L’élevage du Thot, une histoire de famille à succès
Fondé dans les années 1950 à Réville, dans le Cotentin, près de la côte de la Manche, l’élevage du Thot compte parmi ses plus beaux produits Idéo du Thot, vainqueur de la finale de la Coupe du monde de saut d’obstacle en 2007 à Las Vegas avec le Suisse Beat Mändli, puis maître d’école d’un certain Martin Fuchs, ou encore Samouraï du Thot, vice-champion olympique par équipes de complet en 2016 à Rio de Janeiro avec l’Allemande Julia Krajewski. Véritable histoire de famille, cet exploitation agricole est aujourd’hui entre les mains de Margrith et Jean-François Noël, ainsi que de leur fils Florian, cavalier. Retour sur cette belle aventure et ses coulisses.
Quel est votre premier souvenir lié aux chevaux?
Margrith Noël: Mon père faisait partie de la cavalerie suisse, et chaque homme gardait son propre cheval et sa selle chez lui. Lorsque le cheval est parti, nous avons mis la selle sur la balustrade en bas de l’escalier. J’avais à peine quatre ou cinq ans, mais j’ai passé beaucoup de temps sur cette selle, à monter “pour de faux”.
Florian Noël: Je suis né au milieu des chevaux, et comme mes deux sœurs étaient passionnées d’équitation, mes parents ont voulu que je les suive. Chaque mercredi et samedi, ils me forçaient à panser un cheval ou un poney, et je n’aimais pas trop ça! J’ai donc appris à monter quand j’étais petit, c’était un passage obligé dans ma famille. L’été, j’allais toujours en colonie de vacances avec mes sœurs… et nous montions à cheval entre autres activités. À chaque fois, j’emmenais mon vélo, ce qui fait que j’ai passé plus de temps à traverser le centre équestre à vélo qu’à cheval. J’avais aussi un copain qui avait un poney, et nous nous amusions à faire la course dans les champs et sur la plage. Cela nous intéressait davantage que la mise en selle!
Quel est votre plus grande fierté professionnelle jusqu’à présent?
Margrith Noël: Pour notre famille, c’est quand Idéo du Thot (SF, Arioso du Theillet x Shaliman du Thot) a remporté la finale de la Coupe du monde de saut d’obstacles à Las Vegas en 2007. Produire un cheval de ce niveau et de cette qualité, c’est quelque chose d’extraordinaire. Nous étions incroyablement fiers. En tant que mère de trois enfants, je suis très fière qu’ils soient tous passionnés d’équitation. Et quand ils montent en concours les chevaux que nous avons élevés ensemble, je le suis encore plus.
Comment vous-êtes-vous intéressée à l’élevage de chevaux?
Margrith Noël: Tout a débuté quand j’ai épousé Jean-François Noël, dont le père élevait déjà des chevaux. Il était éleveur de vaches normandes mais avait aussi quelques juments, et il a commencé son élevage équin très tôt, en débourrant les chevaux. Nous avons fait grandir cela très progressivement, en achetant quelques poulains puis en essayant de les accompagner dans leur parcours et en les croisant avec nos propres lignées. C’est ainsi que l’élevage s’est développé. Nous avons a notamment acheté Kelfie (SF, Elf III x Starter), la grand-mère d’Idéo, que nous avons alors croisé à Shaliman du Thot (SF, Brilloso x Quastor), étalon provenant de notre souche originelle. Pour sa fille, nous avons choisi Arioso du Theillet (SF, Persan II x I Love You), ce qui nous donné Idéo. Tout cela nous a permis de continuer à croître. C’est intéressant de regarder le chemin parcouru, quand on se rappelle que Jean-François et moi n’avons commencé qu’avec trois chevaux. C’était il y a trente-cinq ans, et aujourd’hui nous avons un élevage de taille importante qui va bien.
Comment élève-t-on des chevaux de saut d’obstacles de haut niveau? Par où commencer, comment décider d’un croisement, etc.?
Florian Noël: C’est un mélange entre le physique et le mental, ainsi que l’éducation que le cheval a reçue. Il doit être élevé avec soin, bien nourri, et avoir un mental solide. Le débourrage et la formation sont tout aussi essentiels pour obtenir un cheval de très haut niveau. Il est très important de partir sur de bonnes bases, pour avoir des chevaux faciles à monter, au mental sain. Il est aussi indispensable d’avoir une bonne poulinière. Une fois qu’on l’a, le choix du père est ouvert, c’est plus facile.
“Nous débourrons nos chevaux l’hiver, quand ils ont entre deux et trois ans”
Un de vos croisements a-t-il déjà produit un résultat inattendu?
Margrith Noël: Oui. C’est le cas de Samouraï du Thot (SF, Milor Landais x Flipper d’Elle), qui a été le meilleur Selle Français de concours complet au classement mondial (sous la selle de l’Allemande Julia Krajewski, ndlr). Il est issu d’un croisement que nous ne pensions pas capable de produire un cheval de renommée mondiale. Sa mère (Melitos du Thot, SF, Flipper d’Elle, sœur utérine d’Idéo, ndlr) était à tout point de vue une bonne jument, sensée et réfléchie, mais elle n’était pas particulièrement connue. Nous l’avons croisée avec Milor Landais, et avons eu Samouraï du Thot, une surprise.
Florian Noël: Nous essayons parfois des étalons, Pur-sang ou des Anglo-arabes par exemple, qui ne répondent pas forcément à tous nos critères et qui peuvent avoir l’air ordinaire. Cela nous permet de créer des produits originaux et différents.
Le couple que le cheval forme avec le cavalier est souvent crucial. Dans quelle mesure cet élément entre-t-il en ligne de compte lorsque vous vendez un cheval, ou lorsqu’un personne commence à monter un de vos produits?
Margrith Noël: Nous y pensons forcément, mais notre secteur et notre métier sont ainsi faits que nous n’avons pas toujours le contrôle là-dessus. Nous vendons beaucoup à des marchands de chevaux, ce qui complique parfois les choses, particulièrement quand un cheval ne correspond pas bien à un client. On ne peut pas reprendre le cheval et lui en donner un autre, parce que nos douze ou quinze poulains sont tous différents.
Florian Noël: Nous essayons de produire des chevaux faciles, dans la vie quotidienne comme en selle. Les gens recherchent souvent les mêmes qualités: ils veulent un cheval beau, bien monté, avec de bons moyens à l’obstacle. Mieux un cheval est monté, plus il est facile de travailler avec lui. Bref, nous essayons de produire les meilleurs chevaux possibles pour nos clients, et faisons tout pour qu’ils leur parviennent en superbe forme physique.
Quels sont les secrets de votre programme d’élevage?
Florian Noël: Beaucoup de facteurs entrent en ligne de compte: la qualité des poulinières, les croisements et la diversité génétique. Nous gardons parfois nos juments au meilleur pedigree sportif jusqu’à six ans, avant de les faire reproduire par transfert d’embryon. Nous élevons tous nos chevaux de la même manière, dans le but qu’ils concrétisent leur potentiel. C’est notre méthode, même si nous adaptons bien sûr nos habitudes en fonction du cheval et de ses besoins spécifiques.
Combien de temps le poulain reste-t-il chez vous avant d’être débourré et/ou de rejoindre ses propriétaires?
Florian Noël: Nous vendons parfois des poulains quand ils sont encore sous la mère, comme on dit, mais c’est rare. Le débourrage a lieu l’hiver, quand ils ont entre deux et trois ans. Là, nos poulains de trois ans sont pratiquement tous débourrés. Pour les tester un peu, nous leur demandons de sauter deux ou trois fois tous seuls, et les montons quelquefois. Cela nous donne une bonne idée de leur tempérament, et de comment ils se comporteront plus tard. Le printemps venu, nous les envoyons tous au pré, jusqu’en septembre, avant de les mettre progressivement dans un rythme de travail. À ce moment-là, il faut effectuer une sélection. Ils débutent les concours à trois ans, avec les premières présentations, puis les acheteurs viennent et les ventes commencent dès que le vétérinaire est passé. Des chevaux sont déjà vendus pendant l’hiver, mais nous essayons de les vendre au cas par cas. Certains sont prêts à partir, mais nous en gardons d’autres, immatures, un peu plus longtemps.
Combien de poulains faites-vous naître chaque année?
En moyenne, il y en a une trentaine, mais seule la moitié d’entre eux nous appartient. Les autres sont issus de juments appartenant à d’autres propriétaires, étrangers notamment, que nous prenons en charge à la maison.
“Nous essayons sans cesse d’approfondir nos connaissances”
Quelle est votre principal objectif en tant qu’éleveuse?
Margrith Noël: Continuer à améliorer la qualité de nos chevaux chaque année.
De quels chevaux êtes-vous la plus fière?
Margrith Noël: Idéo du Thot, bien sûr, mais il n’est plus tout jeune. En ce moment, je citerai Diaz du Thot (SF, Ready Boy des Forêts x Diams du Grasset), montée par le Belge Constant van Paesschen, et Diadem du Thot (SF, L’Arc de Triomphe x Quick Star), monté depuis quelque temps par l’Américaine Laura Kraut et à qui nous souhaitons la même ascension vers les sommets qu’à Idéo en son temps.
Au-delà de l’élevage, quels sont vos rêves et ambitions?
Margrith Noël: Comme nous habitons près de la mer, nous accueillons beaucoup de chevaux en thalassothérapie, pour le plaisir ou dans le cadre d’une rééducation après une blessure. Nous avons reçu des chevaux de renommée, comme Paille de la Roque (SF, Kannan x Dollar du Mûrier), qui a gagné la finale de la Coupe du monde en 2015 à Las Vegas avec Steve Guerdat. Nous faisons tout notre possible pour améliorer cet aspect du programme, tout en valorisant nos jeunes chevaux en concours. Les voir progresser et étoffer leur palmarès quand ils ont quatre, cinq ou six ans est très gratifiant.
Florian Noël: Dans le cadre de notre entreprise familiale, nous essayons sans cesse d’approfondir nos connaissances, la manière dont nous communiquons, et d’améliorer notre structure et notre organisation. Désormais, de nombreuses personnes s’affairent ici, et nous voulons en faire un lieu où il fait bon travailler. Les collaborateurs de notre élevage sont tous de vrais passionnés.
Parmi les quatre Majeurs du Grand Chelem Rolex, auquel aimeriez-vous le plus participer et pourquoi?
Margrith et Florian Noël: Nous adorerions revoir l’un de nos chevaux concourir dans l’un de ces concours légendaires! Nous rêvons d’Aix-la-Chapelle, qui reste le summum pour le saut d’obstacles. Nous avons toujours beaucoup de plaisir à regarder les épreuves se déroulant sur de belles pistes en herbe, comme celle d’Aix. Nous aimons aussi aller à Genève en famille. Nous nous y rendons chaque année, d’autant que décembre est une période relativement calme pour nous. Nous nous faisons plaisir en allant y retrouver des amis de longue date. Des quatre concours, le CHI de Genève est celui qui nous tient le plus à cœur. Le Grand Chelem est une très bonne chose pour notre sport. Ce sont les meilleurs concours au monde, et nous les regardons tous, en vrai ou à la télé. Si ces épreuves ont gagné en notoriété et sont si connues aujourd’hui, c’est grâce à des sponsors comme Rolex.
Qui vous a le plus inspiré au cours votre carrière ?
Florian Noël: J’ai travaillé avec William Funnell, cavalier, éleveur et étalonnier installé en Angleterre (avec son épouse, Pippa, immense championne de concours complet, ndlr). Cette expérience a été passionnante. Ils produisent autant de poulains que nous, et ajoutent une plus-value au processus. William fait aussi partie de l’équipe britannique de saut d’obstacles, mais ce qui m’impressionne le plus, c’est sa capacité à créer de la valeur à toutes les étapes de l’élevage, du début à la fin.
Quel est le meilleur conseil que vous ayez jamais reçu?
Florian Noël: On m’a dit un jour que ma famille et moi devrions tous travailler ensemble, car nous avons beaucoup de points communs. Nous partageons tous la même passion, mais ne nous sommes pas toujours bien entendus.
Margrith Noël: On m’a appris à essayer de faire du mieux possible, quoi qu’on fasse.