsque l’on prend part à des CSIO… Les CSIO sont les plus beaux concours et les Coupes des nations les plus belles épreuves auxquels un cavalier peut prendre part. Le vrai sport se courre sur des grands terrains en sable ou en herbe, mais certainement pas dans des “bacs à sable”. Je trouve déplorable que l’an passé l’élite des cavaliers se soit retrouvée à Berlin pour le Global Champions Tour, sur un terrain mauvais et petit, alors que le même week-end se tenait le CSI 5* de Dinard, sur l’une des plus belles pistes au monde…  

Par ailleurs, il n’y a pas d’autre fédération que la FFE qui verse autant d’aides à ses cavaliers. Tout cet argent vient des clubs et il ne faut pas l’oublier. Je crois que les cavaliers de l’équipe de France devraient d’ailleurs donner des stages gratuits dans des écuries, ou bien même de former les entraineurs. Cela serait un juste retour des choses. Par le biais de la fédération, je voudrais d’ailleurs bien proposer mes services. Je crois que pour espérer recevoir, il faut aussi savoir donner.