“J’aimerais apprendre aux cavaliers marocains à être de vrais hommes de cheval”, Philippe Le Jeune
Philippe Le Jeune est de ceux qui ne s’arrêtent jamais. Cavalier belge de renom, il a notamment été a associé à Vigo d’Arsouilles (par Nabab de Rêve et Illico d’Arsouilles par Fleuri du Manoir), qui l’a mené jusqu’au titre de champion du monde en individuel aux Jeux équestres mondiaux de Lexington, en 2010. Le Belge fait aujourd’hui profiter de son expérience à l’équipe nationale marocaine en tant que sélectionneur et entraîneur. Revenu de sa première semaine au Maroc, Philipe Le Jeune a accordé un entretien à GRANDPRIX.
Comment vous sentez-vous dans vos nouvelles fonctions de sélectionneur et entraîneur du Maroc??
Je vais très bien, j’ai beaucoup de travail mais ça me plaît. On a la chance d’être en bonne santé malgré la Covid-19. Je rentre tout juste du Maroc. J’ai une propriété où tout le monde vit, mon personnel, mes grooms cavaliers, etc. On est une dizaine mais tout le monde est là comme une grande famille, on fait tous attention. J’ai créé quelque chose de vraiment super, vous pourrez poser la question à Abdelkebir (Ouaddar, ndlr) qui veut absolument venir chez moi.
Comment votre séjour au Maroc s’est-il passé ?
J’étais au Maroc pour la première fois la semaine dernière et j’ai pu rencontrer tous les cavaliers que je n’avais pas encore vu. J’ai bien entendu déjà rencontré et travaillé avec ceux qui étaient au Sunshine Tour de Vejer de la Frontera, en Espagne (où le Maroc a validé sa qualification par équipes pour les Jeux olympiques, ndlr). Ceux-ci étaient déjà passés en Belgique. Tout le monde est rentré ensuite au Maroc pour que les chevaux puissent se reposer et j’ai pu rencontrer tout le monde. J’ai pu voir l’écurie fédérale qui est un lieu extraordinaire, autant pour les chevaux que pour les cavaliers. J’ai pu travailler avec une trentaine de couples l’après-midi, en plus de ceux l’équipe fédérale. Pour ces derniers, le travail restait léger. J’ai pu découvrir les chevaux, les faire évoluer, apprendre à connaître tout le monde.
Pourquoi avez-vous accepté d’être sélectionneur de l’équipe du Maroc?
Au départ, c’était pour entrainer Abdelkebir Ouaddar pour sa Majesté le roi Mohammed VI. Le prince Chérif Moulay Abdallah Ben Ali Alaoui, président de la Fédération équestre marocaine était content de mon travail avec Kébir et trouvait que nous formions une bonne équipe. Entrainer une équipe comme celle du Maroc, c’était quelque chose qui me tenait à cœur depuis longtemps. Je n’avais pas forcément envie d’évoluer avec une grande nation équestre, je voulais plutôt lancer et créer quelque chose avec ma vision et ma façon de faire avec les chevaux. Les cavaliers marocains ont d’ailleurs une grande chance d’avoir sa Majesté le roi Mohammed VI, que je n’ai pas encore pu rencontrer, et le prince Abdallah, qui sont vraiment derrière le développement et le soutien des sports équestres au Maroc. C’est une grande chance d’avoir de grandes personnes derrière le sport, le prince Abdallah a tout mon respect et je ferai tout pour que l’équitation marocaine continue de progresser.
Pouvez-vous faire un tour d’horizon des cavaliers qui composent votre équipe?
Le cavalier de tête est évidement Abdelkebir Ouaddar. Il est très bon et celui qui compte le plus d’expérience?: il a couru les Jeux olympiques, aux jeux équestres mondiaux et gagné plusieurs Grand Prix CSI 5* (avec Quickly de Kreisker, dont il vient d’annoncer la retraite sportive, ndlr). Ghali Boukaa est également un cavalier d’expérience. Le benjamin de l’équipe, Samy Colman a vingt-cinq ans et montre beaucoup de talent. L’équipe peut également compter sur Leïna Benkhraba, Hicham Frid et Simo Azoum. Ce sont les sept cavaliers que j’ai fait travailler lors de leur venue en Belgique. Ils ont beaucoup de talent mais, je pense qu’ils peuvent encore s’améliorer techniquement et dans le travail sur le plat. Ils ont néanmoins de réelles qualités à l’obstacle, où ils montrent de belles choses. Il y a beaucoup de lacunes sur le plat, mais à mon avis, c’est le cas de beaucoup de nations. J’aimerais leur apprendre à être de vrais hommes de chevaux, apporter aussi d’autres choses comme une vraie expérience de maréchalerie. Je suis venu avec un ami et très bon maréchal Antoine Corona, qui va fonctionner avec celui qui exerce déjà sur place. Je vais leur donner toute mon expérience.
“Je ne suis pas le genre de cavaliers à courir les concours au détriment des chevaux”
Comment abordez-vous l’échéance des Jeux olympiques de Tokyo, pour laquelle l’équipe du Maroc a été repêchée après la disqualification du Qatar?
Ce qu’ils ont fait de très bien, c’est qu’ils ont pu se qualifier tous les quatre, pour moi c’était un beau succès. J’ai râlé un peu contre eux (rires) dans la deuxième manche à cause d’un petit relâchement qui leur a fait glisser une deuxième place entre les doigts. Ils ont découvert un chef d’équipe qui veut du résultat et de la performance. Pour eux, les Jeux olympiques sont une nouveauté, hormis pour Abdelkebir. Il y a des très bons chevaux, même nous avons encore du travail avant d’être fins prêtes pour les parcours olympiques. Nous y allons avant tout pour y obtenir le meilleur résultat possible. Avec mon expérience?: cent quarante-huit Coupes des nations et ayant connu six chefs d’équipe, je sais ce que j’aurais voulu qu’on me dise ou qu’on ne me dise pas quand j’étais en équipe. C’est sur ce point-là que je vais avoir une aide véritable à leur apporter. J’irai en compétition avec des chevaux en santé, bien travaillé, prêts physiquement et techniquement, etc. Je ne suis pas le genre de cavaliers à courir les concours au détriment des chevaux. C’est la santé et le bien-être des chevaux qui passe en premier et nous comptons emmener l’équipe en avant avec cet état d’esprit.
La qualification du Maroc in-extremis n’a-t-elle pas été difficile à gérer, notamment en ce qui concerne l’achat des chevaux et la préparation?
Non, pas spécialement. Avec mon système de travail, les chevaux sont restés les mêmes mais ils se sont tous améliorés avec les résultats que nous avons fait au Sunshine Tour. Ils ont chacun un très bon cheval de Grand Prix et d’autres de huit ou neuf ans qui ont beaucoup de potentiel mais qui sont encore un peu jeunes.
Vous entraînez Abdelkebir Ouaddar depuis quelques mois. Est-il installé chez vous?? Comment se passe votre collaboration avec l’équipe?
Je connaissais Abdelkebir Ouaddar depuis longtemps, donc cela se passe très bien. Il n’est pas installé chez moi mais la Fédération a loué une écurie à côté d’Anvers. L’important dans cette collaboration a surtout été de ressouder l’équipe. J’ai pour leitmotiv “l’union fait la force” et j’axe notre travail là-dessus. Je suis anti-critique si ce n’est pas constructif. Je sais que partout il y a toujours des?“chouchous”, mais je n’ai jamais aimé cela. Chez moi, il n’y a pas de favoritisme. Nous avons eu une réunion au début de notre collaboration et j’ai été très clair. Ce n’est pas parce qu’Abdelkebir Ouaddar est le cavalier de tête qu’il sera le favori, il n’y en a pas chez moi.
“Abdelkebir Ouaddar ne sera pas le favori, il n’y en a pas chez moi”
On l’a vu avec de nouveaux chevaux dernièrement, notamment Mister d’Eclipse et Happily du Seigneur. Qui sont-ils?? A-t-il retrouvé un cheval capable de prendre la relève de Quickly de Kreisker?
Il a un super cheval qui s’appelle Istanbull V.H Ooievaarshof (BWP Casall x Utopica VH Ooiervaarshof) mais qui est compliqué et avec lequel j’ai aussi travaillé. J’ai de l’expérience avec ce genre de chevaux et c’est plus facile pour moi de comprendre leur fonctionnement quand je les connais. On peut alors juger des embouchures, du travail à accomplir... Istanbull est délicat et très émotif mais il va au feu. Il est vraiment respectueux et dispose de beaucoup de moyens. Ils ont déjà de très bons résultats même si la confiance entre les deux ne s’est pas installée tout de suite. Pour ce qui est de Mister d’Eclipse je l’ai vu être monté par Jean-Charles Grandmontagne, en Belgique. C’est un cheval très sérieux même s’il a huit ans, il va vite pouvoir tourner en Grand Prix sans exagérer au début mais il a un très beau geste, que j’aime beaucoup. Quant à Happily du Seigneur, je l’avais vu en France avec Allan Pacha et lors de l’expertise à trois ans. C’est un cheval avec une très bonne qualité de saut, un véritable chat. Il a beaucoup de caractère, mais pour moi, tout crack peut avoir du caractère. Il a été très bien emmené par Allan Pacha. Ce sont des chevaux encore un peu verts et c’était ce que je cherchais. Kébir a une monte assez naturelle, simple, comme il faisait avec Quickly. Il s’adapte très bien aux chevaux. Pour moi c’était inutile d’aller chercher des chevaux chez des cavaliers de renommée, car cela n’allait pas s’accorder avec la monte d’Abdelkebir.
Continuez-vous votre activité d’écuries thalasso chez vous, en Belgique?
Oui, toujours ! Je suis un grand travailleur, je n’arrête jamais. Ils ont découvert cela de moi au Maroc. Je travaillais les chevaux au haras fédéral, j’en faisais sauter à peu près trente, je m’occupais de la fille d’une amie du prince. J’adore faire travailler les enfants. Le prince a demandé si je ne m’arrêtais jamais de travailler et Abdelkebir a répondu qu’on ne savait pas où j’allais chercher mon énergie. J’ai toujours des appels, j’organise les plannings, même si pour moi c’est le plus compliqué. Je suis un homme de terrain mais j’ai la chance de compter la secrétaire de la fédération, qui me donne un véritable coup de main.
Finalement, le monde du sport de haut niveau semble avoir moins mal vécu cette période que ce qui était attendu car de nombreux cavaliers, notamment ceux de très haut niveau, ont pu enfin poser leurs valises et arrêter de courir tous les week-ends. Partagez-vous ce constat?
Pour moi, je pense que le ralentissement a fait du bien autant aux chevaux qu’aux cavaliers. Je pense que cette pause va permettre de voir émerger de nouveaux chevaux l’année prochaine avec des cavaliers qui ont pu travailler plus tranquillement. Pour moi, cela positif.
Quel regard portez-vous sur l’état de la filière, notamment en Belgique? Les professionnels du secteur équestre belge ont-ils beaucoup souffert?
Le rythme a beaucoup changé pour les cavaliers belges mais cela a fait du bien aux chevaux. Nous nous sommes arrêtés pendant deux ou trois mois puis la plupart a reprit gentiment avec les CSI 2*. Le commerce, lui, ne s’est pas arrêté hormis lorsque personne ne pouvait plus bouger bien sûr. La clientèle étrangère est rapidement revenue, même si moi-même je ne suis pas très tourné dans les ventes de chevaux. Personnellement je n’ai pas ressenti un gros impact de cette crise. Je comprends que les cavaliers qui gagnent les CSI 5* ont dû trouver un manque à gagner, heureusement, des gens comme Sadri Fegaier (organisateur de l’Hubside Jumping à Grimaud, ndlr) ont pu maintenir des CSI 5* pour eux.