Nifrane de Kreisker, le riche parcours d’une crack si bien née
Créditée d’un ISO 170 au terme d’une très belle saison sous la selle de Roger-Yves Bost, en 2011, Nifrane de Kreisker a obtenu de nombreux classements tout au long de sa carrière, y compris avec Clémentine Bost, l’Allemande Laura Klaphake, sa compatriote Katharina Offel, qui montait alors pour l’Ukraine, sans oublier Ferenc Szentirmai, Hongrois évoluant également sous couleurs ukrainiennes. Avant son export, elle a donné neuf produits au jeune élevage Rumel, dont Renarde (ISO 153) et Sandokhan (ISO 142), issus tous deux de Dollar dela Pierre.
Notre galerie de portraits intitulée “Trésors de championnes” s’intéresse aujourd’hui à Nifrane de Kreisker. Pour rappel, GRANDPRIX s’est appuyé sur une sélection de juments nées après 1995, ayant obtenu d’excellents résultats sportifs, matérialisés par l’obtention d’un indice de performances supérieur à 160, et ayant engendré au moins deux produits eux-mêmes indicés à 140 et plus. Nifrane de Kreisker est née chez Guillaume Ansquer, à Plozévet dans le Finistère. Elle est issue de la prestigieuse famille n°106 du Stud-book Selle Français, souche très prolifique ayant engendré une multitude de gagnants internationaux, comme rappelé dans l’épisode de cette série consacré à Queen Girl Kervec, également issue de cette lignée.
Guillaume Ansquer revient sur l’achat de la mère de Nifrane, Jifrane de Chalusse, née dans le Cher pour le compte de la famille Planson. “J’ai succédé à mon père au haras de Kreisker en 1992. Nous venions de vendre l’étalon Fakir de Kreisker (ISO 140, SF, Quito de Baussy x Muguet du Manoir) à un bon prix. En tant que jeune éleveur, sans grande expérience, j’ai choisi d’investir dans des juments issues de nouvelles souches pour élargir mon panel, et suis allé chercher Jifrane!” Mise à la reproduction à trois ans, Jifrane est croisée à Carnute (SF, Obéron du Moulin x Dynamique), étalon comptant deux participations aux Jeux olympiques, en 2000 à Sydney et 2004 à Athènes, mais aussi trois sélections aux championnats d’Europe et quatre finales de la Coupe du monde, le tout sous la salle du Danois Thomas Velin. Ce mariage a donné naissance à Nifrane, deuxième produit de Jifrane.
Quelques semaines plus tôt, l’éleveur breton avait réussi le transfert d’un embryon du chef de race Diamant de Semilly qui a donné Newton de Kreisker (ISO 132), étalon lui-même à l’origine de six produits indicés au-dessus de 140, dont Vizalaty (ISO 156, SF, mère par Mister Blue), classé jusqu’à 1,60m avec l’Égyptien Mouda Zeyada. En tout, Jifrane de Chalusse compte vingt et un produits, dont les SF Quilano de Kreisker (ISO 147, Kannan), Vuiton de Kreisker (ISO 143, Diamant de Semilly), Capuccino de Kreisker (ISO 137, Conrad) et Royce de Kreisker (Diamant de Semilly), qui n’est autre que la mère de Birmane (ICC 155, Vargas de Ste Hermelle), espoir olympique de Thomas Carlile pour les Jeux de Tokyo, et de l’étalon Dartagnan de Béliard (ICC 157, Quite Easy), vice-champion du monde des chevaux de six ans en complet au Lion-d’Angers.
Grande et athlétique pouliche baie, Nifrane de Kreisker est repérée dès l’âge de six mois par Patrick Mellec, cavalier concourant régulièrement à 1,40m. “J’ai longtemps travaillé à l’élevage de l’Isle, avec Étienne Poisson. Avec mon épouse, à la naissance de notre fille Élisa, en 2001, nous avons imaginé qu’elle aimerait sans doute monter à cheval plus tard, et que nous n’aurions pas les moyens de lui offrir de super chevaux. En termes d’élevage, nous disposions d’un bagage qui pouvait nous permettre d’y remédier par nos propres moyens… alors nous nous sommes lancés! Je voulais absolument une femelle issue de la souche d’Ifrane. Cette famille n’était pas encore vraiment à la mode; elle a véritablement explosé quelques années plus tard! Au début, Guillaume Ansquer n’était pas vendeur. Nous avons dû insister et lui proposer une belle somme… Et Nifrane a rejoint nos écuries.” Patrick Mellec jette aussi son dévolu sur Minnie Mousse (ISO 137, SF), née chez Jean-Claude Croisier, en Suisse, du croisement d’In Chala A et Peluche du Banney (ISO 156, SF, In Chala A x Nankin), sacrée championne d’Europe Jeunes Cavaliers avec Eugénie Angot en 1989.
De Patrick Mellec à Laura Klaphake en passant par Clémentine et Roger-Yves Bost, Oleksandr Onyshchenko, Katharina Offel et Ferenc Szentirmai
Saillie dès l’âge de deux ans, Nifrane engendre deux filles du Holsteiner Cardero par transferts d’embryons: Quifrane et Qualifrane Rumel, vendues après deux années de valorisation par Patrick Mellec. “Nous avions choisi des étalons à la mode, une stratégie que nous avons vite abandonnée pour nous tourner vers des performeurs dont les premières générations de produits avaient déjà obtenu des résultats.” L’éleveur forme Nifrane sur le Cycle Classique de la Société hippique française. Bonne élève, régulière, franche, la baie se qualifie pour les finales de Fontainebleau à quatre, cinq et six ans, et commence à faire parler d’elle. Dans la foulée, elle débute avec succès en Grands Prix Pro 2. En parallèle, Patrick Mellec poursuit les transferts d’embryons. “C’était une période assez compliquée, car il fallait jongler entre les concours et les arrêts fréquents au haras de la Pomme”, se souvient-il.
À sept ans, la baie suscite toujours plus de convoitises. Les offres d’achat abondent en masse. Malgré un petit choc au boulet, qui prive le couple des championnats du monde Jeunes Chevaux de Lanaken, Patrick Mellec se rend à l’évidence: sa fille est encore trop jeune encore pour monter la crack. Malgré sa gentillesse et son mental hors pair, Nifrane est trop grande, pétrie de force et de moyens. En fin de saison, il retient l’offre de Roger-Yves Bost, qui l’avait déjà essayée quelques mois plus tôt. “Je l’ai avant tout choisi pour ses qualités humaines. Lorsque nous nous croisions en sortie de piste, il avait toujours un mot gentil ou un conseil. Il est venu l’essayer, et nous lui avons vendu la moitié des parts, avec un objectif de commercialisation dans les deux ans.”
En octobre 2008, Nifrane prend donc la direction de Barbizon. Elle réapparaît en concours en 2009 sous la selle de Clémentine Bost à l’occasion du CSIO Juniors d’Abano Terme, en Italie, où elle classe directement dans le Grand Prix à 1,40m. Deux mois plus tard, le couple contribue à la médaille de bronze de l’équipe de France aux championnat d’Europe Juniors de Hoofddorp, avant de finir à la huitième place individuelle. Aussitôt récupérée par Bosty, Nifrane accroche deux podiums à 1,50m au CSIO 5* de Dublin, puis une deuxième à la même hauteur lors du CSI 5* du Salon du cheval de Paris.
Reprise par Clémentine en 2010 sur le circuit Juniors, elle est sélectionnée dans trois Coupes des nations, terminant deuxième à Reims, puis troisième à Moorsele et Hagen. L’aventure du jeune couple s’achève par une quatorzième place aux championnats d’Europe de Marnes-la-Coquette, où l’équipe de France finit onzième. “Ma fille ne cessait de me répéter: ‘Arrête d’aller vite, Papa! Elle tire trop après toi!’”, raconte Roger-Yves Bost, amusé, dont Nifrane rejoint le piquet en juillet 2010. La paire enchaîne les très belles performances, dont des deuxièmes places à 1,50m aux CSI 5* de Chantilly et Rio de Janeiro et au CSI 4* de Maastricht, une victoire à 1,45m au CSI 5*-W d’Oslo, suivie d’une sixième place dans le Grand Prix secondaire du CSI 5*-W d’Helsinki.
Couronnée de succès, l’année 2011 voit le duo enchaîner les performances à 1,45m et 1,50m, débuter en Coupe des nations (zéro puis huit points) au CSIO 5* d’Hickstead, avec une deuxième place à la clé, puis finir troisième du championnat de France Pro Élite à Fontainebleau. Avec 130.000 euros de gains et un bel ISO 170, le contrat est plus que rempli. Bosty informe Patrick Mellec d’une très belle offre émanant du marchand belge Gilbert de Roock, pour le compte du milliardaire ukrainien Oleksandr Onyshchenko, en quête de chevaux pour son équipe ukrainienne en vue des Jeux olympiques de Londres. L’affaire est rapidement conclue. “Nifrane nous a beaucoup apporté”, résume son premier cavalier. “Sa vente était une évidence, d’autant qu’elle nous avait déjà donné des filles. Nous l’avons laissée partir… avec un sacré pincement au cœur.” D’abord montée par l’oligarque lui-même, sans grand succès, la baie est confiée à Katharina Offel, Allemande qui montait pour l’Ukraine, puis le Hongrois Ferenc Szentirmai, qui évolue toujours sous drapeau ukrainien, avec à la clé quelques classements à 1,45m et 1,50m, mais deux Coupes des nations non concluantes aux CSIO 5* de Gijón et au CSIO 3*-W de Budapest.
Renarde, Sandokhan Rumel et les autres
En 2014, Nifrane atterrit dans le piquet de Laura Klaphake, jeune cavalière allemande montant pour le compte de Paul Schockemöhle – le marchand allemand avait récupéré bon nombre de chevaux d’Oleksandr Onyshchenko, en proie à plusieurs affaires judiciaires. L’association fonctionne bien, avec une quatrième place dans un Grand Prix CSI 2* à Oliva, puis deux victoires dans les Grands Prix du CSIO Jeunes Cavaliers de Hagen et CSI U25 de Lastrup. Sélectionnée aux championnats d’Europe Jeunes Cavaliers d’Arezzo, Nifrane se montre brillante, offrant à sa cavalière une médaille d’or par équipes, assortie du bronze individuel. “Nous avions perdu sa trace”, se souvient Patrick Mellec. “Élisa participait à ces Européens en catégorie Enfants avec Renarde Rumel, la meilleure fille de Nifrane. C’était merveilleux de voir la mère et la fille se retrouver ensemble dans ces championnats! Et, cerise sur le gâteau, Renarde a remporté la médaille de bronze individuelle, comme Nifrane!”
La crack poursuit sa carrière en Allemagne jusqu’à sa retraite sportive, à seize ans, en 2017. Elle est aujourd’hui âgée de vingt ans. “Nous l’aurions récupérée avec grand plaisir, pas forcément pour l’élevage, car la souche s’est grandement modernisée depuis ses premiers produits. Aujourd’hui, je ne crois pas qu’utiliser une fille de Carnute serait encore judicieux et constructif. Pour autant, nous lui aurions offert une retraite cinq étoiles, comme nous avons à cœur de le faire pour ces chevaux qui nous ont beaucoup donné. Ainsi, Renarde finira ses jours à la maison.”
Nifrane de Kreisker est la mère de neuf produits SF de l’élevage Rumel, dont huit nés par transferts d’embryons. Après Quifrane et Qualifrane Rumel sont venus Récital Rumel (ISO 125) et Renarde Rumel (ISO 153), issus tous deux de Dollar dela Pierre. Plus légère et maniable que sa mère, Renarde, jolie alezane, est confiée à Élisa Mellec à la fin de sa saison de cinq ans. La jeune fille, alors âgée de dix ans, est propulsée sur le Cycle libre Troisième Année, s’offrant une petite finale à Fontainebleau! Sacré champion de France Cadets en 2013 et 2015, le couple se lance en Grands Prix à 1,40m en 2015, cumulant de nombreux succès et classements à ce niveau jusqu’en 2019.
En 2006 est né Sandokhan Rumel (ISO 142, Dollar de la Pierre), valorisé par Élisa jusqu’à 1,40m puis vendu à Nicolas Deseuzes. En 2007 sont venus au monde Top Ten Rumel (ISO 132, For Pleasure) et Terra Nova Rumel (Dollar du Mûrier), malheureusement morte en 2016 et qui a laissé une unique pouliche SF, Azur Rumel (ISO 141, Sandro Boy), gagnante en Grands Prix Pro 2 avec Élisa. Née en 2008, Ultima Rumel (For Pleasure) a été directement vouée à l’élevage, donnant Belladone Rumel (ISO 122, Sandro Boy) et Beautiful Rumel (ISO 124, Kannan). Croisées à des étalons modernes, comme Elvis Ter Putte (BWP, Diamant de Semilly x Darco), Scuderia 1918 Tobago (Z, Tangelo van de Zuuthoeve x Mr Blue) et Dominator 2000 (Z, Diamant de Semilly x Cassini I), celles-ci forgent l’avenir de l’élevage installé à Manou, dans le Perche, aux confins de l’Orne et de l’Eure-et-Loir. Enfin, Vollmond Rumel (Canturo), dernière fille de Nifrane, a laissé dix produits à la famille Mellec. Rachetée l’an passé par l’élevage d’Elphen, elle devrait donner naissance cette année à un produit de Grimoire d’Elphen (ISO 120, Thunder Gesmeray x Arnac d’Elphen), premier étalon pie homozygote inscrit au Selle Français.
Patrick Mellec porte un regard lucide et passionné sur son aventure débutée avec Nifrane. “Je me suis mis au saut d’obstacles à trente ans, seul. J’étais particulièrement mauvais au début, et je pense avoir commis toutes les erreurs du monde! J’ai progressé au fil des ans, en essayant de développer ma communication, mon feeling et ma pédagogie, surtout dans la formation des jeunes chevaux. Je n’étais pas un fin technicien mais je valorisais autant que possible leur courage, leur générosité et leur goût de l’effort. Je pense avoir bien préparé Nifrane pour le grand sport. De la même manière, Élisa a grandi avec nos produits. Nous avons à présent des chevaux de bonne qualité, que nous préparons tranquillement. Notre deuxième souche, issue de Minnie Mousse, nous amène également beaucoup de satisfaction, à l’image de Captain Rumel, qui devrait franchir le cap des épreuves à 1,50m cette saison avec Élisa, et commence à bien produire à l’élevage. Certains de nos jeunes dépasseront sans doute Nifrane. En tout cas, c’est mon souhait le plus cher! Et les voir évoluer avec ma fille me procure une grande fierté.” Longue vie à cette belle histoire familiale.