Hier matin, vous avez publié une lettre ouverte en réponse à la critique d’une internaute, qui vous reproche d’avoir pratiqué du rollkur ou du “Low, Deep and Round” (LDR) dans une vidéo publiée sur vos réseaux sociaux. Quel regard portez-vous là-dessus ?  

Deux volets me posent problème : le premier est technique et le second concerne la liberté d’expression. Concernant le volet technique, pour diverses raisons, il s’agit d’un sujet difficile à aborder, en premier lieu car tout le monde n’a pas le même bagage et une expérience comparable. Nous ne parlons pas tous des mêmes choses. Vraisemblablement, il y a par ailleurs des avis qui s’opposent. Nous parlons presque des langues différentes lorsque l’on en vient à parler de technique, car nos expériences et nos chevaux ne sont pas les mêmes que ceux de nos interlocuteurs. En ce qui nous concerne, nous entraînons nos chevaux dans un cadre technique rigoureusement défini par la Fédération française d’équitation sous l’égide de la Fédération équestre internationale (voir l’Echelle de Progression et les différents règlements). 

Pour ce qui est du second volet, il concerne donc la liberté d’expression, d’informer et de partager du contenu. Et ce sujet me pose davantage de problèmes et me touche particulièrement. Transposé à une échelle sociétale bien plus alarmante, cela revient à stigmatiser un groupe pour ses pratiques et préférences, c’est inacceptable. Je trouve que chacun doit être libre d’exprimer le fruit de son travail sans avoir à craindre un quelconque retour de bâton. Hier, j’ai reçu des centaines de messages de professionnels très sérieux, qui ont une expertise, une compétence et de la reconnaissance. Tous nous remercient pour la lettre ouverte, car eux n’osent parfois même plus mettre de photos ou de vidéos en ligne par peur d’être harcelés. Je ne suis pas experte en politique ou en droit, mais je crois que si l’on sort cela du simple contexte équestre, c’est extrêmement grave. Nous nous battons contre cette atteinte à la liberté d’expression, car nous trouvons cela grave et inacceptable. Il y a me semble-t-il des possibilités pour exprimer son point de vue sans nuire à autrui. Je crois que c’est ce que nous faisons au travers des vidéos et articles publiés sur nos comptes. Je ne peux pas croire que les gens n’osent pas s’exprimer car ils ont peur de se s’exposer à des violences. Ça suffit ! D’autant plus que ce sont les un pourcent de détracteurs qui créent ce climat de méfiance. Cela fait des années que nous ignorons leurs attaques, mais je crois que tout le monde a le droit de s’exprimer et qu’il ne faut pas que la sphère d’expression sur les réseaux sociaux soit réservée au faible pourcentage de gens qui ont le temps et la volonté d’écrire des horreurs. On ne peut pas leur laisser toute la place et il est de notre devoir de faire valoir la nôtre. Nous sommes des sportifs et cavaliers professionnels, nous avons toute la légitimité pour nous exprimer dans notre domaine d’expertise et nous devons récupérer cette place. Nous n’exigeons pas le monopole de la parole mais ne pouvons accepter d’être réduits au silence. Il est peut-être de notre ressort d’être plus proactifs plutôt que de courber l’échine et prendre les coups. Face à des attaques personnelles de ce type, j’ai pleuré plus d’une fois, de peine et de découragement et je pense que c’est le cas de beaucoup de cavaliers. Nous travaillons trois cents soixante jours par an, parfois dans des conditions très difficiles, donc évidemment que nous faisons ce que nous pensons être le plus juste pour le bien être et le confort de nos chevaux. Nous ne devrions pas être encouragés à nous sentir honteux et confus alors que dans la plupart des cas, la majorité d’entre nous n’avons rien fait de mal. Bien sûr qu’il y a des abus et des maltraitances animales, nous les condamnons tous. Mais ne mélangeons pas tout. Ne pas s’accorder sur les méthodes d’entrainement ne veut pas systématiquement dire que l’un des camps se montre abusif. Il faut savoir raison garder. 

À travers vos réseaux sociaux, vous semblez par ailleurs vous attacher à régulièrement faire de la pédagogie… 

Ma mère (Isabelle Judet, juge internationale de niveau 5*, ndlr), qui est d’une autre génération et qui a du mal à comprendre les réseaux sociaux, me dit toujours « Camille, il suffit d’expliquer ce que nous faisons, dans quelle démarche et avec quel objectif ». Malheureusement, je pense que ce n’est pas aussi simple que cela. Avant cette lettre ouverte, j’ai souvent contacté des internautes accusateurs en messages privés afin d’essayer d’échanger. Je convie régulièrement nos détracteurs à venir à Pamfou pour voir nos entrainements. À ce jour, personne n’a jamais fait la démarche de venir. Je leur demande souvent leurs coordonnées téléphoniques afin d’échanger sur le fond et de m’entretenir avec eux sur ces sujets techniques ô combien importants. Je n’ai jamais de réponse. Au-delà de la délation et de la diffamation, il n’y a plus personne. Il ne faut par ailleurs pas oublier que cela ne représente qu’un pour cent des gens, et que les quatre vingt dix-neuf demandent davantage de contenu. Cela ne veut pas dire que tout est parfait et qu’ils adhèrent à tout ce que nous faisons, mais au moins qu’ils trouvent cela intéressant la plupart du temps. Les gens sont pour l’immense majorité très contents, et je ne veux pas les priver pour l’infime pourcentage de détracteurs. Évidemment, nous faisons attention à ce que nous publions car nous savons que les critiques fusent très vite. Pour remercier les gens de leur soutien, nous avons publié la vidéo d’une jument de quatre ans hier soir, que nous avons visionnée à trois reprises avec maman et Corentin pour nous assurer qu’il n’y avait pas un moment où son jeune âge lui aurait autorisé d’être imparfaite. J’ai vraiment tenu à republier une vidéo dans la soirée, afin de poursuivre mon engagement jusqu’à ce que ce genre de « terrorisme » ne cesse. 

“Nous avons exprimé la parole d’une majorité”

Pas question donc pour vous de cesser de publier du contenu, là où d’autres ont eu une attitude de repli en laissant tomber les réseaux sociaux face à leur violence… 

Exactement, même si je respecte totalement la position de ceux qui ont pu fléchir, car humainement, faire face aux détracteurs est franchement insoutenable. Je pense que l’une des grandes forces de Pamfou Dressage est que nous sommes trois (Camille, son compagnon Corentin Pottier, ainsi que sa maman Isabelle Judet, ndlr). Dès que l’un d’entre nous est découragé, les deux autres sont là pour le soutenir et le faire repartir de l’avant. Ce ne sont d’ailleurs pas que nos vidéos que nous essayons d’améliorer, puisque nous nous attachons bien entendu à sans cesse faire progresser nos chevaux et nos méthodes d’entrainement. Il est toujours possible de faire mieux. Et compte tenu du soutien que nous avons reçu, nous nous sommes rendus compte qu’à travers cette lettre ouverte, nous avons exprimé la parole d’une majorité.

Certains critiquent le fait que les réseaux sociaux ne laissent qu’une place à des images parfaites et aucune au processus d’apprentissage ou à la progression… 

C’est tout à fait le cas. Je l’ai par exemple noté récemment, lorsque j’ai demandé à nos abonnés sur Instagramquel type de contenu ils souhaiteraient davantage voir sur nos réseaux sociaux. La réponse qui est revenue le plus souvent est “la formation des chevaux et leur progression vers le Grand Prix”. Évidemment, personne ne montre un piaffer raté, un moment où un cheval a une attitude vraiment trop basse ou trop haute. Mais soyons honnêtes, si nous ne nous contentons que d’images parfaites, c’est comme si plus largement nous ne montrions sur les réseaux sociaux que des femmes déjà maquillées au réveil. D’ailleurs, nous en sommes un peu arrivés à un stade où cela est le cas. Le fait d’apparaître dans une certaine perfection est quelque part devenu la norme. On ne peut plus voir la réalité telle qu’elle est. Malheureusement, avec les chevaux, cela est plus difficile. En équitation, la plupart du temps, nous faisons face à des difficultés. Et quelques fois, un miracle se produit et le cheval a une bonne attitude, la bonne cadence, la vitesse correcte, un équilibre parfait, etc. Cela est éphémère et l’équitation est un sport complexe. J’ai moi-même plus souvent le nez qui coule et la marque du casque sur le front qu’un look d’enfer avec les yeux de biche et du rouge à lèvres (rires). C’est aussi simple que ça ! Cela ne veut pas dire que tous les moments où tout n’est pas idéal doivent être cachés, car il se peut qu’ils soient le témoignage d’une recherche de progression correcte, dans le bon sens. Je crois que c’est ce qu’il faut faire comprendre aux gens, d’autant plus que si nous ne montrons que des images parfaites, ils risquent de ne pas se sentir à la hauteur. 

N’est-il pas décourageant de faire face à ces critiques ? 

C’est complètement décourageant. Toutefois, j’aime partager du contenu sur les réseaux sociaux car nous recevons très régulièrement des messages de gens vraiment contents de nous suivre et si gentils. Pendant le confinement, alors que nous publiions des vidéos, certains nous ont dit que nous étions leur rayon de soleil, que nous les faisions tenir lorsqu’eux étaient enfermés. Un message comme celui-ci efface tout le reste. Le fait de pouvoir partager sa passion est magique, quelle que soit l’échelle à laquelle on le fait. Ce n’est d’ailleurs pas parce que l’on partage que l’on estime détenir la vérité. Cela est toutefois dur et violent, d’autant plus que je fais cela seule et que j’y passe un temps fou. Je peux parfois avoir la boule au ventre en ouvrant nos pages et en me demandant ce que je vais trouver. Il faut un recul incroyable et être costaud. Personnellement, je suis très sensible donc cela m’affecte énormément. Corentin et Isabelle ont plus de recul et sont plus indifférents aux critiques. Ils n’en attendent pas plus de l’être humain, là où je suis plus rêveuse. Même si les réseaux sociaux sont un bon outil de promotion, il y a une démarche de don car je ne suis pas payée pour faire cela. Je fais cela sur mon temps libre, après ma journée. J’essaie de donner de mon temps pour partager et faire plaisir aux gens, et très rarement – heureusement – les retours sont un peu ingrats.

“Ma remise en question personnelle est perpétuelle”

Cela vous pousse-t-il à la remise en question ?  

Je n’ai pas eu besoin des réseaux sociaux pour me remettre en question. Celle-ci est permanente ! Pas un jour, pas une action ne se passe sans que je ne me dise “n’aurais-je pas dû agir autrement ?”. Si je fais une faute de main, de jambe, que j’ai mal analysé ou réagi à une situation, je m’en veux profondément et cela peut même devenir infecte pour mon entourage. Bien sûr, il m’arrive de me réveiller dans la nuit en me demandant s’il est bien normal de faire vivre des animaux que l’on aime tant dans un boxe, qu’on lui mette une selle sur le dos et qu’on lui monte dessus. Mais je crois qu’à un moment donné, soit on le fait dans le plus grand respect, soit on ne le fait pas. En revanche, je tâche de ne pas pousser la remise en question trop loin lorsque je n’ai pas la preuve de la compétence technique de la personne qui émet la critique. Dans ce cas particulier, tant que je n’ai pas de preuve tangible de la compétence de cette femme ni de dialogue adulte et raisonné avec elle, je me contre-fiche de son avis. D’autre part, si quelqu’un que je respecte me dit que je ne suis pas sur la bonne voie, cela compte énormément. Ma remise en question personnelle est perpétuelle. Je filme quasiment toutes mes séances. Le soir, lorsque ma journée est finie, je visionne tout. Bien sûr, lorsque j’obtiens le passage-piaffer de ma vie, cela flatte mon égo mais c’est éminemment rare. Tous les autres jours, je me demande ce qui ne fonctionne pas suffisamment bien, ce que je pourrais améliorer. Ce n’est pas qu’à cheval, c’est aussi à pied ! Aujourd’hui, ma jument de Petit Tour a toussé en entrant dans le manège. Pendant toute la séance, je me suis dit que j’étais une horrible mère car elle n’avait pas dû avoir assez chaud cette nuit et que j’aurais dû mettre une couverture supplémentaire ou fermer le volet. Étant donné que nous sommes en charges d’être-vivants, notre remise en question est évidemment constante. Je ne suis pas parent, mais j’imagine que cela est la même chose. 

Les réseaux sociaux sont en effet connus pour être impitoyables, faisant même parfois oublier l’humain… 

C’est tout à fait vrai. Les détracteurs oublient que leurs paroles peuvent avoir un impact négatif. Toute mon équipe a été très affectée, car ils sont les premiers témoins de notre travail et qu’ils s’activent tous les jours à prendre le plus grand soin de nos chevaux. Ils les adorent et les choient vraiment. Lorsque nous en parlions ce matin, nous nous sommes dits que cela ne nous viendrait pas à l’idée de par exemple partager un tutoriel de maquillage de Youtube et d’ouvertement décrier la laideur du Youtubeur en question. Lorsque je consulte les profils des détracteurs de la publication initiale, il peut aussi m’arriver de questionner l’intégrité physique de leur cheval. Même si je les vois la tête en l’air dans une attitude qui me parait contraire à leur bien être, il ne m’effleurerait pas l’esprit de faire une capture d’écran et de la publier en commentant « Ce qu’ils font à leur cheval est de la maltraitance ». Jamais il ne me viendrait à l’esprit de me servir des réseaux sociaux dans la volonté de nuire, sinon cela se transforme en bulle de méchanceté. Je n’arrive pas à le comprendre. 

Quelque chose d’autre me paraît fondamental dans ce sujet. J’ai une conviction technique, que j’espère partager avec le plus de gens possible sur les méthodes qui me semblent être les bonnes. Mais alors, pourquoi les gens en face ne produisent-ils pas leur propre contenu pour mettre en avant leurs propres convictions ? Cette lettre ouverte nous a finalement fait une sacrée pub, montrant une vidéo qui n’est certes pas parfaite mais dont nous n’avons pas à rougir. Au final, cela n’a donc que fait la promotion de notre façon de penser, et pas de celle de la critique. Il aurait été constructif que leur propre travail soit mis en avant plutôt que de dénigrer le nôtre. Il est facile de dire aux amateurs « cette pratique est mauvaise », mais ce qui les intéresse vraiment, c’est d’avoir accès à un modèle, pour pouvoir le reproduire avec leurs chevaux. C’est ce qu’à Pamfou Dressage nous faisons à travers les sujets techniques réalisés pour GRANDPRIX, les conseils de juge d’Isabelle et nos vidéos d’entraînement. Ce besoin d’un modèle, je l’ai bien sûr aussi. Et lorsque j’entraîne un cavalier, je me concentre davantage sur des conseils positifs, sans dénigrer ce qu’il fait. Il me semble plus riche pédagogiquement de lui dire « fais comme çi » plutôt que « ne fais pas comme ça ». Je ne suis ni professeur ni psy, mais cela ne me semble évident.