Laura Kraut en toute simplicité
À l'occasion de l'anniversaire de Laura Kraut, qui souffle aujourd'hui ses cinquante-cinq bougies, GRANDPRIX vous propose de redécouvrir le Focus qui lui avait été consacré dans le magazine GRANDPRIX heroes n°103, en septembre 2017. // Cavalière, coach, mère et femme accomplie, Laura Kraut évolue au plus haut niveau avec élégance et humilité depuis un quart de siècle. Grâce à son talent, son instinct, sa détermination d’acier et sa grande générosité, l’Américaine compte parmi les meilleurs pilotes de saut d’obstacles de la planète. La quinquagénie semble même plus épanouie que jamais.
Lundi 14 août, 16h00, Laura Kraut décroche son téléphone. La championne de cinquante et un ans est chez elle, aux écuries de son conjoint Nick Skelton à Alcester, à environ quinze kilomètres de Stratford-upon-Avon, cité de naissance du dramaturge William Shakespeare, en Angleterre. Trois jours plus tôt, elle était en Irlande où elle a pris part au mythique CSIO5* de Dublin. Au terme de la Coupe des nations Longines d’Irlande, l’hymne américain a retenti pour son équipe grâce notamment à son double sans-faute avec Confu (Holst, Contact Me x Riga II), son hongre gris de dix ans. L’Américaine a vécu un lundi bien chargé. Rentrés de la capitale irlandaise vers minuit la veille, Laura et Nick, cinquante-neuf ans, médaillé d’or aux Jeux olympiques de Rio l’an passé, étaient dans les starting-block dès 6h30 du matin pour une séance de fitness dans la salle de sport de Dan, le fils de Nick, entraîneur de chevaux de course. De retour aux écuries après un jogging de cinq kilomètres sur tapis roulant, la native de Camden, en Caroline du Sud, a entraîné six chevaux - elle estime en avoir monté vingt mille dans sa vie! À midi, il était déjà l’heure de boucler les préparatifs pour le CSI5* Longines de Saint-Moritz, et d’embarquer ses chevaux pour la Suisse, où elle les a rejoints deux jours plus tard. Après avoir déjeuné et avant de répondre aux questions de Grand Prix, elle s’est entretenue avec le représentant d’un sponsor.
De l’autre bout du fil, on ressent aisément son caractère jovial et posé. “Un modèle de professionnalisme”, c’est ainsi que le commentateur de FEI TV a décrit l’Américaine lors de son passage à Dublin. Son humour en ferait presque oublier les difficultés qu’elle a rencontrées la semaine précédente. Quelques jours avant la Coupe des nations de Dublin, Laura Kraut se sentait “terriblement mal”, au point même d’être incapable de monter à cheval.
“CEDRIC EST COMME UN FILS”
Dix-neuvième au classement mondial Longines du mois d’août, Laura Kraut n’a cessé de briller depuis un quart de siècle. On peut notamment citer sa médaille d’argent par équipes aux Jeux équestres mondiaux d’Aix-la-Chapelle, en 2006, avec Miss Independent (ex-Okretia, KWPN, Kingston x Nimmerdor) et sa médaille d’or par équipes aux Jeux olympiques de 2008 à Hong Kong, aux côtés de Beezie Madden sur Authentic (KWPN, Guidam x Katell, Ps), McLain Ward sur Sapphire (ex-Safari van’t Merelsnest, BWP, Darco x Hedjaz) et Will Simpson avec Carlsson Vom Dach (Holst, Carlsson Vom Dach, CassiniI x Grundyman, Ps). En Chine, son complice n’était autre que l’inoubliable Cedric (Holst, Chambertin x Carolus I) qu’elle considère “comme un fils.” Depuis sa cérémonie d’adieux célébrée en début d’année 2017 au Winter Equestrian Festival de Wellington, en Floride, le petit hongre gris de vingt-deux ans, propriété de Margaret Duprey, se relaxe dans les prés d’Alcester. La cavalière garde un œil bienveillant sur lui en permanence, tout en entraînant ses nouveaux cracks dans la ferme du Warwickshire.
Depuis de nombreuses années, Laura Kraut partage son temps entre l’Europe l’été et les États-Unis, la Floride en particulier, de décembre à avril. Après le CSI 5* de Saint-Moritz, elle s’est envolée pour le Massachusetts afin d’aider son fils Bobby, futur étudiant au Boston College, à s’installer dans son premier appartement. Au fil des saisons, elle a parcouru toute la planète. Calgary, Lexington, Chantilly, Toronto, Barcelone, Rome, Londres, Cannes, Sydney,Indianapolis, Valkenswaard, La Baule, Minneapolis, Charlotte, Rotterdam, Madrid, Lausanne, Genève, Anvers, Belfast, Las Vegas et Wellington sont autant de destinations où elle a concouru et gagné des Grands Prix. Avec Cedric, bien sûr, mais aussi en selle sur Anthem (KWPN, Dutchboy x Triton), Liberty (ex-Jolinde, KWPN, Libero H x Nimmerdor), ou encore Miss Independent, sans oublier Simba Run (Ps, Rube the Great x Dark Star). Aujourd’hui, vu le nombre croissant de CSI 5* inscrits au calendrier de la Fédération équestre internationale (FEI), elle privilégie le bien-être de ses chevaux dans ses choix de concours. “Voyager peut être éprouvant pour eux, donc nous essayons de faire au mieux (ou le plus simple possible)”, explique-t-elle.
À son impressionnant palmarès individuel s’ajoutent des performances remarquables collectives à l’image de sa victoire dans la Coupe des nations de Dublin en 2017. Animée d’un véritable esprit d’équipe, elle ne manque pas de saluer ses partenaires et ses chevaux. “Partir en dernier dans une Coupe des nations signifie toujours beaucoup de pression, mais je me sentais assez confiante. Je savais que Confu donnerait tout ce qu’il avait, et que ça irait pourvu que je ne gâche pas tout!”, plaisante-t-elle. “Plus tôt dans la semaine, Robert (Ridland, le chef d'équipe des États-Unis, ndlr) m’avait demandé en quelle position je souhaitais partir. Je pensais qu’il me placerait en ouvreuse, puis il m’a dit: “Je te mets en dernière”; et j’ai répondu “OK, pas de problème…” Grâce au sans-faute de Beezie juste avant, je suis rentrée en piste avec une barre d’avance. J’ai connu des situations plus inconfortables!”
Laura Kraut met toujours à l’honneur ses montures et ses coéquipiers. Elle n’en oublie pas tous ceux qui ont joué un rôle dans son itinéraire d’athlète, à commencer par sa mère, qui a transmis sa passion des chevaux à ses filles dès leur plus jeune âge. Dans un article publié en 2009 par Progressive Show Jumping, Carol Kent avait décrit de quelle manière Laura et Mary Elizabeth s’étaient dédiées exclusivement aux sports équestres dès leur enfance: “Mes filles n’avaient guère d’activités extrascolaires, et il n’est pas question de jouer les pom-pom-girls. Tous les jours c’était les écuries. Naturellement, elles sont toutes les deux devenues cavalières.”
DANS LES PAS DE KATIE PRUDENT ET GEORGE MORRIS.
Laura ne manque jamais de citer la Franco-Américaine Katie Monahan Prudent, mentor et amie de longue date, qui l’a encouragée à croire en son destin olympique et à venir concourir en Europe pour continuer à progresser au contact des meilleurs cavaliers. Sans oublier George H. Morris (depuis suspendu à vie de toute activité équestre par l'organe Safe Sport et la fédération équestre américaine à la suite d'accusations de “comportement sexuel répréhensible impliquant un mineur”), icône de l'équitation américaine. Même si l’ancien entraîneur de l’équipe étasunienne n’a pas pu intégrer Laura et Cedric à son quatuor olympique des Jeux de Londres, en 2012, en raison d’un système de sélection arrivé à bout de souffle, la championne affirme qu’il a été un coach merveilleux doublé d’un véritable mentor. “J’avais tellement confiance en lui. Ses décisions étaient toujours réfléchies. Parfois nous ne comprenions pas ce qu’il faisait ni où il allait, mais quand tout se mettait en place, nous nous disions: “Ce type est un génie, comment a-t-il pu anticiper ça?” Je l’admire beaucoup, et il me manque. C’était vraiment sympa de l’avoir toujours à nos côtés en concours”
Qu’on se rassure, l’Américaine n’a pas coupé les ponts avec son ancien maître. Le 7 janvier 2017, elle a dirigé un atelier d’entraînement intitulé Nations Cup Instruction dans le cadre du Horsemastership Training Session organisé chaque année par George Morris et la Fédération américaine à Wellington, en Floride. À cette occasion, lors d’une Coupe des nations fictive, elle a analysé la technique de douze jeunes cavaliers formés par ses compatriotes Beezie Madden, Anne Kursinski et Lauren Hough. D’après le site internet NoelleFloyd.com, Laura a mis à profit son expérience pour offrir à ses élèves une boîte à outil permettant de mieux gérer la pression. Les trois grands piliers: “Se débarrasser rapidement de la contrainte du temps”, “Analyser au plus vite les problèmes et les résoudre”, “Ne jamais faire de volte, jamais.” Laura Kraut s’épanouit en transmettant sa passion et son savoir, là où Nick Skelton a toujours préféré entraîner des chevaux. “Laura excelle en la matière. Moi, je ne suis pas un professeur”, a-t-il confié à The Horse Magazine. Parmi les anciens élèves de l’Américaine, quelques-uns concourent au plus haut niveau, dont Jessica Springsteen, qu’elle côtoie régulièrement en CSI5*. “Ce qui me motive, c’est de sentir chez une personne le désir et l’ambition que j’avais quand j’étais jeune. Je m’attache alors à l’aider et à lui donner le coup de pouce qui lui permettra de réussir plus rapidement. Sincèrement, j’adore ça”, explique-t-elle. “Enseigner n’est pas évident. Je ne m’inquiète jamais pour l’intégrité physique de mes élèves, mais crains toujours qu’ils n’atteignent pas la réussite qu’ils espèrent. En fait, je dois apprendre à gérer leur déception. Leur enseigner la technique est très facile. Ce qui l’est moins, c’est la partie plus personnelle: gérer leur personnalité, leurs émotions. Étant une compétitrice dans l’âme, il arrive parfois que mes attentes dépassent leur propre volonté de gagner”, avoue-t-elle.
“Pour atteindre l’élite bien installée au sommet du classement mondial, il faut y consacrer beaucoup d’efforts et de temps. La difficulté vient en partie du fait que des champions tels que John Whitaker continuent à performer à plus de soixante ans! Ils montent de très bons chevaux et gardent ainsi leur place dans les équipes. Les jeunes doivent s’accrocher, trouver des montures et des propriétaires pour concourir contre ces champions qui ont tant d’expérience. Dans ce cadre, je trouve réjouissant de voir briller des jeunes comme Lorenzo de Luca, qui gagne presque tout en ce moment. Il est rapide comme l’éclair! Les vieux vont devoir s’accrocher pour le battre, d’autant qu’il n’a peur de rien, qu’il est en parfaite santé et qu’il n’a rien à perdre! Accéder au sommet n’est donc pas impossible. Il faut un énorme talent, mais aussi être sociable et capable de gérer ses propriétaires, sponsors et élèves. Sans oublier d’être un bon manager pour ses chevaux et savoir reconnaître ce qui est bon pour eux de ce qui ne l’est pas”, analyse Laura Kraut.
L’amazone songe également à l’avenir de son sport, en particulier depuis les débats qui ont accompagné la réforme des formats des compétitions olympiques, et notamment le passage aux équipes de trois couples. “Ces dernières années, notre sport n’a cessé de se développer. Disparaître des Jeux olympiques serait vraiment regrettable… Cela étant, si nous en étions exclus, notre sport survivrait. Il prend de l’ampleur et attire de plus en plus de gens. Ce serait un coup dur, mais pas la fin de l’équitation. À mon sens, l’essentiel est que les gens se souviennent que tout n’est pas qu’une question financière. Voir tant d’argent irriguer désormais notre sport est une très bonne chose, mais il faut aussi se rappeler que nos chevaux restent des animaux, qui ne savent pas combien ils gagnent à chacune de leur victoire. Les cavaliers doivent donc être capables de gérer leurs calendriers en fonction des aspects financiers, tout en garantissant le bien-être de leurs montures.”
Alors que la conversation arrive à son terme, Laura Kraut laisse entendre qu’elle n’est encore pas près de raccrocher ses bottes. “La beauté de notre sport est qu’il n’y a pas vraiment de limite d’âge. À vingt-quatre ans, un gymnaste est déjà vieux alors que nous, nous pouvons concourir jusqu’à cinquante ou soixante ans. Alors autant en profiter!”
PALMARÈS (mis à jour)
Jeux olympiques (deux participations, et une troisième en tant que réserviste à Barcelone en 1992): médaillée d’or par équipes en 2008 à Hong Kong avec CEDRIC, sixième par équipes en 2000 à Sydney avec LIBERTY.
Jeux équestres mondiaux (trois participations): médaillée d’argent par équipes en 2006 à Aix-la-Chapelle en 2006 avec MISS INDEPENDENT, dixième par équipes en 2010 à Lexington, médaillée d'or par équipes en 2018 à Tryon en 2018 avec ZEREMONIE.
Finales de la Coupe du monde Longines (neuf participations): cinquième à Las Vegas en 2003 avec ANTHEM.
Titulaire du Prix du fairplay Jack Kelly du Comité olympique des États-Unis en 2003.
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX heroes n°103, en septembre 2017.