“Il faut que nos rêves soient grands pour ne jamais les perdre de vue”, Marlon Módolo Zanotelli (partie 1)
Présent sur le devant de la scène internationale depuis près d’une décennie, Marlon Módolo Zanotelli semble réussir tout ce qu’il entreprend. Régulièrement en haut des tableaux de résultats des plus belles compétitions du monde, le Brésilien, travailleur acharné et fondateur d’une activité commerciale florissante, n’en a pas pour autant oublié de fonder une magnifique famille avec son épouse Angelica Augustsson Zanotelli, enceinte de leur troisième enfant. Solidement entouré de ses proches, venus du Brésil afin de l’épauler, rien ne semble pouvoir le faire flancher. Passionné, déterminé et courageux dans le sport, le génie à la veste auriverde doit aussi sa réussite à une tête bien faite, un respect de l’autre et une sympathie sans faille. Entretien.
Comment allez-vous?
Cette année a été vraiment particulière pour tout le monde et nous avons dû nous adapter. Déjà, j’aime bien que chaque cheval ait un programme bien défini en amont de la saison, et depuis la pandémie de Covid-19, cela est devenu compliqué, d’autant que je peux compter sur de très bons chevaux en ce moment, donc cette année tronquée est évidemment un peu dommageable... À la suite du premier confinement, nous avons quand même eu la chance de pouvoir disputer de beaux concours, notamment ceux de Grimaud et de Valkenswaard, ce qui nous a bien aidés. Je fais partie des chanceux car je peux choisir les concours auxquels je veux participer, et ma saison s’est bien déroulée pour moi. Et je dois dire que ce confinement a eu de bons côtés car j’ai pu passer plus de temps en famille!
Quel va être votre programme ces prochains mois?
Mon objectif principal reste évidemment les Jeux olympiques de Tokyo, qui, j’espère, seront maintenus l’été prochain. Cette fin d’année sera très calme, mais je participerai au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera, dont la Coupe des nations du CSIO 3* de Vejer de la Frontera fin novembre (entretien réalisé le 12 novembre, ndlr). Mon épouse, Angelica (Augustsson Zanotelli, cavalière suédoise de saut d’obstacles, ndlr), est enceinte et devrait accoucher début janvier. Donc à partir des fêtes de Noël, nous devrions rester à la maison pour profiter de ce moment. Ensuite, comme chaque début d’année, nous reprendrons la compétition à Oliva. J’espère que la situation sanitaire se sera améliorée d’ici-là et que le calendrier se remplira à nouveau...
Le 29 août dernier, vous avez remporté votre tout premier Grand Prix 5* à Grimaud avec VDL Edgar M (KWPN, Arezzo VDL x Marlon). Que représente cette première victoire à ce niveau?
N’importe quel cavalier espère un jour accrocher un Grand Prix 5* à son palmarès, donc cette victoire est évidemment une énorme satisfaction. Depuis le début de ma carrière, je me fixe des objectifs à atteindre. J’ai commencé par gagner un Grand Prix 2* lorsque j’ai commencé, puis j’ai remporté un Grand Prix 3*, que j’ai finalement décroché après ma première victoire en CSI 4*. Puis, alors que mon objectif était de gagner un Grand Prix 5*, j’ai d’abord été sacré champion des Jeux panaméricains l’année dernière, donc j’ai fait les choses un peu à l’envers (rires)! J’étais très heureux de cette victoire, mais ce qui m’a le plus satisfait, c’est la régularité de VDL Edgar M cette année. Il a enchaîné les bons résultats au plus haut niveau en terminant troisième dans les Grands Prix CSI 5* de Rome, deuxième à Bruxelles, cinquième à Prague puis quatrième à Genève, et je savais que la victoire dans un Grand Prix de cette trempe n’était plus qu’une question de temps et que la chance finirait par nous sourire! Lors du Grand Prix 5* de Grimaud, il y avait beaucoup de cavaliers sans-faute et, pour être franc, je ne pensais vraiment pas pouvoir aller aussi vite ! J’ai appris avec mon père qu’il fallait se focaliser sur son travail et que les résultats suivraient. J’applique cette philosophie au quotidien.
Pouvez-vous revenir sur votre histoire avec VDL Edgar M?
Cela fait désormais trois ans que je travaille en collaboration avec le stud-book VDL. C’est un partenariat génial car, en plus d’être important pour ma carrière, ce sont des gens de chevaux et de vrais professionnels. J’avais déjà plusieurs chevaux de leur stud-book aux écuries et ils m’ont appelé pour savoir si récupérer VDL Edgar M pourrait m’intéresser car son cavalier de l’époque quittait son poste. J’ai alors regardé des vidéos du cheval et je dois dire que j’ai un peu douté car il ne correspond pas, à première vue, à mon style de chevaux. Il est par exemple très grand, contrairement à moi (rires)! J’ai néanmoins accepté de l’essayer et, lorsque je l’ai monté, la sensation de saut et la qualité étaient absolument incroyables. Je me suis dit qu’il fallait que je trouve la solution pour former un couple car il était, selon moi, vraiment spécial. Edgar est donc arrivé chez moi et nous avons réalisé un travail intense sur le plat, aidés notamment de mon professeur de dressage Jan Symons. Nous l’avons fait évoluer afin qu’il convienne davantage à ma monte et à mon système. Il était très bien dressé, mais j’ai voulu le rendre un peu plus léger, car je n’ai pas la force nécessaire pour tenir des grands chevaux. Il a tout de suite montré qu’il était intelligent et a changé assez vite. En 2019, il a pris de l’expérience en réalisant la tournée d’Oliva comme cheval de tête, car je voulais préserver Sirène de la Motte (SF, Apache d’Adriers x Uriel d’Orval) pour les Jeux panaméricains. Il a sauté quelques Grands Prix en commettant parfois des fautes, mais il était encore en phase d’apprentissage. J’ai dit à ses propriétaires que leur cheval serait au meilleur de lui-même en 2020, et tout est finalement allé beaucoup plus vite! À mon retour des Jeux panaméricains, il a enchaîné les classements et a confirmé tout le bien que je pensais de lui. Cette année, nous avions débuté tranquillement afin de monter en puissance jusqu’aux Jeux olympiques, mais la Covid-19 est passée par là...
Quel est réellement son potentiel? Pourrait-il être un cheval de championnat?
VDL Edgar M est un cheval spécial. Il dispose d’une qualité et d’une intelligence de saut hors norme, et de beaucoup de sang. Je pense que c’est un cheval de championnat parce que plus il saute, mieux il saute. Il restera, parcours après parcours, décontracté et concentré. Je crois beaucoup en lui et j’espère que nous irons à Tokyo l’an prochain.
“J'ai promis à Angelica qu’elle pourrait reprendre le sport et qu’elle n’allait pas arrêter!”
Récemment, Diesel GP du Bois Madame (sBs, Cassius x Heartbreaker) a quitté vos écuries pour rejoindre celles d’Émeric George. Pourquoi?
Diesel appartenait à Tal Milstein (marchand de chevaux installé en Belgique, ndlr), avec lequel je travaille depuis plusieurs années. Nous avons vendu beaucoup de chevaux ensemble et Diesel en fait partie. J’aimais beaucoup Diesel, avec lequel j’ai récolté de beaux classements l’an passé. Il dispose d’un grand cœur et d’un super mental. Tal est un marchand donc il est normal qu’il vende ses meilleurs chevaux. Émeric est venu essayer le cheval à la maison et cela s’est très bien passé. Je suis sûr qu’ils vont faire de belles choses ensemble!
En début d’année, vous avez récupéré Kalinka van de Nachtegaele (BWP, Epleaser van’t Heike x Cicero Z van Paemel), qui évoluait auparavant avec votre épouse Angelica Augustsso Zanotelli, et avec qui vous avez déjà disputé quelques Grands Prix 3* et 4*. Comment se passent vos débuts?
Avec Angelica, nous avons décidé, vu la saison calme qui nous attendait, d’avoir notre troisième enfant maintenant afin qu’elle puisse être à nouveau d’attaque pour la saison prochaine. Je lui ai promis qu’elle pourrait reprendre le sport et qu’elle n’allait pas arrêter (rires)! Travailler avec elle au quotidien est passionnant. C’est une cavalière exceptionnelle et elle fait évoluer les chevaux de manière phénoménale. Elle m’a d’ailleurs beaucoup aidé avec VDL Edgar M. Entre les CSI 5* de Prague et Genève, elle est la seule à l’avoir monté car j’apprécie vraiment la manière dont elle le fait évoluer sur le plat et c’est, selon moi, l’une des raisons de notre succès. J’ai une chance énorme de l’avoir à mes côtés. Par conséquent, l’idée est qu’Angelica reprenne Kalinka à son retour. En plus, il y aura sûrement les championnats d’Europe et les Jeux olympiques, donc elle aura une vraie carte à jouer. Kalinka dispose de toutes les capacités pour être prête à attaquer le haut niveau, et leur couple fonctionne très bien.
Vous montez également Icarus (BWP, Douglas x Sioux de Baugy), un étalon de douze ans bien connu puisqu’il a déjà évolué sur la scène internationale avec cinq cavaliers différents. Que pensez-vous de lui?
J’adore Icarus! Nous nous connaissons très bien et il donnerait son cœur pour moi! Il essaie toujours de bien faire. Il a des qualités énormes. Avec lui, je peux gagner une épreuve de vitesse puis sauter un Grand Prix deux jours après sans problème! Il est très respectueux et puissant. Il a récemment quitté mes écuries pour rejoindre sa propriétaire Luciana Diniz car elle souhaite le vendre, et elle va peut-être l’envoyer aux États-Unis vu la situation sanitaire en Europe.
Est-ce que de futurs cracks se cachent dans vos écuries? Sur quels chevaux misez-vous le plus?
Je crois beaucoup en deux chevaux arrivés récemment aux écuries: l’étalon Grand Slam VDL (BWP, Cardento x Heartbreaker) et Obora’s Chloé (AWÖ, Chacco Blue x Lacapo), qui évoluait jusqu’à présent sous la selle d’Olivier Lemmer, ainsi que Chili (Westph, Consolidator x Caspar), une jument de huit ans que je possède avec Enda Caroll (fondateur des écuries Ashford Farm, où a travaillé Marlon durant sept ans, ndlr). Cette dernière ne saute pour l’instant que des épreuves à 1,40m mais elle a toutes les qualités pour du haut niveau. Elle rassemble tout ce que l’on recherche chez un bon cheval: du sang, des moyens, beaucoup de respect et une vraie intelligence. Nous devons lui laisser le temps de mûrir et lorsqu’elle sera prête, elle devrait être incroyable. Nous avons également trois prometteuses juments de sept ans: Chadora Lady (OS, Chacco Blue x Nintender), Danna RJ (BH, Quiz Time x Candidus), qui est d’ailleurs née au Brésil, et Djinn de Riverland (SF, Vigo d’Arsouilles x Dollar du Mûrier), en copropriété avec son naisseur. Ce dernier est très respectueux et a beaucoup de sang. Nous allons au rythme de chacun, mais ils ont tous la qualité intrinsèque pour atteindre le plus haut niveau.
“Nous avons créé un esprit d’équipe incroyable”
Votre partenaire Sirène de la Motte n’a disputé qu’un seul CSI 1* à Opglabbeek mi-juillet depuis les Jeux panaméricains de Lima, en août 2019. Comment va-t-elle?
Sirène a eu du repos après les Jeux panaméricains car elle l’avait mérité, mais aussi parce qu’il n’y a pas eu de saison de concours qui en vaille la peine. Nous allons la laisser tranquille jusqu’à la fin de l’année et nous verrons ensuite...
Comment était-elle arrivée dans vos écuries?
J’ai quitté Enda Caroll et Ashford Farm fin 2016 après sept ans de collaboration. Juste avant de partir, avec Enda, nous étions allés essayer quelques chevaux chez François Mathy (grand marchand de chevaux belge, ndlr), dont Sirène faisait partie. Je l’ai fait sauter et l’ai immédiatement adorée. Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme prévu et nous n’avons pas pu l’obtenir. Mais quelques mois plus tard, j’ai reçu un appel de François Mathy, qui m’a expliqué qu’il avait discuté avec le propriétaire de Sirène, et ils m’ont proposé de me la confier. J’ai évidemment accepté! Nous venions tout juste de nous installer à notre compte avec Angelica et nous n’avions que deux ou trois chevaux à l’écurie. Notre connexion s’est rapidement établie puisque nous avons remporté le Grand Prix 2* de Sentower lors de notre deuxième sortie! L’année suivante, elle a tout de suite brillé dans des Coupes des nations, et a notamment signé l’unique double sans-faute dans celle du CSIO 5* d’Hickstead. Nous étions présélectionnés pour les Jeux équestres mondiaux de Tryon, mais nous nous sommes retirés de la course après discussion avec son propriétaire, car il trouvait que l’événement se déroulait trop loin et que les conditions n’étaient pas optimales. L’année suivante, il y avait les Jeux panaméricains et Philippe Guerdat venait d’arriver à la tête de l’équipe (après avoir été poussé dehors par la Fédération française d’équitation, ndlr). Ayant eu vent de ce qu’il s’était passé l’année précédente pour les JEM, il m’a proposé de discuter lui-même avec le propriétaire afin de lui expliquer les enjeux de cette échéance et son importance. Cela m’a beaucoup aidé car Philippe représente la fédération et sa parole avait plus d’impact. Nous avons ainsi pu mettre en place un super programme pour la jument afin qu’elle arrive au mieux à Lima pour ces Jeux panaméricains.
Vous avez brillement été sacré champion individuel à l’occasion de ces Jeux avec elle. Que représente ce premier titre individuel à vos yeux?
Cette victoire est l’accomplissement d’un rêve familial. Mon père a toujours cru en la réussite de sa famille dans les sports équestres. Nous venons d’un tout petit village du nord du Brésil, où presque personne ne s’intéresse aux chevaux, et lorsque les gens entendaient mon père et ses rêves, ils pensaient tous qu’il était fou! Lui, tel un vrai homme de cheval, était convaincu et savait que le travail finirait par payer car c’était le seul moyen d’y arriver. Il pensait grand. En 1994, alors qu’il faisait du concours complet, il a vendu la maison familiale et acheté un petit camion dans lequel il nous a fait vivre, ma mère, mes trois frères et moi-même, et avec lequel nous allions de concours en concours. Il faisait tout pour les chevaux et il nous a transmis cela. J’ai toujours dit à mon père qu’il devait écrire un livre pour raconter son histoire, mais il a toujours refusé. Quelques jours après avoir remporté ces deux médailles d’or aux Jeux panaméricains, il m’a dit qu’il était prêt pour écrire son livre car l’histoire était complète! Ce titre a symbolisé la réussite de toute notre histoire familiale. Nous avions réussi tout ce que nous voulions. En plus, j’ai appris plus tard que Rodrigo Pessoa (considéré comme le plus grand cavalier brésilien de la discipline, ndlr) a tout gagné, sauf l’or aux Jeux panaméricains! Ainsi, nous avons inscrit notre famille dans l’histoire des sports équestres brésiliens.
Vous avez également remporté l’or par équipes aux côtés de Pedro Veniss, Rodrigo Lambre et Eduardo Pereira de Menezes. Comment avez-vous vécu ce sacre par équipes?
En fait, nous avions remporté cette médaille déjà trois semaines auparavant. Nous étions plongés dans une ambiance d’équipe indescriptible créée par Philippe Guerdat. Une ambiance que je n’avais jamais vue auparavant. Avant de partir à Lima, nous avons passé du temps ensemble en Europe pour nous entraîner et nous souder. Sur place, nous avions une maison où nous vivions tous ensemble et où nous organisions de grands dîners avec les grooms. Nous avons créé un esprit d’équipe incroyable. Une fois la compétition démarrée, nous étions dans le village dédié (les Jeux panaméricains sont organisés sur le même principe que les Jeux olympiques avec le village des athlètes, etc., ndlr), et nous vivions tous dans le même appartement et passions nos journées ensemble. Cela a fait la différence selon moi. À pied comme à cheval, nous avons tout fait ensemble. Nous avons dû faire face à un moment compliqué lors de la deuxième manche de la Coupe des nations après qu’Eduardo de Menezes a commis huit points. Rodrigo restait à partir et nous sommes allés tous ensemble autour de lui pour l’aider à se concentrer. Rodrigo a alors signé un sans-faute et cela nous a offert le sacre. Je garde un souvenir fantastique de cet esprit d’équipe qui nous a fait passer un championnat inoubliable.
Cet entretien, dont la deuxième partie sera publiée demain, est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.