Bernard Daney, quand la musique se fait compagne équestre
Certains ne connaissent que la voix discrète et sobre du speaker, quand d’autres se souviennent d’une musique harmonieuse qui nimbe le passage des cavaliers sur les rectangles de dressage. Derrière ces sonorités se cache Bernard Daney, une personnalité reconnue dans le monde du dressage. Rencontre avec celui qui a fait de la musique sa marque de fabrique.
hez les Daney, la passion du cheval se transmet de père en fils. Le 11 janvier 1954, à Aillant-sur-Tholon, dans l’Yonne, la naissance du jeune Bernard ouvre un nouveau chapitre dans la saga familiale. Agriculteur, son arrière-grand-père a en effet développé en parallèle une activité de commerce de chevaux de travail et de boucherie, que son fils puis son petit-fils ont repris ensuite. L’évolution du marché et la diminution progressive de la demande ont cependant raison de ces activités. “Mon père s’est concentré dès lors sur la partie agricole, avec l’aide de ma mère. Pour autant, il y a toujours eu des chevaux de selle à la maison ; je suis monté sur le dos d’un poney avant que je ne sache marcher!”, détaille Bernard Daney, qui ajoute : “Je n’ai pas beaucoup bougé de cet endroit d’ailleurs, car j’habite aujourd’hui à trente kilomètres de là!”
COMBINER LES PASSIONS FAMILIALES.
Le jeune Bernard s’épanouit au contact des chevaux et partage ses journées entre scolarité et heures passées dans un centre équestre. “Mon grand-père paternel m’emmenait régulièrement dans un centre équestre à Auxerre, à vingt kilomètres du domicile familial. J’y ai appris les bases de l’équitation et j’ai commencé à faire un peu de saut d’obstacles puis quelques concours”, se remémore-t-il. “Mon grand-père maternel était musicien et m’a aussi baigné dans sa passion. Vers l’âge de dix ou onze ans, j’ai commencé à jouer dans la formation orchestrale de ma commune en tant que tromboniste.” Le collège terminé, il a fallu faire un choix. “Mes parents ne souhaitaient plus m’emmener au centre équestre. J’ai continué à monter les chevaux de la famille pendant un an ou deux puis j’ai fini par arrêter, car me promener tout seul dans la campagne n’était pas très motivant”, poursuit le futur speaker. Tout en conservant sa pratique musicale, Bernard se tourne vers un BTS horticulture à l’adolescence. “Fraîchement diplômé dans ce secteur, j’ai néanmoins eu la chance d’accéder au conservatoire de Rueil-Malmaison, en région parisienne, et de travailler avec Marcel Galiègue, un des plus grands trombonistes du monde”, note-t-il. L’heure est ensuite au service militaire, effectué en Allemagne au sein de la section musique des forces françaises. L’entrée dans la vie active, au sein d’entreprises du secteur tertiaire, remet finalement à plus tard la pratique de la musique. Mais les passions n’ont pas dit leur dernier mot...
DE LA COMPÉTITION À L’ÉCURIE DE PROPRIÉTAIRES.
Bernard Daney est rattrapé par le virus de l’équitation à l’âge de vingt-cinq ans. “À côté d’Auxerre se trouvait un centre d’instruction des gendarmes auxiliaires, les Cadets, qui fonctionnait avec des chevaux de la Garde républicaine. Je me suis lié d’amitié avec ses gérants et j’ai repris l’équitation, notamment l’attelage et le concours complet.” Expérience familiale oblige, Bernard commence également à acheter et revendre ses premiers chevaux. Il rencontre à la même époque celle qui deviendra sa femme, Guylène, elle aussi cavalière du centre équestre. Nous sommes à l’aube des années 1970 et chacun s’adonne alors à sa passion : le complet pour monsieur, le dressage pour madame. “Nous étions des cavaliers régionaux et je sortais en épreuves C1 (environ 1,25 m, ndlr). Mais quand nous avons fait l’addition de ce que nos deux pensions nous coûtaient, nous nous sommes rendu compte qu’il fallait mieux que nous achetions une ferme… Nous avons eu la très belle opportunité d’acquérir une structure avec de grands terrains à Mézilles, (sise au cœur de la Puisaye et idéalement située à trente kilomètres d’Auxerre et à une heure trente de trajet de Paris, ndlr)”
Cette installation, en 1991, au cœur de grands espaces, intéresse vivement les amis du couple. “Des copains nous ont tout de suite demandé de prendre leurs chevaux en pension. Du jour au lendemain, nous nous sommes retrouvés à la tête d’une écurie de propriétaires”, note avec humour le nouveau gérant des écuries désormais nommées Astola. Passionnée par l’élevage et profitant des quinze hectares à sa disposition, Guylène se lance dans la reproduction de chevaux de sport avec l’aide de son mari. “En moyenne, nous avions deux poulinières, mais il nous est arrivé de monter jusqu’à quatre. Nous avons néanmoins cessé cette activité il y a quatre ans”, détaille Bernard. Qu’ils soient vendus yearlings ou valorisés dans le circuit classique, les chevaux issus de l’élevage ont souvent brillé dans les trois disciplines. Citons ainsi Hard Rock Astola (SF, Singrou x Esma de Fondelyn, AA), monté jusqu’au niveau Pro 1 par l’actuel sélectionneur national de l’équipe de France de para-dressage Philippe Célérier puis exporté en Allemagne, Ehrenrock Astola (BWP, Ehrenwort x First Trinity, Ps), vendu à une cavalière poneys avec qui elle a évolué jusqu’en CCI 2*, et dont Pippa Funnell se serait bien vue devenir cavalière, Jynx Back Astola (BWP, Quaterback x Diorello), monté sur le Petit Tour par le dresseur français Pierre Volla, Life is Good Astola (BWP, San Amour x Diorello), monté par Camille Flament, fille de l’écuyer du Cadre noir Gildas Flament, sur le Petit Tour, ou encore Jack is Back Astola (BWP, Quaterback x First Trinity, Ps), actuellement dans l’écurie de dressage de la Garde républicaine.
L’appel du micro
Outre l’élevage, le couple se lance aussi dans l’organisation de concours. “Pendant dix ans, nous avons organisé des concours de dressage et de complet », informe Bernard, « même si, ces cinq dernières années, nous nous sommes plutôt concentrés sur les concours de dressage”. Le couple Daney accueille alors régulièrement les meilleurs cavaliers de l’époque comme Dominique et Stéphanie Brieussel, Michel Mouré, Serge Cantin, Arnaud Serre, Gilles Siauve, Marie Hélène Syre, etc., et organise les championnats de France Vétérans en 2006 et 2007. “J’ai endossé le rôle de speaker, mais non sans difficulté car j’étais anxieux et peu prolixe en public.” Petit à petit, l’apprenti se familiarise avec le micro et peut compter sur l’appui du couple bien connu du dressage français, Marie-Françoise et Jean-Claude Leterrier, organisateurs du renommé concours national de Saint-Lô. “Ils nous ont bien aidés ici à Mézilles, il était naturel que je fasse de même en retour.”
Nous sommes alors au début des années 2000 et la carrière de speaker de Bernard Daney ne fait que commencer. “Mon activité professionnelle a toujours été basée sur l’aspect commercial. Je me suis donc rapidement demandé comment attirer du public et rendre le spectacle plus vivant.” Le couple Daney assiste un jour aux championnats du monde Jeunes Chevaux de Verden, en Allemagne. C’est un déclic pour le musicien. “J’ai constaté qu’une musique adaptée aux allures du cheval rajoutait quelque chose en plus lors d’une reprise. J’ai souhaité faire pareil en France.” Bernard Daney vient de trouver sa signature. “Les premiers essais ont été maladroits. Une amie m’avait enregistré toutes les reprises des Jeux olympiques 2000 de Sydney et j’avais passé mon temps à les chronométrer. Les premières fois, j’avais fait des montages, comme on fait pour les Reprises libres en musique (RLM), mais une fois que c’était parti, si le cavalier faisait une erreur, j’étais bien embêté!” La solution viendra encore une fois d’Allemagne. “Un jour, j’officiais sur un concours avec Dominique Ribaud, lui aussi speaker. Il m’a expliqué qu’à Aix-la-Chapelle, la musique était mixée en direct et, là, ça a fait tilt! Depuis, je passe par un logiciel, comme peuvent utiliser les DJ, qui permet de faire les enchaînements que je veux.”
Amener de la musique jusqu’aux plus hauts sommets
Bernard Daney sélectionne désormais des musiques pour chaque allure - pas, trot, galop - tout en s’adaptant à la personnalité et à la morphologie du cheval. La musique accompagne les transitions et donnent du corps au couple. “J’ai environ cent quatrevingt packs de combinaisons, mais c’est une recherche permanente”, développe l’expert. “Si je ne connais pas les goûts et les chevaux de mes participants, je vais faire un tour au paddock pour les voir évoluer. J’évite ainsi de mettre des petites musiques légères sur un cheval imposant ou de mettre du Wagner sur un cheval tout fluet. Je suis très éclectique dans mes choix musicaux, je peux très bien utiliser du Haydn, du Brahms, du Mozart ou encore du jazz et du rock’n roll, qui me rappellent mon adolescence.” Dès lors, il n’est pas rare que les cavaliers français sollicitent l’aide de Bernard lorsqu’il s’agit de Reprises libres en musique. “Il m’est arrivé de dépanner des cavaliers qui n’avaient pas prévu de RLM, mais je ne souhaite pas pour autant proposer de la conception de musique. Il y a en France des gens qui font ça très bien. J’ai néanmoins créé une journée de formation sur le thème de la conception d’une RLM, où j’aborde en majorité l’aspect musical.”
Après quinze ans à écumer les plus beaux concours de France, nationaux comme internationaux, c’est la consécration en 2014 avec l’accompagnement musical des Jeux équestres mondiaux de Normandie (JEM). “C’est sans doute mon plus beau souvenir. Didier Ferrer, alors directeur technique des JEM, a proposé mon nom. Les choses se sont faites naturellement, car nous nous connaissons bien pour avoir travaillé ensemble lors des concours internationaux de Vidauban, organisés à l’époque au Domaine des Grands Pins, dans le Var.” En 2018, Bernard est sollicité à Paris pour la finale du circuit de la Coupe du monde de dressage à l’AccorHotels Arena, anciennement intitulé Bercy. “J’ai officié en tant que remplaçant et j’étais ravi. Je peux désormais dire que j’ai fait Bercy, telle une rockstar!”, note en riant Bernard. Avec trois championnats d’Europe Jeunes au compteur, deux en dressage à Fontainebleau et Vidauban, et un en concours complet à Jardy, des Jeux équestres mondiaux et une finale de la Coupe du monde, seuls les Jeux olympiques manquent aujourd’hui au palmarès du speaker français. Peut-être Paris 2024?
UNE VIE DE SOUVENIRS ET UN FUTUR EN MUSIQUE.
Outre ces moments forts, l’homme-orchestre chérit quelques souvenirs plus personnels. “Je garde un bon souvenir de la Grande Semaine 2015. Tous les cavaliers de l’équipe de France étaient présents. Le soir du Grand Prix, le manège était complet, et je me suis amusé à chauffer le public, un peu trop peut-être… Pierre Volla et Badinda Altena (KWPN, Tolando x Goodtimes) étaient à l’époque numéro un français. Le public s’est mis à applaudir comme des fous et j’ai vu Pierre, souriant, avec une main sur la nuque de la jument, comme pour lui dire de ne pas s’inquiéter. Parmi les couples que j’ai adorés, il y a aussi eu Morgan Barbançon avec Painted Black (KWPN, Gribaldi x Ferro).” Incontournable en France, Bernard Daney ne connait cependant pas de sollicitations d’organisateurs étrangers. Pragmatique, il concède que “chaque pays a son Bernard Daney”.
Interrogé plus largement sur la discipline, Bernard estime logiquement que la musique est une piste pour développer le dressage, en France comme à l’étranger. “On peut faire le parallèle avec le patinage artistique, qui a bien réussi jusqu’ici. Je fais partie des gens qui considèrent qu’entre le Grand Prix et le Grand Prix Spécial (en plus de la Reprise libre en musique, ndlr), il y a une épreuve de trop. La formule Coupe du monde permettrait à mon sens d’amener plus de public. J’espère que la Fédération équestre internationale (FEI) permettra bientôt aux cavaliers d’avoir des musiques de pas, de trot et de galop qui soient mixées en direct.” Le speaker estime enfin que, pour les organisateurs aussi, la musique est un levier permettant d’attirer un public plus nombreux. “Ils communiquent plus souvent sur la présence d’une RLM. Peut-être faudra-t-il dire que toutes les reprises sont musicalisées.” À la retraite depuis quelques années, l’homme a désormais tout le temps et le loisir d’officier dans la musique, même s’il a délaissé la pratique du trombone depuis longtemps. “Malheureusement, le trombone n’est pas un instrument qu’on peut jouer le soir, de temps en temps, au coin du feu. Pour être bon, il faut en faire plusieurs heures par jour”, note-t-il. “Je monte toujours à cheval, ceci dit, et je n’ai qu’une envie, repartir en complet! J’ai toujours fait du dressage pour pouvoir faire du cross. Quand on a gouté au cross, senti le cheval prendre du plaisir à aller sur les obstacles, on ne peut que vouloir retrouver ça.” Bernard sera alors accompagné par la simple et douce musique du galop de sa monture.
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX Heroes n°119.