Après la réouverture d’une enquête, un palefrenier va être jugé pour avoir volontairement mutilé des chevaux
Le 9 mars à Bordeaux, Pascal Coustes sera jugé pour des actes de cruauté perpétrés en 2015 sur cinq chevaux de compétition au sein de l’écurie de propriétaires des Châteaux, en Gironde, entraînant des blessures irréversibles. Récit des faits.
Il était une fois l’écurie des Châteaux, à Arsac en Gironde, gérée par Sébastien Carralot, cavalier professionnel et instructeur, et Allan Sichel, négociant en vins. Une écurie de propriétaires essentiellement axée sur la compétition, qui a malheureusement vu son paisible paysage basculer en 2015. En effet, cette année-là, entre juillet et novembre, cinq chevaux ont été retrouvés boiteux à la sortie de leur box. Les comptes-rendus d’éminents vétérinaires qui ont été consultés, les Dr Pénide d’une part et Lenormand d’autre part, sont formels: un acte intentionnel a été perpétré sur chacun des chevaux, une plaie profonde au niveau du pied jusqu’à l’os naviculaire avec infection, entraînant une inaptitude irréversible à la pratique sportive et leur invalidité définitive. Il y avait parmi ces chevaux les deux partenaires de concours d’Eugénie Serra, cavalière professionnelle employée de Sébastien Carralot, et un jeune étalon de quatre ans très prometteur, acheté par Nicolas Manneville pour ses filles Aimée et Clémence, sur les conseils de Sébastien Carralot. À la suite de plaintes déposées par les victimes, une enquête a été ouverte… puis finalement classée sans suite en 2018.
Du côté des victimes, la pilule a été très dure à avaler! D’abord, d’un point de vue financier, des chevaux de plus ou moins grande valeur se sont retrouvés “handicapés”. “Nous avons acheté Casanova, qui faisait partie du top dix des jeunes chevaux en Allemagne, plus de 100.000 euros sur les conseils de Sébastien Carralot”, relate Nicolas Manneville, qui continue: “Si l’on ajoute à cette somme les frais vétérinaires, la perte avoisine les 200 000 euros…” Le préjudice est tout aussi grand d’un point de vue moral et psychologique… “Je n’avais pas de moyens démesurés, mes parents m’avaient offert un petit cheval pas mauvais, mais pas censé être le crack du siècle”, raconte Eugénie Serra, très émue de prendre la parole. “C’était mon complice, mon meilleur ami. Nous avons grandi et tout appris ensemble, et sommes parvenus à concourir dans de belles épreuves, jusqu’à 1,35m! Et aujourd’hui, il est raide boiteux au fond d’un pré. Mon monde s’est écroulé…”
Depuis cette année noire, les victimes se posent en boucle les même questions: “Que s’est-il vraiment passé? Pourquoi cette série noire, cette coïncidence hallucinante? Pourquoi l’affaire a-t-elle été classée sans suite? Et si véritablement il y a eu ‘crime’, pourquoi?” Le trauma est lourd. Si Aimée Manneville, en couple avec un cavalier professionnel, a déménagé en Normandie et continue à concourir, sa sœur Clémence, désormais mère de famille, a tout arrêté. “Je ne suis plus jamais remontée à cheval”, déclare-t-elle. On sent que la blessure est encore vive. Même son de cloche du côté d’Eugénie Serra. “Les chevaux, c’était toute ma vie. Depuis toute petite, je voulais travailler à leurs côtés. Je ne comptais pas mes heures chez Sébastien Carralot, je donnais tout et j’en étais heureuse. Mais depuis le drame, même si j’ai continué à travailler quelques mois chez lui, le cœur n’y était plus. J’ai fini par partir, et j’ai dû surmonter une grosse dépression dans la foulée. Aujourd’hui, je ne monte plus à cheval, je n’en ai plus envie. La douleur est trop vive, et je ne sais pas si la blessure guérira un jour.”
Une affaire relancée après une plainte… pour faux témoignage
Après le classement sans suite du dossier, Nicolas Manneville a rencontré Eugénie Serra. Cette dernière a reconnu avoir vu Pascal Coustes, palefrenier de l’écurie des Châteaux, donner un coup de taser à Casanova, le jeune étalon. Reliant les blessures des cinq chevaux à cet acte de violence, Nicolas Manneville a demandé une expertise judiciaire, confiée à Thomas Launois, laquelle a confirmé que la tendinopathie active de Casanova était la conséquence directe d’une blessure intentionnelle. Eugénie a accepté de témoigner, ne craignant plus pour son poste. Puis Sébastien Carralot et Pascal Coustes ont déposé plainte contre elle, ensemble, pour faux témoignage. Eugénie a ainsi été entendue sur cette plainte et a déballé sa vérité. “J’ai dit tout ce que je gardais pour moi, qui me rongeait: le coup de taser de Pascal Coustes, mais aussi le jour où une jument avait arraché les fils électriques dans son box et s’était prisla tête pris dedans et où il avait rallumé le courant pour la punir d’avoir fait des dégâts qu’il devrait réparer… De plus, il me harcelait sexuellement, verbalement et avec des textos vraiment dégueulasses. J’ai dit et répété que j’étais certaine que c’était lui qui avait blessé les chevaux. J’ai aussi précisé que je m’étais plainte de tout ceci à plusieurs reprises auprès de Sébastien Carralot, sans que celui-ci ne réagisse.”
Lueur d’espoir dans ce tunnel macabre, Eugénie Serra a confirmé ses propos à la gendarmerie. Sentant qu’une affaire sérieuse avait peut-être été trop rapidement jetée aux oubliettes, le major Boudard, de la gendarmerie de Bouliac est intervenu auprès du Parquet pour que le dossier soit rouvert, ce qui a été fait en octobre 2020. “Le domicile de Pascal Coustes a été perquisitionné et le taser a été retrouvé”, assure Me Carole Guillemin, avocate des victimes. “Le portable d’Eugénie Serra a été examiné et d’anciens textos tendancieux ont été mis à jour. Pascal Coustes a été entendu… et a avoué être l’auteur des lésions commises aux antérieurs des cinq chevaux.” Les faits sont sordides: il relate avoir tout simplement pénétré dans les boxes, pris le sabot du cheval en question et planté manuellement dans les fourchettes un clou de quatre centimètres, décrivant le sursaut de douleur du cheval. Pourquoi ? Il prétend que c’était pour se venger d’Eugénie qui se moquait de lui, ainsi que d’Aimée et Clémence Manneville, qui se joignaient à elle. Une expertise psychiatrique a depuis révélé qu’il était sain d’esprit…
L’affaire sera jugée le 9 mars au Tribunal judiciaire de Bordeaux. “Pascal Coustes, qui sera jugé pour des actes de cruauté et sévices perpétrés à l’encontre de cinq chevaux, est au RSA, non solvable, et son casier judiciaire est vierge. En l’état actuel du Code pénal, il risque au maximum deux ans de prison, peut-être avec sursis”, explique Me Carole Guillemin. “Nous attendons encore des excuses”, avancent Nicolas Manneville et ses filles. “De Pascal Coustes, mais aussi de Sébastien Carralot. Il avait été informé depuis le début mais n’a pas réagi! Nous aurions aimé être indemnisés, qu’il fasse jouer son assurance ou paie de sa poche. Sa responsabilité en tant que gérant de la structure devrait être engagée.”
“Infliger de telles souffrances à cinq chevaux est insoutenable et relève de la barbarie. Aucun grief d’ordre personnel, ici non fondé, ne justifie une telle vengeance sur des chevaux de propriétaires confiés à ses soins. Il me semblerait normal que l’écurie, et son assureur, assument les conséquences des actes de son salarié. Mais ce n’est pas qu’une question financière, mes clients se sentent profondément trahis et écœurés, le rêve d’un projet familial autour et dans l’amour des chevaux s’est écroulé. Pour surmonter cela, il va falloir du temps, même si Justice est faite”, argue Me Carole Guillemin. “J’ai tellement hâte que tout cela se termine”, conclut Eugénie Serra. “J’ai tant attendu ce moment, même si je le redoute. J’ai besoin que la vérité soit enfin déballée et qu’il soit publiquement reconnu que je n’ai jamais menti. En attendant, je ne peux passer complètement à autre chose.” Rendez-vous le 9 mars pour l’audience pénale.