Jessica Michel Botton , entre passion, construction et détermination
Saumur, septembre 2006 : une inconnue s'empare de son premier titre de Championne de France. 14 ans après, Jessica Michel-Botton incarne à elle seule le circuit français des Jeunes Chevaux ; une réussite qu'elle confirmait à Fontainebleau en s'adjuger le titre dans les 4 ans et en raflant ni plus ni moins que les 3 premières places dans les 5 ans. Sa saison 2020, les Championnats du Monde Jeunes Chevaux, ses ambitions, son regard sur sa carrière, son retour à haut niveau, son avenir, Jessica Michel-Botton s'est livrée à Grand Prix.
Comment allez-vous et comment vivez-vous cette reprise de la compétition après plusieurs mois d’interruption à cause de la crise liée à la Covid-19 ?
Je trouve qu'il a été difficile de rester motivé : je suis d'une nature assez organisée, j'ai un plan assez prédéfini du travail des chevaux. La Covid a donc tout bouleversé puisqu'on ne pouvait pas vraiment savoir par exemple si la Grande Semaine de Fontainebleau aurait lieu ou non. Il était donc difficile de conserver sa motivation sans la certitude de pouvoir réaliser les objectifs fixés. J'ai donc du m'adapter, même si je n'aime pas trop l'inconnu.
Quel bilan tirez-vous de la Grande Semaine de dressage ?
J'avais déjà eu une année assez exceptionnelle en 2019. Ce qui est compliqué, c'est de répéter les performances : avoir des résultats une année c'est bien, mais le plus dur c'est que ça continue. J'ai toujours une petite pression supplémentaire en me disant que je dois tenir la barre, car il y de très bons cavaliers qui poussent le niveau plus haut que lorsque j'ai commencé en 2006. Quand j'ai gagné les 4/5/6 ans pour la première fois en 2007, le niveau n'avait rien à voir avec celui d'aujourd'hui. Désormais, il faut certes avoir de bons chevaux mais aussi très bien monter. Je suis donc très contente, j'ai gagné les deux Championnats, un podium entier dans les 5 ans et avec des notes qui sont très hautes. Je ne pense d'ailleurs pas avoir déjà eu de tels points dans un Championnat des 5 ans, ce doit être la première fois car j’ai peu de chevaux qui ont atteint les 90 %. Les 5 ans ne sont pas si faciles, la reprise finale notamment. Je suis donc ravie, y compris dans les 4 ans même si le dimanche a été très compliqué à cause de la météo et que certains de mes chevaux en ont été un peu émus.
Fabio de Hus et Djembe de Hus sont-ils destinés à être commercialisés ?
Ils sont tous destinés à être commercialisés. Je suis déjà contente d'avoir encore Djembe de Hus. Depuis la Grande Semaine nous n'avons pas encore fait de point avec Monsieur Marie, parfois il peut y avoir des changements mais je dois rentabiliser l'écurie de dressage du Haras, à la fin c'est moi qui sait si je dois vendre ou non. Jusqu'à présent il n'était pas trop sur le marché, quelques personnes s'y étaient intéressées. Je l'avais déjà proposé à la vente à 3 ans. Quoi qu'il en soit, c'est mon travail, l'écurie de dressage doit rentrer dans ses frais. Je suis déjà contente d'avoir encore Dorian Grey de Hus (SF, Don Juan de Hus*Sandro Hit) car de nombreux grands cavaliers ont fait part de leur intérêt et de leur souhait de l'acheter. Monsieur Marie n'a jamais changé d'avis à ce sujet, nous ne pouvons donc pas tous les garder.
Quels objectifs nourrissez-vous avec eux ?
Je travaille toujours les chevaux comme s'ils devaient rester. Djembe est vraiment prêt dans les 5 ans, il peut correspondre à ce qu'attendent les juges aux Championnats du Monde. C'est souvent d'ailleurs la-bas que la commercialisation de ce type de chevaux a lieu. Quoi qu'il en soit, j'aimerai quand même bien aller à Verden avec lui.
Quels chevaux composent votre piquet ?
J'ai donc Fabio de Hus (Han, Don Juan de Hus*Wanderbursch II), Djembe de Hus (Old, Damon Hill*Argentinus), Dorian Grey de Hus, Da Vinci de Hus (Old, Damon Hill*Sandro Hit) et Vicomte de Hus (Old, Vivaldi*Don Juan de Hus) qui appartiennent au Haras, Guardian de Saint Val (SF, Don Juan de Hus*Florencio 2) qui appartient à Caroline Rioche et Vincent Guilloteau, Maximus Jung HP du Winckel (Old, Morriocone*Florencio 2), propriété de Philippe Heussen, Golden Romance Malleret PS (Old, Governor*Sir Donnerhall) qui appartient au Haras de Malleret, Zouzo Majishan (Han,Blue Hors Zack*Soliman) acheté il y a peu par Andreas Helgstrand à Charlotte et Jean Vesin, MSJ Dot Com (Old Don Juan de Hus*Dimaggio), Flashdance BD (Han, Franklin*Hotline) et Gold Star BD ( Old, Goldberg*Rubin Royal) propriétés de BD Horses, Don Amour Waverley (Old, Don Juan de Hus*Sandro Hit) que j'ai en copropriété avec Claudia Chauchard et Famous Grez Neuville (SF, Negro*Gribaldi) du Haras de Grez Neuville qui était en vacances chez son propriétaire mais qui devrait revenir. Des 3 ans en formation complètent mon piquet de 15 chevaux aux écuries qui travaillent.
Dorian Grey de Hus vous semble-t-il meilleur que son père ?
Oui.Il est meilleur, pas forcément au premier abord. Si on les compare à deux ou trois ans, il n'y a pas photo, Don Juan de Hus était largement au dessus, mais Dorian Grey de Hus est plus sport, dans un modèle plus facile à dresser, il a plus de sang. Pour le haut niveau, il est meilleur même s'il est moins extravagant. Jusque là, il a montré qu'il plaisait aux juges, peut-être plus que Don Juan.
En quoi la tragique disparition de Don Juan de Hus vous a-t-elle fait évoluer ?
J'ai énormément changé depuis sa mort : je fais moins de plans sur la comète. Avant je pensais aux Jeux Olympiques, aux Championnats etc, maintenant, j'essaie de plus profiter de ce qui est présent. Ce n'est pas qu'avec les chevaux, c'est dans ma vie en général, j'ai aussi beaucoup plus peur de la mort, pas qu'avec les chevaux mais avec ma famille, mes amis. Ça a donc eu des répercussions qui m'ont fait garder les pieds sur terre et qui m'ont rappelées qu'on sait ce qu'on a aujourd’hui mais on ne sait pas ce qu'on aura demain. Je me suis prise une grosse claque qui a remis en cause beaucoup de choses, même le système au Haras a changé à cause de ça.
Pensez-vous qu'il aurait pu avoir le potentiel pour pouvoir rivaliser avec les chevaux du top 5 mondial ?
J'ai donc été très prudente avec lui car je n'aime pas trop m'avancer en général. Mon entraîneur a toujours dit que c'était un cheval pour une médaille. Tant qu'on n'a pas fait le Grand Prix, c'est difficile de savoir ce que ça donne. Beaucoup de gens pensaient qu'il ne rassemblerait jamais, mais il était incroyable pour faire les pirouettes au galop, super facile pour le piaffer et le passage . Il restait à caler 15 changements de pied au temps sur la diagonale, mais je pense que ce n'était qu'une question de répétitions, ça n'aurait pas été problématique, les choses se seraient calées.
Après autant de victoires sur le circuit des jeunes chevaux, quel regard portez-vous sur votre parcours ?
Le niveau a beaucoup augmenté, ce qui me pousse à progresser, si je montais en 2020 comme en 2006, il est certain que je ne gagnerais pas. Mon niveau a évolué, c'est grâce à mes entraîneurs (Hans Heinrich Meyer zu Strohen et Ariane Pourtavaf). Je pense que j'ai un atout, celui d'être très travailleuse, je ne prends jamais rien pour acquis, je me dis toujours que l'année d'après ce sera plus dur, qu'il y aura de nouveaux cavaliers, que les autres progressent également. J'ai eu beaucoup de soutien financier de la part de Monsieur Marie pour mon entraînement ce qui m'a aussi énormément aidée. Depuis l'instauration du nouveau système, l'entraînement, hors chevaux du Haras de Hus, est à ma charge. Je sais que c'est fondamental : si on arrête de s'entraîner, on peut couler. Même les plus grands continuent de se faire aider. Parfois c'est un peu une faute qu'on commet dès qu'il y a un peu résultats. C'est un investissement que je considère nécessaire. Faire l'impasse dessus, c'est le meilleur moyen d'avoir moins de résultats, moins de chevaux etc … L'entraînement est pour moi la base du système. C'est un gros investissement mais c'est ça qui me permet d'être toujours là.
Après avoir monté autant de très bons chevaux, comment conservez-vous votre motivation et comment arrivez-vous à ne pas vous lasser ?
Ma passion c'est vraiment de former les jeunes chevaux de les faire évoluer dans leur physique et dans leur locomotion. Je les filme d'ailleurs plus qu'auparavant quand ils sont très jeunes car on m'a souvent dit que je montais des « machines de guerre », sans savoir d'où ces chevaux partaient. Dorian par exemple à 3 ans, je ne pense pas que beaucoup de monde l'auraient acheté même pour un petit prix. Ma satisfaction c'est donc de me dire que j'avais un cheval qui voulait bien faire et qu'on a réussi à faire ça ensemble. Je suis compétitrice dans l'âme : la compétition fait partie de mon système, si je n'en fais pas, les chevaux ne peuvent pas se vendre etc … J'aime bien gagner (rires), c'est donc une motivation. Au delà du Championnat de France où il faut évidemment être présent car c'est un élément important de notre système, ma plus grande motivation reste les Championnats du Monde car mon but serait d'avoir un jour une autre médaille. Je ne suis pas passée loin avec Dorian à 5 ans. Pas forcément l'or car je suis consciente du niveau (rires).
En tant qu'enseignante, qu'est-ce qui, selon vous, manque le plus dans la formation des cavaliers qui se consacrent aux jeunes chevaux ?
La base. Les cavaliers pensent souvent tout de suite aux mouvements, épaule en dedans, cession à la jambe, ferme à ferme, mais les chevaux ne savent ni marcher ni trotter ni galoper la plupart du temps. C'est un peu ce que j'essaie de transmettre : avant que le cheval ne sache faire des mouvements, il doit se servir de son corps, marcher droit en piste intérieure, être symétrique, galoper plus sur les hanches. Une fois que tout ça est acquis, que les chevaux savent fonctionner, le reste est facile, il n'y a pas besoin de répéter à outrance les mouvements de reprise. C'est le travail du sportif humain : les assouplissements, la musculation pour être fort et solide. Une fois qu'un cheval a appris à faire tous les mouvements d'une mauvaise façon, c'est très difficile de revenir en arrière.
Quel regard portez-vous sur les extraterrestres qui gagnent chaque année les championnats du monde des jeunes chevaux ?
Le niveau a beaucoup augmenté. Il y a toujours une place pour des chevaux qui sont un peu moins extraterrestres mais qui font tout très bien, dans une belle équitation juste, qui bougent bien. La politique suit de plus en plus cette direction. D'une année à une autre, on peut aussi être étonné du jugement. Je trouve ça très bien qu'ils y aient des chevaux extraordinaires même si c'est difficile pour la concurrence. On peut cependant toujours avoir des surprises, ce n'est pas totalement fermé non plus aux chevaux moins spectaculaires, l'équitation peut aussi faire la différence.
La domination d'Andreas Helgstrand sur le circuit permet-elle encore aux autres professionnels d'espérer briller à ces championnats ?
On se demande presque désormais si on va réussir à avoir une place en finale tant son équipe présente de chevaux (rires). Déjà c'était dur avant, mais quand il a deux chevaux, que son meilleur cavalier en a deux également et que maintenant Cathrine Dufour en a elle aussi, on arrive vite aux 15 de la finale. Aujourd'hui, il est puissant, il faut donc essayer d'être aussi bon. Dans un sens c'est motivant de se dire qu'il faut progresser, ne pas se relâcher.
Il est parfois dit que le circuit Jeunes Chevaux ne prépare pas au Grand Prix. Qu'en pensez-vous ?
Je ne suis pas d'accord avec ça. Souvent il est dit que si on prend les 3 premiers de telle année, on ne les retrouve pas au Grand Prix. Sauf que si on prend 3 chevaux d'une écurie qui ne font pas les Championnats du Monde, on ne les retrouvera peut être pas non plus au Grand Prix. Entre ceux qui n'ont pas le mental, ceux qui n'ont pas le physique, tout peut arriver. Je pense que c'est un bon circuit si on respecte son cheval. Ce n'est pas tant une question de circuit mais plutôt de comment il est géré par le cavalier.
En tout cas, il semble souvent déconnecté des grands rendez-vous nationaux. Le regrettez-vous, notamment dans une perspective de visibilité et de préparer les jeunes chevaux à des contextes plus impressionnants ?
J'essaie que le cheval soit content de venir en compétition, donc au démarrage, je cherche surtout les mettre dans un contexte où il n' a pas trop de pression. Le Lion d'Angers est pour moi idéal pour débuter dans l'année. Je ne suis donc pas à la recherche des concours les plus regardants, je me dis que ça arrive bien assez vite. Si le cheval a une bonne base de confiance avec le cavalier, si c'est un peu regardant, il fera son job. Si on va trop vite, on risque d'en payer longtemps les pots cassés .
Vous avez aujourd'hui beaucoup de jeunes chevaux confiés. Regrettez-vous que l’on ne vous confie pas des chevaux susceptibles de vous faire revenir rapidement au niveau Grand Prix ?
Oui et non. J'ai toujours eu une préférence pour les jeunes chevaux et je préfère les faire moi même. Je n'aime pas trop recevoir par exemple de 7/8 ans où je me dis qu'il faut tout refaire. J'ai vécu des expériences exceptionnelles avec Riwera de Hus ( Old, Welt Hit II*Noble Roi) sur le Grand Prix mais je ne veux pas y retourner à tout prix. Si je reviens à ce niveau c'est pour faire mieux. Les notes que j'avais en 2012 étaient déjà de gros pourcentages, il n'est pas si facile de trouver un cheval pour faire mieux. Même si elle a été beaucoup critiquée par certains, c'était quand même une jument avec un vrai charisme que les juges regardaient. Je dois aussi vendre des chevaux. Si je les avais tous gardés, j'en aurais probablement eu un autre pour ce niveau, mais il faut bien se rendre compte que ceux qui se vendent le mieux ce sont évidemment les meilleurs. Je ne suis cependant pas triste de ne pas être actuellement sur le Grand Prix. Je serais contente qu'on me confie un cheval pour faire mieux que ce que j'ai fait avec Riwera, mais 66 % ça ne m'intéresse pas. Je serais plus affectée de ne pas avoir de chevaux pour faire les Championnats du Monde Jeunes Chevaux, pour moi c'est plus important. Je ne suis donc pas démotivée de ne pas être au Grand Prix : c'est très dur, l'ambiance est souvent difficile, même si on croit le contraire, je suis assez sensible. Mentalement, c'est très prenant.
Outre les chevaux de propriétaires, avez-vous vos propres chevaux personnels ? Faites-vous un peu d’élevage ?
Le nerf de la guerre c'est toujours l'argent. J'achète des foals depuis très longtemps, que je fais grandir en Allemagne, que je débourre moi même ou que je fais débourrer en Allemagne, selon le temps que j'ai, et qui sont destinés à être commercialisés car je n'ai pas les reins assez solides pour tenir. Je m'étais promis que je ne vendrais jamais Diva Star (Han, Don Juan de Hus*Rubin Royal) parce que c'était une fille de Don Juan, et finalement, l'année dernière, j'ai craqué en me disant que ce n'était pas raisonnable car j'ai toujours la crainte qu'il arrive quelque chose, je dois réinvestir, payer mes entraînements. Pour le moment, je ne peux pas me permettre de garder un cheval avec les risques que ça comporte. Diva est la plus vieille que j'ai gardée, jusqu'en début d'année de 6 ans. Avant, j'ai toujours vendu à 3 ou 4 ans. C'est toujours difficile de vendre, mais on s'adapte, c'est mon métier, je dois assumer ça. J'ai aussi une belle maison, une qualité de vie que je dois financer etc... Il faut faire des choix, mais un jour peut-être.
Comment abordez-vous la préparation des championnats du monde Jeunes Chevaux, qui se tiendront mi-décembre à Verden ? Le fait qu’ils aient été décalés au mois de décembre est-il un avantage ou un inconvénient pour la préparation des chevaux pour l'année prochaine ? Et qu’ils soient en indoor ?
Pour moi c'est un inconvénient car j'ai un système de mis en place qui s'en trouve perturbé. Nous allons donc continuer à travailler des chevaux sur le niveau des 5 ans, éviter de trop faire de changements de pied pour ne pas leur donner l'envie le jour J … Normalement ils devraient être en ce moment au repos avant d'entamer cet apprentissage. Il faut donc maintenir les chevaux dans une certaine condition physique pour qu'ils soient prêts. J'avais cependant un peu anticipé ce changement avec une pause en avril ce que je ne fais pas habituellement : 15 jours ils n'ont été qu'au paddock. C'est effectivement perturbant, notamment pour les étalons qui ont fait la monte, ils ont du continuer à travailler, sans pause, reprendre la monte très tôt, bref, même si je ne suis pas dans ce cas de figure personnellement, je pense que pour eux ce sera très dur. Concernant les conditions indoor, ça peut changer beaucoup de choses, c'est comme la finale des 4 ans cette année à Fontainebleau : les conditions peuvent vraiment influer sur le podium. La manège de Verden n'est pas si évident, les tribunes vont être assez proches, en hauteur. A Ermelo les tribunes sont plus loin, le contexte est plus simple qu'à Verden avec les tentes blanches par exemple. Tout dépendra si c'est à huit clos ou non.
Quelles sont vos ambitions pour l’année 2021 ?
Je ne sais pas encore (rires), je vais pas à pas. Après les Championnats du Monde, il y aura du repos pour moi j'espère (rires). Pour le moment je n'y pense pas vraiment, d'autant qu'avec la crise sanitaire on ne sait pas quand commencera la saison par exemple. Je vais faire comme j'ai l'habitude.
Quel regard portez-vous sur l’évolution du dressage de haut niveau ?
Je suis le haut niveau, mais de moins près que lorsque j'étais concernée, déjà pour des questions de temps : pour pouvoir tout regarder, il faut du temps et je n'en ai pas beaucoup. Le niveau n'a pas cessé d'évoluer, c'est d'autant plus pour cette raison que je me dis que si je dois y retourner, il faut un cheval qui ait tout ! Les reprises qu'on voit, la qualité des chevaux, de l'équitation, on se demande où ça va s'arrêter, on peut s’interroger si on ne va pas arriver à 150 % (rires). En même temps, ça permet de réaliser qu'il faut rester dans le bain car la compétition avance tellement vite, il faut se cravacher soi même. Même Isabell Werth continue de progresser, on voit bien par exemple les choix stratégiques qu'elle fait pour rester devant.
Et le dressage français ?
Le dressage français progresse indéniablement, mais pas suffisamment encore pour être dans les tous meilleurs. Ce qui est dommage par rapport à ce qu'on peut trouver en Allemagne, c'est que les cavaliers changent dans l'équipe. Nous n'avons pas assez de couples forts qui se répètent d'une année à l'autre, mais ce n'est pas si facile car nous n'avons pas beaucoup de chevaux.
Le jugement des épreuves Jeunes Chevaux en France est-il suffisamment dur et en cohérence avec les attentes internationales ?
Oui même si ça dépend des juges, certains sont plus durs que d'autres. Je trouve par exemple intéressant d'être jugé par Isabelle Judet, même si elle peut sembler dure, elle voit tout, on ne peut rien lui cacher. En terme de progression c'est donc très bien. Elle avait par exemple était sévère pour la sélection de Dorian pour les Championnats du Monde Jeunes Chevaux, mais elle avait raison et ça m'avait mis les points sur les I (rires).
Qu'est ce qui, selon vous, manque à l'élevage français pour se développer plus rapidement encore dans le milieu du dressage ?
De bonnes mères. Souvent les mères mises à la reproduction sont celles qui ont été blessées, rétives ou pas assez bonnes. Il n'y a pas de secret, ce n'est pas comme ça que ça marche. Celles qui produisent bien ce sont les très bonnes mères, c'est aussi pour ça que le Haras de Hus a eu pas mal de succès avec les clones de Poetin (Brand, Sandro Hit*Brentano II), car à la base ce sont d'excellentes juments.
S'il ne faillait en garder qu'un, serait-ce Riwera où Don Juan ?
C''est une question difficile par je n'ai pas eu les deux en même temps. Par rapport à tout ce que j'ai vécu avec elle, je dirais Riwera car elle a tout donné pour moi, elle a tout fait pour que j'y arrive. Aujourd'hui, je lui dois beaucoup, quel cheval serait prêt à assumer 5 week-ends de compétition ? Elle a été difficile jusqu'à 6/7 ans mais après elle a été admirable. Je ne peux pas la mettre de côté après tout ce qu'elle a fait pour moi. Aujourd'hui, elle est toujours dans mon écurie, je m'en occupe toujours car je considère qu'avec ce qu'elle a donné pour le Haras et moi, on lui doit de s'occuper d'elle, toujours comme une star.
Quel cheval regrettez-vous de ne pas avoir gardé ou pu présenter à haut niveau ?
Tous (rires). Il y a beaucoup de chevaux dont j'ai pleuré le départ. Je n'ai pas très bien vécu le départ de Swing de Hus (Han, San Remo*Wonderland). Je l'avais découvert à 2 ans, je l'ai construit et j'avais une attache assez particulière. Don Vito (Don Juan de Hus*De Niro) aussi, je l'ai amené jusque chez Andreas Helgstrand, je l'ai monté la-bas, c'est un cheval aussi choisi à 2 ans, il faut savoir les imaginer. C'est une fierté de les vendre à quelqu'un comme lui mais c'est un cheval sensible avec qui je m'entendais très bien, ça m'a vraiment fait quelque chose de repartir du Danemark avec le camion à vide : j'étais avec ma groom Victoria Grandin, je n'étais pas la seule à pleurer. Je la remercie d'ailleurs d'avoir été à mes côtés, c'est un métier de l'ombre dont on ne mesure pas toujours l'importance.
Quelle est votre plus belle victoire ?
Je dirais mon premier titre de Championne de France à poneys, c'était très symbolique pour moi. Pour un enfant, le Championnat de France à Lamotte à l'époque c'était quelque chose de magique car il y a avait beaucoup moins de titres décernés. Avoir son article dans l'Echo des poneys c'était vraiment quelque chose. Ma médaille aux Championnats du Monde aussi. J'y avais été l'année d'avant avec Silhouette (Old, Sandro Hit*Weltmeyer), je ne savais pas ce que c'était, à l'époque il n'y avait pas toutes les vidéos sur internet etc … Quand je suis arrivée, j'ai bien vu que le niveau était différent de celui que nous avions en France. Je suis passée avec Silhouette dans les premières, je n'ai pas eu le temps de trop voir les autres, mais la veille, lors de la familiarisation, je trouvais qu’un 6 ans était vraiment pas mal, jusqu'au moment où j'ai réalisé qu'il travaillait le galop à faux et que donc il n'avait pas 6 ans mais 5 ! Je me suis donc prise une douce froide et j'ai réalisé que je ne savais pas présenter. J'ai regardé comment faisaient les autres ce qui m'a servi pour la petite finale. Je me suis achetée les vidéos des 3 premiers des 5 et 6 ans. Pendant un an je les ai étudiées pour m'en imprégner et je pense que ça m'a servi pour l'année suivante. Si je n'avais pas fait tout ce bachotage, je n'aurais eu de bons résultats. Je l'ai donc vécu comme une victoire.
Quel souvenir gardez-vous de votre premier titre de championne de France ?
C'est aussi arrivé un peu vite. C'était en 2006 avec Noble Dream (Old, Caprimond*Donnerhall). Elle avait déjà eu de bons résultats dans la saison. Je me suis retrouvée à Saumur où personne ne me connaissait et à m'imposer devant Dominique Mohimont qui à l'époque avait beaucoup de succès dans les jeunes chevaux en France. J'étais évidement très contente mais je crois que je ne me rendais pas compte.
Dès qu’il a commencé à s’investir les sports équestres, Xavier Marie a pris le parti de rester discret : une position qui vous a mise sur le devant de la scène à une époque où vous débutiez votre collaboration. Comment avez-vous vécu cette exposition ?
Il a toujours souhaité rester discret, je pense qu'il est venu 3 fois en concours : 2 fois à Saumur et 1 fois aux Jeux Olympiques. Il a aussi été très exigeant avec moi, je ne lui en veux pas car c'est ce qui m'a permis d'être meilleure, même s'il y a eu des moments difficiles. Parfois, le fait que les propriétaires viennent sur place permet aussi qu'ils se rendent compte de la concurrence, des jugements etc. Ça n'a pas toujours été moralement facile d'être celle qui était exposée, aujourd'hui je le gère beaucoup mieux car j'ai plus d'expérience, de maturité face à tout ça. Ce qui est surtout était dur ce sont les critiques, que j'ai vécues seule : je voulais le préserver de ça car il investissait dans le dressage.
Est-ce que cela a rendu la gestion de votre vie de cavalière, de femme et de maman plus compliquée ?
Le plus difficile, où j'ai presque sombré, ce fut en 2012. Il y avait trop d'exposition, l'année des Jeux Olympiques, les journalistes sont beaucoup en demande. Entre les sollicitations fédérales, les médias, les obligations liées au contrôle anti-dopage, je suis normalement très sociable mais en mai juin, j'ai fini par ne plus vouloir voir personne. Je nourrissais mes chevaux, je montais très tôt le matin et à 14h, je rentrais chez moi. Un jour l'équipe du Haras a voulu me faire une surprise, je n'y suis même pas aller, j'avais … peur ! Ils me l'ont envoyée par mail, c'était pour m'encourager pour les JO, j'ai eu honte mais j'avais peur que tout le monde soit la en même temps. Bizarrement j'ai seulement soufflé quand je suis entrée sur la piste pour le Grand Prix. Quand les Jeux ont été terminé, j'ai fait les Championnats de France car il fallait être présent, j'avais en plus pleins de jeunes car c'était en même temps que la Grande Semaine. Ensuite il y avait la Coupe du Monde de Lyon, Stuttgart, Malines et puis ma jument s'est faite mal en se coinçant dans le box et c'est ça qui m'a réveillée. Il y a avait trop de sollicitations de toutes parts, j'étais même sur le point d'aller en Floride car j'étais invitée par les World Dressage Masters. Je ne savais pas dire non, aujourd'hui je saurais le faire, les choses seraient différentes.
L'hypothèse de la vente du Haras de Hus vous inquiète-t-elle ?
Je sais que c'est à vendre depuis longtemps, mais ça n'est pas à vendre à tout prix. Je l'ai déjà fait visiter il y a 5 ou 6 ans. Jusqu'à présent, il n'y a pas eu de concrétisation. Peut-être que ce sera vendu demain mais pour le moment nous y sommes toujours. Je ne suis donc pas inquiète outre mesure, je vis avec cette possibilité depuis plusieurs années déjà.
Quel regard portez-vous les réseaux sociaux et la façon dont le dressage est souvent mal mené par des cavaliers pas toujours avertis ?
Je fais très attention à ce qui est publié. Je trouve cette tendance dommage car on en devient frileux à publier la moindre vidéo : sur n'importe quelle d'entre elles on peut faire un arrêt sur image et sortir une mauvaise photo. C'est le coté regrettable des réseaux sociaux. Je pense qu'il faut savoir répondre aux commentaires négatifs même si ce n'est pas toujours évident. En général, je le fais toujours, pour expliquer et très souvent ça se termine bien. Il ne faut pas répondre de manière agressive sinon ça ne fait qu'empirer les choses.
Nos sociétés font face à de nombreux et grands défis historiques, avec au premier plan l’écologie. Êtes-vous sensible à ce sujet ? Pensez-vous que le secteur équestre, notamment le sport de haut niveau, devrait davantage se saisir de cette thématique ?
Le milieu du cheval est très tourné vers la consommation, il faut bien le reconnaître. Au fur et à mesure des années, je me suis sensibilisée à ces questions : j'ai par exemple des poules pour mes déchets, je trie, j'économise, je tente d'avoir moins de plastique, je récupère l'eau des verres non finis pour arroser mes plantes. Je sensibilise mon fils et mon mari à tout ça. Rien que faire du tri à l'écurie ce n'est pas si évident ou courant. Si on parle de tous ces concours éphémères, des chevaux qui vont d'un concours à un autre, c'est évidemment une vie assez décalée par rapport à ces enjeux écologiques. Ce n'est pas si facile de changer tout ça.
Que vos apporte l'expérience de cavalier d'obstacles de votre mari Gilles Botton ?
Nous avons deux caractères très différents, il me complète bien. Je suis du genre à organiser à prévoir comment les choses peuvent se passer pour ne pas à devoir gérer un imprévu. Lui, c'est tout l'inverse, il ne prévoit rien, il est dans l'optimisme, tout va bien aller. Il me permet donc de relativiser. Professionnellement, il fait beaucoup de commerce, c'est un métier à part et ça m'aide car selon les situations, je prends son avis, c'est donc un vrai soutien.
Ces derniers mois, il a aussi été beaucoup question de la libération de la parole des victimes d’agressions sexuelles, notamment dans le sport. Quel regard portez-vous sur ce combat ?
Quand on lit ce genre de choses, ça semble fou. C'est terrible pour les victimes, car évident ça peut ruiner une vie. Il faudrait que la parole se libère même si c'est sûrement extrêmement difficile : les auteurs sauraient ainsi que ça peut se savoir, la peur changerait de camp. C'est un problème qu'on peut rencontrer partout. J'ai déjà commencé à faire attention avec mon fils : de jeunes garçons agressés sexuellement, ça existe aussi. J'ai déjà évoqué ce sujet, il arrive à un âge où il est capable de comprendre.Il faut trouver le bon ton, pour ne pas faire peur aux enfants tout en les informant.
Outre les chevaux, vous adonnez-vous à des loisirs ?
Avec un enfant en bas âge, plus du tout (rires). J'aime cependant bien m'occuper de mon jardin, aller à la pépinière, avoir un mini potager, arroser le soir. Je n'ai pas beaucoup de temps, entre les chevaux, mon fils. De temps en temps, j'essaie aussi d'aller dîner chez des amis. Avant j'aimais beaucoup faire les magasins mais je n'ai plus le temps. Cette année nous avons réussi à aller au ski, ça faisait 20 ans que ça ne m'était pas arrivée et ça nous a fait beaucoup de bien.
Où vous voyez-vous dans quinze ans ?
Je ne sais pas. Peut-être ici, peut-être pas. Je me sens très bien à Nantes, j'aime beaucoup les installations du Haras de Hus, je sais que j'ai de la chance. J'aime aussi beaucoup ma maison, mais peut-être qu'un jour, indépendamment de la vente éventuelle, Monsieur Marie voudra arrêter. Pour le moment ce n'est pas le cas, du moins tant que l'écurie de dressage paye ses frais. Si je devais acheter ou louer une écurie, je ne le ferais cependant pas à Nantes, en terme de commerce, je pense que je me rapprocherais certainement de la Belgique, de l'Allemagne, des Pays-Bas.
Vous diriez-vous confiante en l'avenir ? Que pouvons-nous vous souhaiter ?
J'essaie d'être très prévoyance tout en voyant au jour le jour. Je tente d'avoir de petits projets comme les achats de foals, je tente d'entretenir des relations qui puissent pourquoi devenir de futurs projets. Ce qu'on peut me souhaiter c'est de la chance car il faut quand même en avoir pour avancer et continuer.
Cet entretien est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX (n°121).