“Pour accéder à un niveau supérieur, nous devons aller en Italie ou en Espagne, ou bien être milliardaire”, Wilfrid Prudhomme

Ses trois récentes victoires à Barcelone, dont deux Grands Prix CSI 2* consécutifs, ces deux derniers dimanches? L’aboutissement d’un long processus. Wilfrid Prudhomme, cavalier français de saut d'obstacles et instructeur d’équitation, est installé à Sorgues, dans le Vaucluse. Avec sa jument, la bien nommée Une Sauterelle, le pilote a vécu une évolution marche par marche. Avec un sens de la gagne, qu’il a d'ailleurs transmis à sa fille Capucine, qui évolue en catégories Jeunes, Wilfrid Prudhomme semble bien déterminé pour poursuivre son bonhomme de chemin!



Vous venez de remporter deux Grands Prix CSI 2* consécutifs, ces deux derniers week-end à Barcelone. Une Sauterelle a de nouveau montré de très belles choses... Comment avez-vous vécu cet événement? 

Comme l’aboutissement d'un très long processus. Je ne me suis installé dans ma structure qu’à quarante ans. Il y a trente ans, nous évoluions avec des chevaux qui n’étaient pas non plus des cracks, et on nous les reprenait avant que nous puissions accéder à un bon niveau... Je savais déjà que, de mon côté, j’avais du potentiel pour réussir de très bonnes choses. J’ai acheté Une Sauterelle (avec laquelle il a remporté ces Grand Prix, ndlr) à cinq ans, alors qu’elle n’avait encore rien fait en compétition. Elle avait été un peu débourrée et formée dans des chemins, mais sans structure. 

Qu’est-ce qui vous a séduit au départ chez elle? Et comment jugez-vous son potentiel? 

Alain Daure, un bon ami à l’époque où je travaillais près de Nantes, il y a une quinzaine d’années, m'a parlé de cette jument. J’avais vu des annonces et vidéos, mais il n'y avait pas de quoi tomber à la renverse. Alain m'a quand même convaincu d'aller la voir, et m'a dit qu'elle avait vraiment un tempérament pas banal. J’y suis allé car je cherchais un cheval pour un amateur, donc c'était l’occasion. Sur place, l’essai s'est bien passé, mais il y avait beaucoup de travail... Elle avait une manière de sauter totalement atypique mais avec une vraie volonté de bien faire. Manque de bol, la personne qui devait l’acheter ne l'a finalement pas prise et je ne pouvais pas l’acheter moi-même car elle était trop chère... Pas mal de gens l’avaient vue sans vouloir l'acquérir parce qu’elle était compliquée. Comme l'ancienne propriétaire connaissait bien Alain, elle a accepté de me laisser Une Sauterelle pour le prix que je voulais. En fait, cela n’aurait jamais dû se faire! Depuis que je l'ai achetée, nous vivons une progression constante. Elle a sa manière de faire, tant et si bien que pendant ses deux ou trois premières années de concours, personne ne voulait la voir! Catherine Bérart, sa naisseuse, continue de la suivre. C'est une belle histoire!

Quelles étaient vos attentes en vous engageant à Barcelone ? 

J’étais convaincu que j’allais gagner le Grand Prix. Dit comme ça, cela peut sonner vraiment prétentieux, mais je suis très impliqué dans la préparation mentale, et il y a un moment où l’on sent les choses. Cela fait longtemps que je travaille là-dessus, et c’est vraiment un entraînement. On apprend à ressentir les choses, et lorsqu'on les sent de travers, cela nous permet de remettre les choses en ordre. Aujourd'hui, Une Sauterelle est toujours classée dans les épreuves à 1,50m qu’elle fait ou dans des épreuves de CSI 3*. J’avais un peu de mal à aligner trois tours d’affilée sans faute l’année dernière, mais cette année, même en ayant moins couru, nous gagnons en régularité. J’étais confiant à Barcelone, aussi parce qu'il n’y avait pas la même la concurrence qu’à Gorla Minore en Italie, et donc je me suis dit que si j'y croyais un peu je pouvais prendre le trophée! Il y avait quand même Olivier Robert et Pedro Veniss face à moi, donc le challenge était plus dur. Je savais qu’il fallait rester concentré et être plus précis. Nous avons franchi une marche supplémentaire. Les choses se sont goupillées dans le bon sens! Nous nous connaissons par cœur avec ma jument, nous savons où en est notre niveau, donc nous gravissons marche par marche. 

Quels sont vos projets pour la suite? Ambitionnez-vous d'accéder à des niveaux supérieurs? 

Ce qui est difficile et regrettable, c’est que l'on n'a jamais notre place dans des sélections pour des CSI 3 et 4* en France. Si l'on veut accéder à un niveau supérieur, nous devons aller en Italie ou en Espagne, ou alors être milliardaire et pouvoir payer plus de 6 000 euros pour juste poser un pied dans un concours, ce qui est un joyeux scandale. Il y aura bien quelqu’un un jour qui mettra fin à cette aberration... Je suis sûr d’avoir une jument qui peut évoluer à un niveau supérieur, mais je ne sais pas si je verrai un CSI 4* un jour dans ma vie parce que je suis un gars du Sud, et qu'en dessous de la ligne Bordeaux-Lyon, on regarde moyennement ce qu’il y a en-dessous... Je ne veux pas faire de polémique là-dessus, mais je pense que beaucoup se mettent une paille dans l'oeil à ce sujet au haut niveau. Il y a heureusement encore de belles histoires comme Steve Guerdat et Nino des Buissonnets, où c'est bien le meilleur qui gagne à la fin. Quelqu’un comme Pierre Durand, qui monte avec sa tête, qui met un système en place qui lui convient et qui essaie d’optimiser un cheval de très haut niveau même s'il n’en avait qu’un, a eu sa chance en équipe de France.



Votre fille Capucine, sélectionnée en Coupe des nations Enfants et évoluant aussi avec Une Sauterelle et Cayenne BF, a passé elle aussi une année très particulière. Comment cela s’est-il passé pour elle? 

L’année a été pire que tout. Cela fait trois ans que l’équipe fédérale la regarde un petit peu, mais qu’ils voient bien qu’elle n’était pas forcément équipée de chevaux pour aller sauter des épreuves à 1,50m. L’année dernière, elle a participé à des stages de détection au mois de décembre avec Cayenne BF, qui avait six ans, et que Timothée Anciaume avait qualifiée de très mature pour son âge, mais il était hors de question pour eux d’emmener un cheval de seulement sept ans aux championnats d’Europe l'année suivante, ce qui est compréhensible. Olivier (Bost, sélectionneur des équipes Jeunes de saut d'obstacles, ndlr) m'a demandé pourquoi je ne prêterais pas Une Sauterelle à Capucine. Je pensais que Cayenne ferait largement l’affaire. Nous étions largement prêts avec Capucine et elle avait largement sa place en équipe de France, sauf gros accident, mais pas de chance, ses années Enfants arrivaient à la fin... Et il y a eu l’annulation des championnats d’Europe de saut d'obstacles, contrairement à ceux de dressage et de complet, ce qui est particulièrement injuste pour des enfants. Nous aurions aussi pu décaler les championnats... Heureusement, ma fille a du recul sur la question. Personnellement, pour elle, je vis cela comme une profonde injustice. Nous allons continuer notre petit bonhomme de chemin et je vais essayer de lui déblayer la route du mieux possible pour qu’elle évite les écueils par lesquels je passe depuis plus de trente ans. 

Vous dirigez une écurie à Sorgues, dans le Vaucluse, dans laquelle vous faites de la valorisation de chevaux de sport, du coaching et de la pension. Dans quel mesure avez-vous été impacté par la pandémie? 

Je ne vais pas dire que nous n'avons pas été impactés car il faut avoir un peu de décence vis-à-vis des autres, mais c'est sûr que les centres équestres ont beaucoup plus souffert que nous. Même si cela ne représente pas des tonnes, je vends des chevaux, je fais un peu d’élevage de manière artisanale. Je travaille avec des gens très réfléchis et responsables qui comprenaient bien le terme d’essentiel. Mes cavaliers ont bien compris que ces derniers mois ne changeraient pas la vie de leurs chevaux, et même si leurs chevaux leur manquaient, l'inverse n'était pas forcément vrai! (rires) Nous nous sommes beaucoup occupés des chevaux, nous rassurions beaucoup les propriétaires, etc.

Quel bilan tirez-vous de cette saison très particulière? 

Au final, nous sommes restés concentrés sur l’idée de faire évoluer nos chevaux et de faire un travail de qualité. Nous avons plutôt bien traversé la situation je dirais. Je suis rentré de Barcelone lundi midi, et j'ai dû aller chercher un cheval tout de suite après! Julia, une de mes salariées, a mis Une Sauterelle et Cayenne au paddock, et elle m'a raconté que les deux juments sont directement parties en lançades et semblaient très heureuses! Le bien-être de mes chevaux est mon principal axe de motivation. Même si je cherche constamment la performance comme tout sportif, je veux que mes chevaux soient en pleine forme à la maison. Capucine sortira d’ailleurs les deux juments ce week-end dans des épreuves à 1,35m. J’espère que nous aurons une saison comme celle de 2019, en espérant qu’il y ait de nouveau des championnats Jeunes, Amateurs... J’essaie d’être optimiste et constructif!

Revivez le second barrage gagnant de Wilfrid Prudhomme et Une Sauterelle au CSI 2* de Barcelone