“Ce n’est pas honteux d’avoir un cheval positif à la rhinopneumonie”, Marie-Charlotte Fuss
Le 23 février dernier, Under de la Roque, cheval de tête de Marie-Charlotte Fuss, a été testé positif à la rhinopneumonie équine. La complétiste de vingt-quatre ans, actuellement installée à vingt kilomètres d’Angers, dans le Maine-et-Loire, a régulièrement tenu informé de la situation sur ses réseaux sociaux. Aujourd’hui, le hongre de treize a retrouvé son pré, où il vit en troupeau avec ses compagnons d’écurie depuis un an. La double championne d’Europe Jeunes Cavaliers a évoqué ces dernières semaines, sa saison forcément chamboulée par le virus, la méthode Andy Booth qu’elle applique avec Hakuna Matata ainsi que le bien-être animal, qu’elle estime être un enjeu essentiel pour la survie des sports équestres.
Votre cheval de tête Under de la Roque (SF, Capital x Quercus du Maury) a été testé positif à la rhinopneumonie fin février, et a été soigné trois semaines dans une clinique à Nantes. Il est depuis rentré dans vos écuries. Comment avez-vous vécu ces dernières semaines entre le confinement de vos écuries et l’incertitude autour de son état de santé?
Nous n’avons pas tout de suite su de quoi il souffrait, ce qui a été compliqué pour nous car nous le voyions mal. Quand nous avons appris que c’était la rhinopneumonie de type 1, cela a été une mauvaise nouvelle, car on ne sait jamais vraiment comment la maladie va évoluer. Nous avons eu la chance qu’il soit très bien soigné à Nantes, les équipes sur place ont été incroyables donc il s’est remis après une grosse semaine de traitement. Il a eu beaucoup de fièvre et des difficultés à se déplacer les premiers jours. Ensuite, cela a surtout évolué vers des problèmes respiratoires et des complications liées.
Aux écuries, nous avons immédiatement pris les mesures nécessaires. Nous avons tout désinfecté, des tests PCR ont été effectués sur tous les chevaux. Nous avons pu nous confiner en interdisant tous les contacts avec l’extérieur pour ne pas risquer de contaminer d’autres gens si l’un de nos chevaux s’avérait positif. Les tests PCR sont tous revenus négatifs mais nous avons continué de faire attention pendant une vingtaine de jours, jusqu’à maintenant. C’est le pur hasard que ce soit arrivé au moment où il y a un foyer à Valence, car Under n’était pas encore sorti en compétition. Nous ne saurons jamais comment il l’a eu.
Comment va-t-il aujourd’hui? Cela va-t-il changer quelque chose à vos objectifs avec lui cette saison?
Il va beaucoup mieux mais a perdu beaucoup de masse musculaire. Under a eu beaucoup de lésions pulmonaires donc nous surveillons énormément sa récupération respiratoire. À la base, c’est un cheval raide assez sensible aux pertes de poids et de masse musculaire, il y a donc un gros travail à effectuer pour lui redonner le muscle nécessaire pour retourner en compétition et lui redonner de la souplesse et une locomotion moins raide. Cela va être long et nous prendrons le temps nécessaire. Il est encore avec nous et c’est déjà très bien.
Avec lui, j’avais prévu de courir le CCI 4*-L de Saumur, ce qui ne sera évidemment pas possible. Il sera indisponible plusieurs mois, et je vais donc m’atteler à la formation des autres chevaux que j’ai aux écuries pour lui laisser le temps de se remettre de tout cela. Nous verrons bien ce qu’il nous dit, s’il a besoin de trois mois, six mois ou plus.
Vous avez été très transparente sur les réseaux sociaux à ce sujet. Pourquoi était-ce si important pour vous?
C’était important car, quand nous avons su le diagnostic, j’ai eu l’impression qu’avoir un cheval positif à la rhinopneumonie était une honte, comme s’il avait la peste. Il ne fallait le dire à personne, que personne ne soit au courant, et j’ai horreur de cela. Nous devons tous être responsables. C’était au moment où la situation devenait compliquée à Valence, et je me suis dit que si tout le monde réagissait de la même façon, cela deviendrait compliqué. Il faut au minimum le signaler au RESPE (le Réseau d’épidémio-surveillance en pathologies équines, ndlr). Je ne voulais pas non plus que des personnes viennent aux écuries, s’interrogent sur le fait que ce ne soit pas possible, mais également que ceux qui étaient venus avec leurs chevaux peu de temps avant puissent prendre les mesures nécessaires et effectuer des tests. Je ne voulais pas rester cachée mais assumer. Ce n’est pas honteux, c’est une maladie comme une autre. Si l’on reste tous dans notre coin à faire n’importe quoi, on ne s’en sortira jamais. C’est le message que j’ai voulu faire passer.
Nous sommes finalement tombés dans une situation épizootique. Quel regard portez-vous sur sa gestion globale?
Cela semble avoir été bien géré, notamment par la Fédération française d’équitation qui a paru être réactive en aidant au mieux les cavaliers, même si j’ai suivi cela de loin car j’avais mes propres problèmes avec mes chevaux. Les bonnes mesures ont été prises en arrêtant les compétitions pour éviter une trop grosse propagation du virus. Sachant que c’est une souche qui a entraîné beaucoup de problèmes neurologiques, c’était la meilleure solution. On va maintenant pouvoir reprendre dans des conditions plus sereines. Il faut penser aux chevaux qui n’ont pas eu la chance de revenir de Valence, ou qui ont été très malades.
“Mes chevaux vivent tous en troupeau au pré depuis un an”
La reprise des compétitions a été actée pour le 12 avril. Vous faîtes notamment partie d’une écurie pour le Grand National avec votre amie Loïcia Tirel, comment se dessine vos prochaines semaines en termes de concours?
Je dois penser sans Under donc le programme a beaucoup changé. J’irai au Mans dans trois semaines pour débuter ma saison avec les autres chevaux, sur des épreuves Pro 4 et Pro 3. La semaine d’après, cela sera au tour des jeunes chevaux de six ans de reprendre le chemin des concours. Ils avanceront tous à leur rythme et ce sont eux qui me diront si je peux passer sur un niveau d’épreuve supérieur ou non.
Allez-vous prendre des mesures supplémentaires pour protéger vos chevaux en compétition?
Je pense que tout a été bien fait et que le virus n’a pas beaucoup circulé dans le milieu du complet. La première mesure à prendre est évidemment de vacciner les chevaux. Si tous sont vaccinés, on limite vraiment le risque de transmission, et l’immunité du groupe compte. Ensuite, c’est du bon sens. On ne laisse pas les chevaux de différentes écuries se sentir ou avoir de contacts trop rapprochés. C’est comme avec la Covid-19, tout le monde ne se fait pas des bisous! Au Mans par exemple, les écuries sont plutôt ouvertes, ce qui engendre un risque moindre. Il faut faire plus attention dans des écuries fermées, comme on l’a vu à Valence, cela peut partir très vite dans ce genre d’endroit, où l’humidité est assez forte. C’est un nid à virus.
Sur quels chevaux pouvez-vous compter cette année?
J’ai plusieurs chevaux. Union Blanche (SF, Talisman du Montoi x Le Condeen) m’est confiée par son propriétaire pour lui donner un peu de métier, avant qu’elle ne rejoigne sa fille. Elle va rapidement évoluer en CCI 2*, et j’aimerais terminer en CCI 3* à la fin de l’année. C’est une très bonne jument de cross, donc j’ai hâte de voir comment elle va se comporter sur ces épreuves. J’ai surtout des jeunes chevaux ou inexpérimentés, dont Dakota de Nath (SF, Quiet Easy x Le Tot de Semilly), que sa propriétaire me confie et sur qui je compte beaucoup. Je pense que c’est une des meilleures juments que j’ai montées. Je vais prendre le temps pour l’amener progressivement à un bon niveau, elle n’a que huit ans. J’ai trois bons chevaux de six ans, assez différents, certains sont verts. Vieil Ami (AA, Kap Rock x David de la Brunie), qui est à vendre, va courir le Cycle Classique. C’est un très bon cheval pour prendre part aux plus grosses épreuves, grand et fort, idéal pour les formats longs. Je crois aussi beaucoup en Forever de Nath (SF, President x Kay Epona). J’ai également un cheval de cinq ans.
Enfin, il y a Hakuna Matata, neuf ans (KWPN, Van Gogh x Cool Man), qui est toujours assez particulière. Elle est pleine de qualité mais c’est toujours un peu compliqué dans sa tête. Cela fait un an que j’ai mis en place un travail différent avec elle puisque je la monte sans mors à la maison et si possible en cordelette, pour lui donner du confort dans le travail et améliorer notre relation. C’est une jument assez stressée et j’espère que le travail effectué cet hiver va porter ses fruits en concours. Sur le papier, elle a toutes les qualités pour le grand sport. Nous verrons par la suite si tout fonctionne. En tout cas, c’est agréable de fonctionner comme cela à la maison.
Vous la travaillez ainsi sur le plat comme à l’obstacle (en vidéo en fin d’article). Comment êtes-vous arrivée à cette pratique, qui lui convient bien?
C’est arrivé quasiment au même moment que le changement du mode d’hébergement de mes chevaux (auquel GRANDPRIX avait consacré un article disponible ici, ndlr). J’ai commencé à me poser des questions sur cette jument. Elle chargeait toujours les barres, et j’ai voulu trouver une autre alternative que de changer pour des mors toujours plus durs. J’ai commencé à me former, notamment avec Andy Booth et la formation appelée “Step 1” (premier niveau, ndlr). Nous avons toutes les deux réappris les bases, car il y a des choses que l’on ne fait pas correctement sans s’en rendre compte. Le cheval a une manière de fonctionner différente de ce que l’on pense. J’ai tout recommencé à l’obstacle également. Hakuna Matata est partie cet hiver un mois au travail chez Philippe Le Strat, qui est diplômé de la méthode Andy Booth, afin d’approfondir. Je l’ai à nouveau récupérée en janvier, et cette façon de faire lui convient vraiment. Elle est de plus en plus fine en cordelette, et le travail est plus agréable sans mors, car elle ne supporte pas la contrainte qu’il impose. Elle est plus à l’écoute. J’aimerais la monter en bitless (filet sans mors, ndlr) à l’obstacle cette saison, comme le règlement nous l’autorise. Je verrai en concours comment est son niveau de stress.
Sur des chevaux qui sont demandeurs, on peut s’attarder à faire ce travail et cela vaut le coup. Je forme tous mes chevaux au “Step 1”, qui sont les premières bases d’un cheval éduqué convenablement: répondre à la pression du licol, déplacer les hanches, les épaules, etc. Quant à monter sans mors ou en cordelette, je ne le fais qu’avec Hakuna Matata. Pour réussir à le faire avec tous, cela demande un temps que je n’ai pas pour l’instant.
Vous avez également repensé le mode de vie de vos chevaux, puisqu’ils vivent maintenant tous au pré…
Cela fait un an qu’ils vivent tous dehors et plus du tout au box, sauf les veilles de concours si nous n’avons pas trop envie d’aller les chercher au fond du pré. J’ai deux groupes en troupeau, tout se passe très bien. Cela permet de voir les choses différemment et m’a certainement amené à avoir ce travail avec Hakuna. Prendre le temps de se poser la question de ce qu’est un cheval, ses besoins, comment il se comporte avec les autres… C’est que du bonheur. En hiver, le temps de pansage est accru et, parfois, quand il pleut des cordes, cela ne donne pas envie d’aller les chercher. Mais j’estime que si pour leur apporter plus confort, il faut que nous en perdions, nous, en hiver, ce n’est pas très grave.
“On peut être champion un jour et plus rien le lendemain”
En 2016, vous avez été sacrée double championne d’Europe Jeunes Cavaliers avec Sillas de la Née (Bad-Wü, Sir Oldenburg x Araconit). Il n’a pas concouru en 2020 et, à maintenant dix-huit ans, est-il définitivement à la retraite?
Oui, il travaille de temps en temps pour s’amuser. Il a dos particulier donc si nous voulons qu’il vieillisse correctement, il faut l’entretenir physiquement un minimum. Il est toujours ici avec moi et éduque les autres!
Quels enseignements gardez-vous de vos années Jeunes et de vos trois participations en championnats d’Europe?
Cela apprend l’humilité. Quand on obtient deux médailles d’or une année et que l’année suivante on ne finit même pas le championnat, cela permet de bien comprendre ce qu’est le sport, voir qu’on peut être champion un jour et plus rien le lendemain. Cela apprend beaucoup l’esprit d’équipe, que nous avons la chance de découvrir lorsque nous sommes sélectionnés chez les Jeunes. Concourir en équipe est différent et c’est dommage que cela n’arrive pas plus dans l’année. Les épreuves Jeunes sont très formatrices pour cela. Pascal Forabosco (sélectionneur national pour les Juniors et les Jeunes Cavaliers, ndlr) fait un travail formidable et forme beaucoup de très bons jeunes, qui deviennent ensuite de très bons cavaliers. Je retiens cela, mais également que l’on peut très bien débuter avec un cheval moyen, et qu’à force de travail, si le couple s’entend bien, on peut réaliser de bonnes choses et terminer dans une équipe.
Pensez-vous à intégrer l’équipe de France Seniors? Avec qui travaillez-vous dans cet objectif?
Bien sûr! Je suis aujourd’hui dans une période de transition. Je ne suis pas chez moi à Angers. Je vais redescendre dans le Sud-Ouest, certainement avant la fin de l’année. Une fois que cela sera fait, je pourrai réellement penser à long terme, me poser et développer tout ce que je souhaite.
En dressage, je travaille avec Amélie Billard, qui a également été cavalière de complet plus jeune. En concours, c’est assez variable. J’ai notamment été coachée par Maxime Livio et Steve (Partington, ndlr), entraîneur de son sport-étude (dont Marie-Charlotte Fuss a fait partie, ndlr) l’année dernière par exemple.
Entre la pandémie de coronavirus et l’épizootie de rhinopneumonie, beaucoup de gens se sont remis en question. Avez-vous changé votre façon d’envisager votre sport?
La crise a permis de soulever certains problèmes dans la filière équestre, notamment avec les chevaux. Pendant le premier confinement, beaucoup de propriétaires n’ont pas pu aller voir leurs chevaux pendant un temps et ont pu avoir des inquiétudes, pour savoir si leur cheval était suffisamment sorti par exemple. Parfois, il y a eu de réels problèmes de bien-être pour les chevaux, car certains ne sortaient pas du tout par manque de temps du personnel, complètement submergé par la quantité de travail. Je pense que certaines personnes ont ainsi changé de vision par rapport au cheval et ce que l’on en fait. De mon côté, j’ai mis mes chevaux au pré juste avant le confinement donc je l’ai très bien vécu.
Cela a également permis de prendre du recul et de se dire que tout l’équilibre de notre sport tient à peu de choses. Là, c’était à cause de la Covid-19, mais il faut garder à l’esprit que nous travaillons avec des animaux, ce qui signifie que nous sommes surveillés. De plus en plus d’associations s’intéressent au bien-être animal, ce qui est une bonne chose. Pour l’instant, elles ne pensent pas spécialement à l’équitation, mais le jour où cela arrivera, pourrons-nous leur dire que tous nos chevaux sont bien traités? À ce jour, je n’en suis pas sûre. Tant que nous ne pourrons pas répondre à cette question, nous sommes en danger, car si ces associations tombent sur des choses qui ne leur conviennent pas, cela peut devenir néfaste pour l’équitation. Tout le monde doit faire du mieux possible afin que nous puissions avancer et faire perdurer notre sport, qui est magnifique. Nous le voyons de plus en plus sur les réseaux sociaux: si nous trouvons une vidéo avec un animal, pleins de gens trouvent à critiquer car ils pensent que c’est une atteinte au bien-être de l’animal. Cela montre une évolution des mentalités sur ce sujet-là, et nous devons tous faire attention à nos actes et ce que nous montrons. Cela doit être réfléchi afin que notre sport ne se retrouve pas dans des difficultés profondes dans les années à venir. C’est un risque et nous devons tous être responsables pour ne pas en arriver là.