“Chez nous, la tempête Alex a emporté quatre-vingts tonnes de sable”, Alexandre Ayache
Après plusieurs mois de mobilisation des fédérations nationales européennes, encouragées par leurs cavaliers, propriétaires et chefs d’équipe, la Fédération équestre internationale a annoncé avant-hier que des championnats d’Europe de dressage et de saut d’obstacles auraient bien lieu à l’été 2021 en Allemagne. Les dresseurs auront donc rendez-vous à Hagen, dans les superbes installations de la famille Kasselmann du 7 au 12 septembre. Une décision que salue Alexandre Ayache, récent vice-champion de France avec Zo What. Le cavalier évoque également les semaines compliquées qu’il vient de traverser, marquées par la tempête Alex qui a ravagé la vallée de la Vésubie, dans l’arrière-pays niçois, où sont implantées ses écuries. Malgré des conditions d’entraînement délicates, il reste déterminé et se tourne avec ambition vers l’avenir.
Comment avez-vous réagi à la décision de la Fédération équestres internationale (FEI) de reprogrammer à Hagen les championnats d’Europe de 2021, qu’elle avait initialement annulés?
C’est toujours une grande satisfaction quand des échéances d’envergure ont lieu, surtout avec la situation que nous vivons actuellement, où tout est incertain et rien ne nous permet de vivre avec sérénité. Nous traversons une année plus que compliquée. Il y a notamment eu le report des Jeux olympiques, dont nous ne savons pas ce qu’il va exactement advenir. Savoir que quelque chose aura lieu si les conditions le permettent est toujours plus que bénéfique, notamment pour le moral. Cela nous permet de nous dire que même si les JO venaient à être annulés, ce qui n’est pas le cas à l’heure actuelle, nous n’aurions pas une année vierge de tout championnat international. Ce n’est pas négligeable. Je trouve cette réaction de la FEI intelligente, dans le sens où elle permet au sport de continuer à exister. Cette année, tous les sportifs, quelle que soit leur discipline, ont été malmenés. Il ne faut pas oublier qu’une année, c’est énorme dans l’échelle temporelle du sport. Nos chevaux ont vieilli, mais pour d’autres athlètes, au top de leur forme et/ou qui arrivent en fin de carrière, et pour qui Tokyo était l’objectif ultime avant de raccrocher, je n’ose même pas imaginer… De plus, cette pandémie n’a pas l’air de vouloir se cantonner à une seule année. J’ai bien peur que cela continue. En tout cas, nous espérons de tout cœur qu’un maximum de compétitions pourront se tenir, même si elles sont annulées les unes derrière les autres en ce moment…
L’année 2020 est d’autant plus difficile pour vous que vos installations ont souffert de la tempête Alex, qui a ravagé deux vallées des Alpes-Maritimes le 2 octobre…
En effet, 2020 n’est pas notre année, exception faite des championnats de France qui se sont bien déroulés! Nous sommes en plein milieu de la vallée de la Vésubie (à Lantosque, ndlr), qui a été la plus touchée. Nous avons trois écuries, une de douze boxes, et deux de dix boxes. Nous allons devoir en raser une car elle est en train s’affaisser dans le vallon. L’eau a tout emporté. La toiture du marcheur a été arrachée et celle du manège endommagée. Il y a des glissements de terrain un peu partout. Cela rajoute du piquant à l’année 2020, nous nous en rappellerons longtemps! C’est la cerise sur le gâteau… Cela dit, aucun cheval n’a été blessé, donc nous avons eu de la chance. Ce n’est pas le cas pour tout le monde. Une ancienne cliente, qui avait ouvert une petite écurie à cinq kilomètres, a tout perdu, par exemple. Nous ne faisons pas partie des plus à plaindre, mais nous nous en serions honnêtement bien passé.
“Les années à venir devraient être belles”
Pouvez-vous toujours vous entraîner?
Nous avons perdu la moitié du sable de la carrière. Les assurances dorment debout, mais les discours des politiques nous ont fait du bien. Il y a également eu la visite du Président de la République. Ils ont essayé de faire ce qu’ils pouvaient au plus vite, notamment le déclenchement de l’état de catastrophe naturel en seulement quatre jours, ce qui est du jamais-vu en France puisque cela prend toujours entre quinze jours et deux mois. Hélas, les compagnies d’assurance ne suivent pas. Pour l’instant, nous n’avons rien touché. Les routes sont encore fermées donc nous ne pouvons pas acheminer tous les matériaux. Chez nous, les eaux ont emporté quatre-vingts tonnes de sable. Nous avons étalé le reste comme nous avons pu, mais c’est un peu du bricolage. Nous avons rendez-vous avec un expert la semaine prochaine et nous espérons que cela va avancer pour que nous puissions racheter du matériel et faire venir les entreprises au plus vite. Le problème est que nous arrivons en hiver, alors je ne sais pas comment nous ferons pour réparer avec le temps qui va se dégrader… Nous avons eu la chance qu’Antoine Véran, organisateur de la fête du cheval de Levens, un village situé plus bas dans la vallée, nous prête gracieusement six boxes démontables pour reloger une partie des chevaux. Depuis trois semaines, l’entraînement n’est pas simple. Nous nous occupons au mieux de nos chevaux de tête, et les plus jeunes partent en balade. Nous allons continuer à faire ce que nous savons faire, nous battre et avancer. Nous n’avons pas le choix. Pour être honnête, cela nous a fait du bien de savoir qu’il y aurait une échéance certaine la saison prochaine… C’est important pour le moral. Cela nous permet d’accepter que nos chevaux vieillissent, car ils vont quand même pouvoir montrer ce dont ils sont capables.
Pourrez-vous participer à ces deux échéances estivales, si elles ont lieu?
Nous avons un piquet de chevaux qui le permet. Comme nous avons pu le voir au championnat de France, Zo What (KWPN, Scandic x Cocktail) est en pleine forme (le couple a obtenu une médaille d’argent, ndlr). J’ai également Farao da Raia (Lus, Quixote MVL x Rei JHC), l’ancien cheval de ma femme (Grete Püvi Ayache, représentant l’Estonie, ndlr), qui est encore loin d’avoir montré tout son potentiel, à seulement dix ans. Il commet encore des petites fautes de jeunesse et je crois énormément en lui. Il risque de dépasser Zo What rapidement en termes de notes. J’ai également Double Dutch (KWPN, Jazz x Wisconsin), un cheval que nous avons potentiellement gardé pour les Jeux, car il a déjà gagné un Grand Prix devant Zo What (fin février à Nice, ndlr). Il aurait dû retourner à Nice, mais le concours a été annulé, et à Ornago (CDI organisé le week-end dernier en Italie, ndlr), mais avons subi de plein fouet la tempête. Si j’ai deux chevaux en forme et que je fais partie des deux équipes, je ferais ce qu’il faut pour représenter au mieux mon pays. C’est toujours un grand honneur. Nous verrons de quoi demain est fait. J’ai aussi quatre chevaux de huit et neuf ans qui doivent démarrer en Grand Prix et qui sont pétris de qualités. Et nous avons également la chance d’avoir à nos côtés Karim Barake, un partenaire qui nous suit en ces temps difficiles et nous permet de garder des chevaux phénoménaux. Les années à venir devraient être belles.