Comment les cavaliers d’outre-Manche vivent-ils leur séjour en France à l’heure de la Covid-19?
Malgré la cascade d’annulations d’événements survenues ces derniers mois en France, en raison de la pandémie de Covid-19, certaines compétitions ont tenu bon et permettent au sport de résister en cette période d’incertitude constante. La fin de la saison de concours complet bat son plein dans l’Hexagone où s’enchaînent en trois semaines le CCI 4*-L de Lignières, qui s’est tenu le week-end dernier, le Mondial du Lion-d’Angers qui se déroule actuellement à huis-clos et le prestigieux CCI 5*-L de Pau le week-end prochain. De nombreux cavaliers installés en Grande-Bretagne, nation reine du complet, ont fait le déplacement, encouragés par les efforts des comités organisateurs pour tenter d’assurer à tout prix le maintien de leurs événements. Alexander Bragg, Samantha Lissington et Jesse Campbell ont livré leurs impressions.
En cette fin de saison pour les cavaliers internationaux de concours complet, le sentiment général est au soulagement. Une semaine après le CCI 4*-L de Lignières et alors que le Mondial du Lion-d’Angers bat son plein, les organisateurs semblent en effet avoir réussi leur pari et les cavaliers venus de Grande-Bretagne ne manquent pas de saluer leurs efforts. “Les équipes organisatrices sont parvenus à s’en tenir au plan qu’ils avaient annoncé en termes de restrictions sanitaires. Le port du masque est appliqué sur les terrains et le respect des règles de distanciation sociale y est fortement encouragé. Le CCI de Lignières n’est pas l’événement qui rassemble habituellement le plus de monde, ce qui a sûrement rendu les choses plus simples”, affirme ainsi Alexander Bragg, établi dans le comté du Somerset, au sud-ouest du Royaume-Uni. “Cela a un côté rassurant, à la fois d’un point de vue sanitaire, mais aussi sportif car nous savons tous que si nous ne nous soumettons pas à certaines règles, les gouvernements pourraient très bien décider de nous interdire à nouveau ce type de manifestations, et c’est exactement ce que nous ne voulons pas. Ici, j’ai le sentiment que tout est fait en bonne et due forme, d’une manière à la fois stricte, mais compréhensive.”
Également venue depuis le Royaume-Uni, où elle est installée, pour participer au CCI 4*-L de Lignières avant de prendre la route du Lion d’Angers, la Néo-Zélandaise Samantha Lissington souligne les efforts déployés par les organisateurs pour assurer le maintien de leurs compétitions. “Jusqu’ici, j’ai le sentiment que la situation a été admirablement bien gérée. De mon point de vue, nous aurions plus de chances d’être contaminés par le virus en allant faire nos courses au supermarché plutôt qu’en nous rendant en compétition. Les changements apportés dans la préparation sont flagrants et les mesures prises, telles que le port du masque obligatoire ou les règles de distanciation, n’entachent en rien notre joie de pouvoir continuer à concourir malgré tout. Le fait que le Mondial du Lion se tienne exceptionnellement sans public est également une très bonne chose d’autant que la décision a été prise assez tôt, ce qui nous a donné l’assurance que l’événement aurait bel et bien lieu. Si cela n’avait pas été décidé, nous aurions été dans l’incertitude jusqu’au dernier moment. La compétition est d’ailleurs retransmise en direct, ce qui permet à mes propriétaires, qui vivent en Nouvelle-Zélande, de voir leurs chevaux évoluer. Tout ce que nous voulons, c’est concourir au plus haut niveau possible, pour des dotations raisonnables et c’est ce que la France nous a offert depuis la reprise de la compétition.”
En comparant la situation de la France avec celle du Royaume-Uni, les complétistes étrangers semblent s’accorder autour de la facilité plus évidente à composer avec les restrictions sanitaires dans les manifestations internationales comme dans les compétitions nationales. Selon Alexander Bragg, les larges espaces de travail et de détente dont ils disposent dans ces concours faciliteraient la distanciation sociale. Cela permettrait ainsi de ne pas être limité en temps comme cela peut être le cas sur des terrains à l’espace plus restreint lors de compétitions nationales, dans lesquels les organisateurs sont contraints prendre des mesures plus restrictives pour limiter les regroupements. Troisième du CCI 4*-L de Lignières avec Diachello, le Néo-Zélandais Jesse Campbell se dit impressionné par la qualité des conditions de compétition en dépit du contexte actuel : “D’un point de vue sportif, il est clair que les comités organisateurs mettent un point d’honneur à offrir aux concurrents des concours de qualité malgré les nombreuses restrictions. De manière générale, au Royaume-Uni ou en France, les événements FEI ont été à la hauteur de nos attentes d’un point sanitaire, mais aussi sportif. Tout est très contrôlé, mais c’est pour la bonne cause et cela nous permet, en tant qu’athlètes, de ne pas subir de réels changements dans notre façon de travailler. Nous sommes particulièrement chanceux!” Le cavalier dénonce toutefois: “En Europe et surtout en Angleterre, on distingue facilement les concours dont l’organisation est motivée par le sport de ceux dont l’objectif numéro un est de faire rentrer de l’argent. Avec la crise sanitaire, cette distinction s’accentue d’autant plus et on a pu voir des organisateurs ne faire aucun effort et utiliser le prétexte de la pandémie pour justifier une organisation médiocre. La France a néanmoins la réputation d’organiser des concours de qualité et j’ai pu constater que certains travaillaient dur, même en équipe réduite, pour pouvoir proposer des événements en phase avec les exigences de la FEI.”
Permettre au sport de continuer tout en limitant les déplacements
En France comme en Grande-Bretagne, diverses initiatives ont été introduites pour permettre aux cavaliers de haut niveau de voyager en toute sécurité. “Ce qui a encouragé ma venue pour ces trois semaines, c’est la garantie que les trois évènements auxquels je participe se dérouleraient dans le respect des règles imposées par le Gouvernement”, assure Alexander Bragg. De l’autre côté de la Manche, tout est également mis en œuvre pour que les sportifs pâtissent le moins possible du contexte international. “L’initiative du Gouvernement britannique d’accorder l’autorisation exceptionnelle aux sportifs de haut niveau de voyager pour pouvoir maintenir une activité est aussi une réelle chance pour nous. Nos allées et venues sont toutefois très contrôlées. Nous devons justifier de chacun de nos déplacements et faire preuve de bon sens, surtout en cas de symptômes, cela va de soi. L’équipe médicale qui nous accompagne nous surveille d’ailleurs de très près.” En effet, les cavaliers britanniques bénéficient d’un système de surveillance médicale bien rodé qui permet un contrôle constant de leur état de santé. “Nous devons transmettre des informations sur notre état physique quotidiennement par le biais d’une application mobile. Le suivi est très strict et régulier, de manière à ce que si nous venions à présenter le moindre symptôme, nous puissions être pris immédiatement en charge. Tout cela contribue à ce que nous nous sentions particulièrement sereins en nous rendant sur les différents lieux de compétition.”
Pour tenter de limiter les déplacements transfrontaliers entre les différentes échéances, que seuls quelques jours séparent, certains cavaliers étrangers ont pu bénéficier du soutien logistique des organisateurs français, qui se montrent arrangeants en acceptant généralement d’héberger leurs chevaux sur leurs différents sites, parfois à des coûts réduits. C’est notamment le cas pour Alexander Bragg. “Nous avons décidé de nous organiser de façon à limiter nos aller-retours entre les deux pays, ainsi que pour nous éviter d’avoir à voyager en ferry ou en avion, qui sont des lieux particulièrement à risque. En nous installant en France pendant ces trois semaines, dans un environnement a priori sûr, nous limitons nos chances d’attraper le virus”, affirme-t-il. “Nous avons pensé que c’était la meilleure chose à faire et les organisateurs ont été exceptionnellement conciliants et aidants de ce point de vue-là. Par exemple, j’ai pu laisser à Lignières, avec un groom, les deux chevaux avec lesquels je participerai au CCI 5*-L de Pau, pendant que je suis au Lion-d’Angers. Emmanuel Lagarde (directeur du comité organisateur du CCI de Lignières, ndlr) a généreusement mis cela en place pour plusieurs concurrents. Jonelle et Tim Price ont également choisi de s’établir à Lignières pour ce dernier mois de compétition. Il est très positif que des personnes s’emploient à trouver des solutions pour notre sport. Et même si les concours français y trouvent leur intérêt puisqu’ils ont besoin de la participation de cavaliers étrangers, nous apprécions sincèrement leurs efforts. Du point de vue de l’entraînement, cela ne pose pas de réel problème pour moi car j’avais fait en sorte que mes autres chevaux aient terminé leur saison avant de venir en France pour n’avoir à me soucier que de ceux qui m’accompagnent. Il ne s’agit que de trouver le bon équilibre et de faire comprendre nos décisions aux propriétaires en cette période si particulière. Ce qui est sûr, c’est qu’on ne peut pas être partout à la fois (rires).”
Grâce à ce soutien des organisateurs, Samantha Lissington a même pu s’accorder un léger changement de programme : “Je prévoyais de renvoyer chez moi l’un de mes chevaux, Ricker Ridge Sooty GNZ, après le CCI de Lignières, mais étant tombée avec ce cheval, j’ai décidé que nous irions finalement à Kronenberg à la fin du mois, ce qui fait que j’ai maintenant deux chevaux hébergés au Lion-d’Angers.” En ce qui concerne leur propre hébergement, nombreux sont les cavaliers à avoir choisi de loger dans leur camion. “Cela nous permet de rester isolés dans une sorte de bulle et d’être le moins possible en contact avec des personnes de l’extérieur”, s’accordent Samantha Lissington et Alexander Bragg.
Vers un système plus durable?
En constatant les divers changements et améliorations apportés à l’organisation des concours complets internationaux en France en cette période de pandémie, difficile de ne pas penser aux aspects bénéfiques que pourrait avoir le maintien de certaines de ces nouvelles normes à différents égards. Tout d’abord, encourager la diminution du nombre de trajets effectués par les cavaliers constituerait un premier pas vers une réduction de l’empreinte carbone des sports équestres, mais cela représenterait également de considérables gains de temps, d’énergie et de moyens pour les concurrents étrangers. “En tant que cavalier ou membre d’une équipe, on a souvent l’impression de courir partout et de devoir être sur tous les fronts. Venir en France depuis l’Angleterre, ou en revenir, prend quasiment une journée, ce qui fait que nous ne passons que très rarement une journée complète dans nos écuries. Si l’on a les moyens de transport nécessaires pour emmener tous nos chevaux sur les différents lieux de compétition en un seul trajet, cela peut nous changer la vie! Par ailleurs, la location de boxes est souvent très onéreuse. Aussi, par exemple, il serait appréciable que les organisateurs en réduisent le coût en fonction du nombre de chevaux que nous emmenons. Même une fois la crise passée, les organisateurs pourraient prendre davantage en compte ces facteurs, de manière à nous encourager à rester sur de plus longues périodes lorsque le calendrier le permet”, argumente Alexander Bragg.
Selon Jesse Campbell, cette manière de fonctionner profiterait à la fois aux concurrents et aux pays d’accueil des différentes manifestations. “Cela se fait déjà plus ou moins dans certains endroits, mais je pense que ce serait en effet une très bonne idée, surtout pour le concours complet français qui bénéficierait ainsi plus facilement de la présence des étrangers.” Selon Samantha Lissington, ces progrès sont davantage organisationnels. “Je pense que nous pouvons apprendre beaucoup de cette crise et qu’il est nécessaire d’analyser dans quelle mesure elle aura pu rendre service au sport. Certains changements nous ont indéniablement fait gagner en efficacité dans l’organisation des concours. Au Royaume-Uni, par exemple, tout est fait plus rapidement et notre temps est optimisé. Le fait d’imprimer nos numéros de départ nous-même, par exemple, est certes un peu contraignant, mais cela nous permet d’arriver sur le terrain sans avoir à rencontrer personne, ni à passer au secrétariat. Je pense que ce genre de choses pourra continuer car il permet de fluidifier l’organisation des compétitions. Aujourd’hui, c’est ce qui nous permet de pouvoir continuer à pratiquer notre sport.” Gageons toutefois que l’on pourra bientôt reprendre une vie sociale plus normale sur les terrains de concours, et que la peur s’évaporera avec les risques de tomber malade.