“Je crains surtout les conséquences à long terme de la pandémie”, Jérôme Hurel
Le grand public de l’équitation connaît bien Jérôme Hurel, compte tenu de son omniprésence sur le circuit national, étant presque chaque année le cavalier disputant le plus d’épreuves. Reconnu comme un excellent formateur de jeunes chevaux, le Francilien continue aussi à regarder plus loin, espérant retrouver le haut niveau, voire l’équipe de France, dont il a défendu les couleurs avec Kho de Presle, Ohm de Ponthual et Quartz Rouge, sélectionné pour les championnats d’Europe d’Aix-la-Chapelle, en 2015. En attendant, il porte un regard teinté d’inquiétude sur un monde toujours contraint par la pandémie de Covid-19.
Dimanche, vous avez brillamment remporté le Grand Prix Pro 1 à 1,45m de Saint-Lô avec Farouk de Hus (Z, For Hero x Argentinus). Quel barrage!
Farouk est un petit cheval extrêmement compétitif, doté d’un mental de gagnant à toute épreuve. Il est rapide et intelligent. C’est son deuxième Grand Prix à 1,45m et sa première victoire dans ce type d’épreuve, qui plus est en indoor. Nous avions déjà cumulé quelques parcours à cette hauteur mais ce n’étaient pas de vrais Grands Prix, ce qui rend sa performance très satisfaisante. J’ai pris mon temps pour le lancer dans le bain car c’est un cheval respectueux et généreux. Je ne voulais pas brûler son moral et son énergie en allant trop vite.
À quelles épreuves le destinez-vous à terme?
Bien qu’il n’ait pas toute la force du monde, il compense ce manque par son respect et sa générosité, donc je pense pouvoir viser les épreuves à 1,50m avec lui. C’est vraiment un cheval moderne comme on les aime, qui va vite, qui est énergique et dont on découvre toutes les qualités à mesure que la hauteur des parcours augmente. Le plaisir de la découverte réside aussi dans la surprise: à l’heure actuelle, je serais incapable de dire s’il a les moyens pour sauter des Grands Prix encore plus épais ou s’il s’illustrera davantage dans des épreuves intermédiaires à 1,50m.
Vous êtes connu comme un grand formateur de jeunes chevaux. Pour autant, vous n’avez récupéré Farouk qu’à huit ans.
Je l’ai en quelque sorte formé parce qu’il n’avait sauté que de petites épreuves Amateurs quand il est arrivé dans mes écuries, il y a deux ans. Il n’avait pas connu plus de succès qu’un autre et il ne comptait que quelques sans-faute à son palmarès. Il est arrivé chez moi un peu par hasard. Néanmoins, dès que je l’ai essayé, j’ai senti qu’il avait des qualités, même si j’étais incapable de prédire ce que pourrions faire ensemble. Aussi important soit le travail à la maison, ce sont les concours qui révèlent le potentiel d’un cheval, qui dévoile alors peu à peu tout ce dont il est capable. C’est ainsi que j’ai procédé avec Farouk, le hissant progressivement des épreuves à 1,25m aux Grands Prix à 1,45m, sans brûler aucune étape. De fait, je procède ainsi avec tous mes chevaux, jeunes ou d’âge mûr: je travaille progressivement en fonction de ce qu’ils produisent en concours.
“J’ai besoin que mes chevaux me fassent rêver”
Comment reconnaissez-vous un bon cheval ?
J’ai besoin de monter dessus et de l’essayer, c’est primordial. On peut se faire une idée des qualités d’un cheval en vidéo, par exemple, mais ça ne me suffit pas. Je me fie beaucoup à mon sentiment et j’attache beaucoup d’importance à la locomotion, l’intelligence de l’obstacle. Ce n’est qu’en le sellant que je peux me rendre compte de tout cela. Si un cheval ne présente pas ces facultés, notamment l’intelligence, il pourra devenir relativement bon en travaillant, mais il sera toujours difficile de compenser ce type de défauts. De même, on ne peut pas aller très loin avec un cheval lent, sans le sens de la barre, compte tenu des épreuves qu’on nous propose aujourd’hui. La taille n’est pas non plus un facteur déterminant, comme en témoigne le petit modèle de Farouk. Pour moi, le cheval moderne est typé sport dans son modèle, et il doit avoir envie de coopérer avec son cavalier, ne serait-ce que pour apprendre à s’assouplir correctement.
Qu’est-ce que vous séduit dans la formation des chevaux?
J’adore les voir évoluer de séance en séance, de concours en concours, avec les hauts et les bas que cela implique. J’ai aussi besoin qu’ils me fassent rêver. Vu tout le travail que requiert leur formation, je veux sentir quelque chose qui me donnera envie d’aller loin. En ce moment, j’ai quelques chevaux de cinq et six ans qui m’appartiennent depuis peu et avec lesquels je ressens tout ce plaisir de l’apprentissage. Je sens qu’ils ont beaucoup à offrir, à moi ou à leur futur cavalier.
La plupart de vos montures vous appartenant, leur commercialisation reste votre objectif?
Oui, c’est ainsi que je fonctionne. Quasiment tous restent commercialisables à court, moyen ou long terme en fonction de leur maturité et de leur potentiel. J’attends juste de voir ce qu’ils me donnent en piste, même si c’est évidemment plus compliqué en ce moment.
De fait, la pandémie de Covid-19 ne vous facilite pas la tâche…
L’année a été compliquée pour tout le monde. Après, il faut reconnaître que nous avons quand même la chance de pouvoir continuer à travailler, y compris pendant ce deuxième confinement, ce qui n’était pas le cas pendant le premier, au printemps, où nous nous sommes tous arrêtés. Cette année 2020 ne restera pas dans les annales, mais nous avons fait ce que nous avons pu avec ce que nous avions. D’un autre côté, le premier confinement m’a permis de faire bien travailler mes jeunes chevaux, avec lesquels j’étais un peu en retard, et puis nous avons trouvé d’autres occupations, comme la réfection des écuries, par exemple.
“Si un cheval me permettait de ressortir ma veste bleue du placard, j’accepterais avec plaisir!”
Quel bilan tirez-vous de votre saison?
Il est un peu mitigé. Outre les nationaux, je n’ai eu la chance de pouvoir disputer qu’un CSI 4* de l’Hubside Jumping à Grimaud, en ce qui concerne les belles épreuves. Or, c’est mon but en soi. Par ailleurs, mes chevaux de tête, Icarus van’t Klavertje Vier (BWP, Bentley van de Heffinck x Palestro van den Begijnakker) et Cappucino de Nantuel (SF, Dandy du Plapé x Parco) se sont blessés début septembre, ce qui m’a contraint à me tourner vers le circuit national et les CSI 2*, afin de faire travailler les autres. Cela a permis à Byron du Telman (SF, Lamm de Fétan x Dollar du Mûrier), que je destine aussi au haut niveau, de progresser ces dernières semaines. L’an prochain, il devrait être prêt à sauter des épreuves de niveau 4* avec les deux autres.
Comment envisagez-vous l’avenir, avec une pandémie qui n’a pas l’air de s’éteindre?
À vrai dire, je crains surtout les conséquences à long terme de cette pandémie, sur les organisateurs de concours et les propriétaires, quant à l’argent investi dans l’achat, la formation et la valorisation des chevaux en concours. Cette année 2020, nous avons quand même réussi à la passer cahin-caha. L’an prochain, j’ai peur qu’il n’y ait que des CSI 2* ou 3* avec moins de subventions des collectivités territoriales, que les entreprises qui injectaient de l’argent dans les CSI 4* et 5* ne se rétractent à cause de la crise, que le prix des engagements dans les CSI 3* qui auront survécu augmente et donc que la saison 2021 ne se résume finalement qu’à des nationaux et des 2*. Mon rêve serait de ressauter de belles épreuves en CSI 4* et 5*. C’est pour cela que je prépare mes chevaux, alors devoir rester à 1,45m est moins alléchant. Sincèrement, je ne le fais que parce que ce sont les seules épreuves au programme en ce moment…
Vous craignez donc 2021 soit une deuxième année consécutive de disette. Quel effet cela aurait-il sur les chevaux que vous destinez au haut niveau?
Si mes craintes se confirment, je devrais les vendre. C’est un choix difficile, mais quel est l’intérêt de conserver plusieurs chevaux capables de sauter des Grands Prix s’il n’y en a pas ou en tout cas aucun auquel j’ai accès? Quand il y a du sport, je suis moins vendeur à court terme. Mais sans grand sport, comme aujourd’hui, je dois vendre plus, autant pour vivre que pour donner la chance à mes chevaux de participer à de beaux concours. Là où le bât blesse, c’est que moins il y a de sport, moins il y a de commerce…
Songez-vous aussi à renouer un jour avec l’équipe de France?
Je préfère ne pas trop m’avancer sur cette question, car ce sont les chevaux qui nous disent si nous avons le potentiel pour intégrer l’équipe. Ils doivent être en forme pour avancer au fur et à mesure vers le haut niveau, en sautant des épreuves de plus en plus importantes toute l’année. Or, à l’heure actuelle, je ne peux rien prédire. Toutefois, j’affectionne particulièrement les Coupes des nations et la perspective d’y prendre part à nouveau me motive plus que tout. Si un cheval me permettait de ressortir ma veste bleue du placard, et que l’on me sollicitait à cet effet, j’accepterais avec un immense plaisir!