Pour Odile van Doorn, tout a commencé avec Ifs… et Jean-Maurice Bonneau

Qu'ils collectionnent les honneurs ou multiplient les victoires, tous les champions gardent en tête le souvenir d'un cheval qui, à défaut d'avoir marqué leur carrière avec un titre ou les esprits, a joué un rôle dans leur chemin vers le succès. Dernièrement, Gilles Bertran de Balanda confiait à GRANDPRIX le souvenir de Sigurd, le cheval de ses débuts, si cher à son cœur. Cette semaine, c’est Odile van Doorn, incontournable figure du dressage en France, qui a accepté d’évoquer son tout premier cheval, Ifs, et le souvenir d’un moment passé en compagnie d’un autre grand nom des sports équestres qui changea du tout au tout sa vision de l’équitation.



© Collection privée

Quel cheval a marqué le début de votre vie de cavalier? 

Mon tout premier cheval s’appelait Ifs. Il est arrivé dans ma vie en 1978, à une époque où j’étais encore relativement novice en équitation. J’avais alors dix-huit ans, et lui quatre. C’était un grand Selle Français doté d’une belle amplitude et qui faisait preuve d’une grande régularité et de suspension dans sa cadence. C’est d’ailleurs ce qui m’avait impressionné quand je l’ai essayé et ce qui a fait que c’était lui que je voulais absolument. 

Quelle a été votre évolution ensemble? 

Comme tout le monde, j’ai commencé par ce que l’on appelait à l’époque les épreuves de quatrième catégorie, puis de troisième catégorie, dans lesquelles le cheval se montrait très studieux et appliqué. Je travaillais à l’époque chez Marietta Almasy et elle m'a donné les clés pour lui apprendre à faire des épaules en dedans, tenir le contre-galop, partir au galop du pas, etc. Avec Ifs, je n’ai pas été très loin car il avait du mal à exécuter les changements de pieds. Nous avons donc évolué jusqu’en deuxième catégorie, ce qui correspondait à peu près aux épreuves Amateur 1 et Amateur Élite d’aujourd’hui. Techniquement, j’étais bien encadrée et le cheval avait une telle locomotion que les résultats sont arrivés assez rapidement et nous nous sommes vite retrouvés bien classés dans de petites épreuves. Or, à ce moment je me suis fourvoyée en pensant qu’il suffisait de bien réaliser les figures et d’avoir un cheval doté d’une belle locomotion et qui présentait bien...

Pourquoi ce cheval vous laisse-t-il un souvenir particulier? 

Quelques-temps plus tard, j’ai monté ma propre écurie et un jour où je n’avais pas de moyen de transport pour me rendre en concours, j’ai demandé à mon ami Jean-Maurice Bonneau, à l’époque cavalier chez Jean Rochefort (il montait son étalon Nashville III, ndlr), s’il voulait bien nous emmener mon cheval et moi sur le terrain. Il a gentiment accepté et sur le chemin du retour, après avoir assisté à notre reprise, il m’a parlé de ce qu’il avait vu. Je ne m’attendais pas à ce qu’il fasse des commentaires particuliers dans la mesure où il était cavalier de saut d’obstacles, je pensais qu’il ne s’intéressait pas au dressage. Mais il m’a dit: “Tu sais, je trouve que ce serait mieux si ton cheval engageait un petit peu plus les postérieurs et si tu augmentais la propulsion en travaillant notamment sur des incurvations.” Il était sûr que de cette manière, le cheval passerait mieux son dos. D'un seul coup, cela m’a ouvert un univers complètement différent et je me suis rendu compte, après y avoir longuement réfléchi, qu'il y avait un énorme travail à faire sur la biomécanique du cheval. J’avais cru qu’il suffisait d’apprendre à son cheval à faire des cessions à la jambe, des épaules en dedans, puis des appuyés, comme on apprendrait à un chien à s'asseoir et qu’au fur et à mesure des progrès techniques, ces exercices allaient permettre de développer la musculature du cheval. Je pensais que l'exercice était un objectif en lui-même, mais je ne m’étais pas rendue compte qu’à travers l'exercice, il fallait chercher quelque chose. Et d’un seul coup je me suis aperçue qu’on pouvait envisager de faire fonctionner la biomécanique du cheval à travers certains efforts, ce que je n’avais pas imaginé. C’est une drôle d'anecdote car cette révélation m’est venue d’un cavalier devenu entraîneur de l’équipe de France de saut d’obstacles. Cela m’a ouvert les yeux et m’a guidée vers une réflexion plus profonde qui m’a certainement beaucoup aidée pour la suite de ma carrière. À partir de ce moment, je me suis mise à réfléchir sur l’effort gymnique et le développement du potentiel mécanique du cheval, ce qui m’a emmenée à faire travailler des chevaux qui n’avaient pas forcément une locomotion exceptionnelle, mais qui, étant en bonne santé, se sont révélés dans de très belles épreuves.

© Collection privée



Quel impact cet épisode a-t-il eu sur la suite de votre carrière?   

Aujourd'hui, quand je demande une épaule en dedans, je peux chercher l’engagement du postérieur intérieur, la capacité à prendre du poids sur le postérieur extérieur, l’ouverture de l’épaule interne, le soulèvement de l’épaule externe... La figure est toujours la même, mais il s'agit de souligner un effort plus marqué sur une zone précise du corps du cheval. Cette réflexion, provoquée par Jean-Maurice Bonneau, m’a permis de faire un grand pas en avant à une période où, venant de m’installer, je commençais tout juste à m'entraîner seule. J’avais à la fois trop de travail et pas assez de moyens pour pouvoir aller travailler avec quelqu’un d’autre de temps en temps. Avant d’accéder aux stages proposés aux cavaliers de l’équipe de France, j’ai ainsi pu former mes chevaux moi-même, en partant toujours de cette réflexion. Comme je suis une personne très littéraire, j’ai aussi appris beaucoup de choses grâce aux livres, mais ce sont deux choses distinctes que de comprendre et de faire. Encore aujourd'hui, le conseil de Jean-Maurice Bonneau nourrit ma compétence et ma façon de travailler avec les chevaux. Je ne lui en ai jamais reparlé car à la suite de cet épisode, il a mené sa carrière et moi la mienne, sans que nous ne nous recroisions immédiatement.   

Mon parcours avec Ifs, parti de cette discussion, est ce qui m’a fait basculer d’une simple cavalière de dressage à quelqu’un capable de d’améliorer et développer le potentiel de sa monture pour en faire un véritable athlète. J’aurais pu rester monitrice d’équitation et monter en dressage au niveau amateur, mais cet épisode m’a permis de devenir une dresseuse et d’emmener mes chevaux au plus haut niveau. J’ai toujours adoré monter à cheval, mais au départ, je n’avais pas forcément envie de devenir cavalière de compétition car j’aimais aussi beaucoup enseigner. Pourtant, ce déclic a fait que mon club s’est petit à petit transformé en écurie de propriétaires uniquement axée sur le dressage et c’est ainsi que je me suis mise à former et dresser les chevaux d’autres personnes.  

Qu’est-il devenu?  

J’ai dû l’arrêter quand il a eu dix-huit ans pour lui offrir une retraite et il est parti de sa belle mort dans un pré. Il a bien rempli son rôle car grâce à lui, à ce moment charnière où je me lançais dans une carrière professionnelle de façon indépendante avec toutes les difficultés que cela représente, il est parvenu à me faire conserver l’envie de travailler les chevaux et de réfléchir. Il m’a permis de me construire une technique et de rester dans le circuit. Je pense que si je n’avais pas eu ce cheval à ce moment-là, j’aurais été comme beaucoup aspirée par le travail d’enseignante et les contraintes que cela représente. Aujourd'hui, je me trouve davantage dans une posture d’entraineur de dressage —aussi bien pour des chevaux que pour des cavaliers— que de monitrice d’équitation. À ce moment de ma carrière où s’offraient à moi différentes possibilités, Ifs m’a révélé quelque chose.