“Il faut savoir rendre au sport ce qu’il nous a donné”, Pierre Le Goupil
Chef de piste international de concours complet de niveau 3*, Pierre Le Goupil officie depuis plus de vingt ans dans de grands événements organisés en France et à l’étranger. Nommé fin novembre membre du comité technique de concours complet de la Fédération équestre internationale, il partage pour GRANDPRIX sa vision de la mission qui lui a été confiée au service de la discipline, mais évoque aussi son actualité.
Comment allez-vous en cette fin d’année ?
Je vais très bien. Je suis heureux d’être rentré chez moi après une saison bien particulière. Celle-ci a été un peu moins longue que d’habitude car exempte de déplacements à l’étranger qui, l’année dernière par exemple, m’ont occupé jusqu’à la deuxième semaine de décembre. Cela dit, je viens seulement de rentrer du Pouget. Bien que le concours (qui devait se tenir du 11 au 15 novembre, ndlr) ait été annulé, j’y ai passé quelque temps à construire de nouveaux obstacles pour l’an prochain. Et puis, la saison a été entrecoupée de brefs retours et rencontres familiales du début de l’été jusqu’à maintenant.
Comment avez-vous vécu le confinement du printemps ?
Comme tout le monde: chez moi. En général, au printemps, je sors davantage des frontières hexagonales mais avec la pandémie, tout est bien sûr tombé à l’eau, soit trois concours au Japon, un probable en Russie, et des projets en cours en Chine et à Taïwan. Sous un angle positif, cela m’a donné du temps pour m’occuper de mes proches et de ma maison. En revanche, j’ai trouvé difficile de rester dans l’expectative, l’incertitude, et l’impossibilité de me projeter même dans un futur immédiat. Par exemple, allions-nous pouvoir organiser le Grand Complet au Haras du Pin (qui s’est tenu du 12 au 16 août, ndlr)? Prévoir des parcours, oui, mais quel serait le programme effectif? À quel moment l’événement se déroulerait-il et avec quels moyens? Tout cela a été très compliqué à gérer.
Chaque année, j’officie en France comme chef de piste et constructeur de trois rendez-vous internationaux : Le Pin, Lignières et le Pouget. Cela m’occupe tout de même cinq mois par an. À chaque fois, la décision de maintenir ou annuler ces concours en 2020 a été prise très tard. Et cela a parfois impliqué des modifications de programme. Par exemple, à Lignières, le CCI 4*-S a été transformé en CCI 4*-L pour répondre aux besoins des cavaliers. Dans ces cas-là, évidemment, ce n’est pas juste un jeu d’écritures. Cela suppose de prévoir de nouveaux tracés, de préparer des sols qui ne devaient pas forcément être utilisés, et tout cela à la dernière minute!
Par ailleurs, vous avez dû composer avec un niveau de préparation des couples moindre qu’à l’accoutumée dans les événements qui ont eu lieu…
Effectivement. La Covid-19 a compliqué mon travail en posant la question de l’ajustement des parcours. D’un côté, il fallait proposer une compétition qui tienne la route et ne soit pas juste un entraînement, d’autant qu’une performance à un niveau donné peut offrir une qualification pour le niveau supérieur et qu’il faut que le couple concerné y soit bien préparé. De l’autre, avec les annulations en cascade du début de saison, cette préparation n’a pas pu se faire normalement. Nous n’avons pas vu de chevaux entamer l’été mal préparés ou en mauvais état, la question n’est pas là. Mais arriver au Pin, en août, pour une Coupe des nations de niveau 4*, avec des chevaux qui n’avaient couru qu’une ou deux fois et parfois à des niveaux inférieurs, obligeait à des ajustements sensiblement différents de d’habitude. C’est assez délicat à gérer, d’autant que je n’avais pas vu les participants courir ailleurs plus tôt dans la saison, mais seulement discuté avec les entraîneurs, mes confrères chefs de piste et quelques cavaliers. Fort heureusement, tout s’est bien passé.
J’en profite pour souligner le travail remarquable accompli par Pierre Michelet au CCI 5-L* de Pau, fin octobre. En temps normal, cette épreuve clôture une saison de plus de six mois. Cette année, les chevaux sont arrivés dans le Béarn avec à peine plus de trois mois de compétition derrière eux. Et pourtant, nous avons assisté à un concours fantastique, avec du suspense, des incidents mais aucune chute. Pierre a cartonné, mais j’imagine combien il a dû se gratter la tête…
Les modalités du re-confinement engagé le 29 octobre, permettant notamment de travailler, ont dû en revanche vous laisser un peu plus de liberté?
Absolument. Cela dit, j’étais déjà au Pouget quand Rafaël Mazoyer et son équipe ont pris la décision d’annuler le concours. Quoi qu’il en soit, à partir de ce moment, il ne pouvait absolument plus avoir lieu. Le CCI 5*-L de Pau a pu passer entre les gouttes, mais à une semaine près, il aurait probablement dû être annulé à la dernière minute. Dans la foulée, il y a eu un concours important en Italie, et trois semaines de compétition viennent de s’achever à Barroca d’Alva, au Portugal, où tout s’est quasiment tenu à huis clos dans une enclave où se sont confinés des Européens en mal de concours, y compris des Britanniques. Cela n’aurait pas été possible au Pouget, car la situation sanitaire et hospitalière était très tendue dans l’Hérault. De plus, c’est aussi un événement dont l’équilibre économique repose sur l’accueil de spectateurs et d’exposants, ainsi que sur la restauration. Il a failli avoir lieu a minima, c’est-à-dire sans public et en enjoignant les concurrents à être autonomes sur le plan alimentaire. Cependant, la somme des contraintes ajoutées à la saturation des hôpitaux a raisonnablement conduit l’équipe du Pouget à finalement annuler l’édition 2020. C’était compréhensible et préférable.
“En tant qu’officiel FEI, qu’on le déplore ou non, il faut maîtriser la langue de Shakespeare”
En quoi vos activités de coaching ont-elles également été affectées par la crise?
D’abord, je les exerce de manière particulière, hors de France et très peu en concours. Ces dernières années, j’ai surtout aidé des fédérations d’Europe centrale, dont celles de Bulgarie, de Hongrie et de Biélorussie, en y animant des stages. À l’origine, tout cela a pris sa source dans des programmes de développement et de solidarité de la Fédération équestre internationale (FEI), qui mobilise des aides à destination de ces fédérations afin d’organiser des séminaires dédiés. Ce sont des regroupements spécifiques, qui se tiennent sur quatre jours. Y sont réunis tous les acteurs de la filière du pays à commencer par les officiels, des juges aux stewards en passant par les délégués techniques et chefs de piste, et les entraîneurs. La FEI dépêche sur place trois experts, à savoir un juge de haut niveau, un chef de piste et un entraîneur. L’élite nationale des cavaliers est également rassemblée mais n’a vocation qu’à servir de cobaye. Bien sûr, cela lui offre une occasion de travailler, mais ce n’est pas l’objectif premier du séminaire. L’objectif est de mettre officiels et coaches en situation lors de différents ateliers pratiques et théoriques pendant trois jours, puis lors d’une compétition le quatrième jour. Sur ces bases, on m’a plusieurs fois proposé de revenir animer des stages de préparation au cross pour les cavaliers, incluant des sessions de dressage et de saut d’obstacles sans lesquelles cela n’aurait pas eu de sens. Cependant, la situation politique et économique étant fragile dans ces pays, je n’ai pas eu d’autres opportunités depuis deux ans et demi.
En revanche, j’ai continué à participer régulièrement au programme de développement Equestrian Sport Educative Event (ESEE) de la FEI. Dans la mesure où ces contrats concernent un pays par an mais incluent nécessairement deux sessions, programmées sur un ou deux ans, je participe deux ou trois fois par an à ce type de séminaires. Je suis également mobilisé sur des missions en amont et plus proches de la vulgarisation. L’an passé, par exemple, j’ai été envoyé à Taïwan, avec l’objectif d’expliquer aux cavaliers ce qu’est le complet, de les y initier, d’essayer de trouver des terrains où leur permettre de commencer à s’entraîner… Malheureusement, tous ces activités ont été interrompues par la Covid-19.
L’année 2020 a été marquée par votre nomination au comité technique de concours complet de la FEI, et celle de Benjamin Aillaud au comité d’attelage. Christian Lozano, lui, a été élu président du comité d’endurance. Dans l’histoire moderne de la FEI, jamais la France n’avait été si présente dans ces hautes instances. Comment l’expliquez-vous?
Je ne saurais pas trop dire. La France n’était peut-être pas assez proactive dans ces processus de nomination et d’élection. Au-delà des compétences et de l’expérience des candidats potentiels, une maîtrise minimale de l’anglais est nécessaire. Or, sans vouloir faire injure à mes amis et compatriotes, il y a parfois un manque à ce niveau-là. J’imagine que la situation sera différente pour les générations à venir puisque bon nombre de cavaliers vont à l’étranger pour se perfectionner et voyagent plus régulièrement.
En ce qui me concerne, à la suite d’une visite de Jack Le Goff (cavalier olympique, entraîneur de l’équipe de France aux Jeux olympiques de Mexico puis de l’équipe américaine pendant plus de quinze ans et enfin juge FEI de complet décédé en 2009, ndlr) chez mes parents il y a trente-cinq ans, j’ai eu la chance d’aller travailler au pair en Virginie, chez Julie Ulrich (coach américaine désormais installée en Normandie la plupart du temps ; ancienne cavalière de dressage et de jumping, elle a accompagné ces dernières années de grands cavaliers tels que Kevin Staut, ndlr). Au passage, c’est amusant, car elle était voisine de David O’Connor (Américain sacré champion olympique en 2000 à Sydney, ndlr), qui se trouve être l’actuel président de la commission de complet de la FEI. J’ai passé cinq mois et demi chez elle. Outre une belle expérience équestre, cela m’a permis de me déclencher en anglais. C’est une chance car pour être opérationnel en tant qu’officiel FEI, il faut maîtriser la langue de Shakespeare. Qu’on le déplore ou non, c’est ainsi.
Pourquoi et comment êtes-vous devenu candidat pour intégrer le comité cette année?
Pour être honnête, je n’ai pas spontanément fait acte de candidature. On me l’a demandé et j’y ai été encouragé par des contacts acquis au fil des ans au sein de la FEI. Je me suis donc tourné vers l’équipe de la Fédération française d’équitation (FFE), avec laquelle j’essaie de m’entretenir régulièrement, et qui m’a répondu avoir pensé à moi. J’ai alors fait officiellement acte de candidature auprès de la FFE qui l’a ensuite présentée à la FEI pour un processus long de sept mois, jusqu’à la assemblée générale.
À un moment, selon la formule consacrée, il faut savoir rendre au sport ce qu’il nous a donné. Ensuite, en consultant le descriptif du poste pour savoir de quoi il s’agissait vraiment, j’ai constaté que je pourrais être utile à un certain nombre de missions de la commission. Et puis, de par mon expérience d’organisateur, de cavalier et de chef de piste, je suis concerné par tout ce qui s’y passe. Alors, j’ai été de l’avant.