La quadrature du cercle des dotations en concours complet

Découvrez l'édito paru dans le tout dernier magazine GRANDPRIX (n°121).



En découvrant l’avant-programme du Grand Complet du Pin, plus d’un cavalier concerné par l’Officiel de France a été surpris de constater que sa Coupe des nations n’offrirait aucune dotation financière. D’un côté, il faut se réjouir que trois CCIO 4*-S aient pu être sauvés du déluge causé par la pandémie de Covid-19, quand on sait que seules deux épreuves par équipes Seniors de saut d’obstacles ont pu avoir lieu cette année en Europe - deux autres CSIO 3* sont programmés en novembre à Vilamoura et Vejer de la Frontera - et aucune de dressage. Il faut dire que le complet, et surtout son très populaire cross-country, disputé dans de grands espaces, est tout à fait compatible avec les normes de distanciation sociale. Les concours disputés en août et septembre au Haras national du Pin, dans l’Orne, l’ont prouvé sans conteste. D’un autre côté, voir une Coupe des nations privée de toute enveloppe financière pose question... Les 6 150 euros attribués au classement individuel - auxquels il faut ajouter, uniquement pour les couples français, les 20 000 euros alloués à cette épreuve ajoutée au calendrier du Grand National - semblaient déjà bien maigres, mais de là à ne pas récompenser les performances collectives... Quand on sait que les sélectionneurs nationaux demandent parfois à des cavaliers de sacrifier leur ambition pour sécuriser un résultat d’équipe, il y a matière à s’inquiéter pour l’avenir du circuit des CCIO.



En présence du Néo-Zélandais Bruce Haskell, président de l’Association des cavaliers de complet (ERA), les athlètes se sont réunis le 14 août au Pin pour discuter de ce problème. Quelques jours plus tard, sous la plume d’Arnaud Boiteau, les meilleurs Français ont publié une lettre ouverte à l’attention de la Fédération équestre internationale (FEI). Morceaux choisis: “L’absence de gains dans la Coupe et les 750 euros (!) alloués au vainqueur individuel du CCIO 4*-S de France ont renforcé un mouvement d’inquiétude unanimement partagé. [...] Le problème n’est ni nouveau ni français, bien au contraire... [...] Plus que jamais, nous tenons à souligner l’inadéquation entre les gains et le niveau des performances à effectuer pour y prétendre, le travail fourni en amont, les investissements des éleveurs et propriétaires ou encore les risques encourus. C’est presque un manque de respect pour nous qui sommes les acteurs méritants d’un spectacle hautement attrayant et, dans tous les cas, l’impossibilité d’améliorer un minimum des trésoreries déjà fragiles. Les organisateurs ne doivent pas être pointés du doigt car il leur faut tout autant de passion pour supporter les contraintes liées à la mise en place de tels événements. […] La FFE ne peut pas être blâmée non plus car elle apporte un soutien significatif par le biais de circuits comme le Grand National, l’Eventing Tour, etc. […] Néanmoins, nous pensons qu’il faut faire davantage car notre avenir en dépend. [...] L’exemple anglosaxon et ses faibles dotations, exceptés les CCI 5*-L, ne peut être pris en modèle car son système repose sur l’engagement massif de propriétaires pour qui le complet est une culture commune méritant de s’y investir à la mesure de ce que cela coûte vraiment. Les professionnels peuvent donc compter sur des pensions conséquentes et partenariats significatifs plutôt que sur des gains. Cela ne sera probablement jamais le cas en France. [...] C’est pourquoi nous proposons à la FEI plusieurs aménagements réglementaires : imposer aux organisateurs des dotations minimales, qu’elles soient évolutives en fonction du nombre de partants et qu’elles garantissent des “prix créés” remboursant au moins l’engagement.”



Le 9 octobre, les organisateurs de dix des plus grands CCI français (Pau, Saumur, Le Pin, Lignières, Marnes-la-Coquette, Bazogesen-Pareds, Le Pouget, Châteaubriant, Saint-Quentin-en-Yvelines et Saulieu) ont à leur tour pris la parole. “Le système actuel ne répond pas suffisamment aux attentes des compétiteurs qui n’arrivent pas à rémunérer leur travail par les dotations, ni des organisateurs dont le modèle économique est très fragile du fait de l’inflation de demandes légitimes telles que la qualité des sols, les services de sécurité renforcés, les besoins nouveaux en communication et information, auxquels s’ajoutent la règlementation plus exigeante et les prélèvements de la FEI”, plaident-ils, avant d’ajouter que, de leur côté, ce modèle souffre notamment “des financements qui se tarissent (moins de sponsors dans une période de crise amplifiée par la pandémie, baisse des financements publics).” Listant les nombreuses contraintes auxquelles ils sont soumis, ils en tirent une conclusion incontestable: “Avant d’envisager une dotation plus lucrative, l’organisation se focalise sur la qualité de la prestation. Le coût de l’organisation d’un concours complet n’a au final absolument rien de comparable avec celui de toute autre discipline équestre. [...] Nous estimons que l’organisateur met à disposition un plateau technique sécurisé afin que les cavaliers puissent valoriser leur travail, acquérir de la notoriété, des qualifications, des sélections, vendre leurs chevaux et leur image. [...] Convaincus de son potentiel médiatique, nous pensons que le complet a une place à occuper auprès du grand public car il est vecteur de belles histoires. [...] Notre discipline est unique et le défi se doit d’être relevé : sport intergénérationnel et mixte avec un animal qui, de plus, s’inscrit dans des environnements naturels. [...] Nous sommes solidaires des cavaliers, et sommes persuadés que c’est avec eux et notre Fédération que nous trouverons les bonnes réponses.” 

Même si d’éventuelles tables rondes pourraient apaiser les tensions, on peut douter de leur capacité à aboutir à de “bonnes réponses”, tant le problème semble insoluble. Faute de sponsors et d’un public assez nombreux et prêt à payer le prix du spectacle, qui peut garnir les dotations des épreuves de haut niveau? Les amateurs engagés dans les épreuves d’un niveau inférieur, au risque de fermer la porte aux moins fortunés? Les champions eux-mêmes, et les propriétaires de leurs cracks, en acceptant de miser plus en espérant gagner plus? La FEI, à travers un système de redistribution de ses prélèvements, quitte à augmenter le montant des frais d’engagement de tous les concurrents? Difficile à trancher. Cependant, un coup de pouce de Lausanne aurait été le bienvenu dans le cas symbolique du CCIO du Pin, étape du circuit fédéral des Coupes des nations. La FEI n’avait-elle pas financé à ses frais les épreuves par équipes de jumping lorsque celles-ci s’étaient retrouvées sans sponsor titre?