“Trois places sur le podium pour six nations qui ont l’air d’aplomb”, Patrick Caron

Après l’épreuve qualificative pour la finale par équipes d'hier, Patrick Caron, ancien sélectionneur de l’équipe de France, dresse son bilan de cette manche. Il évoque les limites du nouveau format imposé par la FEI, les déceptions et les désillusions vécues hier avec l’élimination de quatre équipes. Il nous parle également de son enthousiasme et de ses espoirs de médaille pour l’équipe de France.



Qu’avez-vous pensé du parcours d’aujourd’hui et des différentes prestations? 

Je l’ai dit, je suis très chauvin donc le forfait d’Urvoso du Roch à cause de coliques a été très triste, mais l’entrée de Quel Filou et le fait de garder Berlux Z en réserve ont eu des aspects positifs. Simon et Berlux ont sauté de façon remarquable! Il est clair que si la Coupe des nations s’était déroulée avant l’individuel et avec quatre cavaliers, nous pouvons imaginer que Simon aurait pu signer une belle performance en individuel vu la facilité avec laquelle il a sauté hier. Ils ont fait ça avec beaucoup d’aisance par rapport aux autres qui n’avaient pas encore concouru. Ça a été le cas de Rodrigo Pessoa par exemple, qui n’a hélas pas déroulé son parcours avec autant de facilité et a rencontré quelques problèmes. 

Il y a de bonnes équipes en lice. Les Suédois sont excellents, de même que les Belges, les Allemands ou les Suisses. Je suis un peu inquiet pour la Grande-Bretagne. Harry Charles a rencontré quelques difficultés aujourd’hui, mais il n’a que vingt-deux ans donc c’est tout à fait normal car il est jeune. Je pense également que l’Argentine va avoir un peu de mal. Il y a trois places sur le podium pour six nations qui ont l’air d’aplomb. Pourtant, en Suisse, c’est le plus jeune qui a fait le meilleur parcours! Quand on regarde ses résultats, on voit que c’est un cavalier qui a été très régulier sur les concours précédents. Il est jeune mais a la réputation d’être solide, et il est également bien entouré avec Steve Guerdat et Martin Fuchs! Cette formule à trois va mettre beaucoup de pression sur les cavaliers demain et va provoquer des changements de place très rapidement. Nous allons croire à un podium puis, d’un seul coup, chuter de cinq places en l’absence du quatrième score.

Les compteurs seront remis à zéro aujourd'hui. L'équipe de France peut donc encore doubler sa médaille d'or décrochée à Rio?

Je rêve, comme en concours complet, de voir la France monter sur le podium avec ses trois cavaliers. Simon Delestre est en forme, Pénélope fait toujours preuve de beaucoup de sang froid et monte bien, même si son cheval a besoin de régler encore quelques petites choses, et Quel filou dispose d'énormes moyens. Aujourd'hui, je suis sûr que les trois français auront à cœur de faire mieux. Je ne sais pas ce que Thierry Pomel a prévu concernant l’ordre de départ, et celui d’aujourd’hui n’était pas mauvais. La France passera en cinquième position, cela permettra d’avoir un peu de recul sur le parcours. Le chef de piste (Santiago Varela, ndlr) a été très habile dans son tracé, de façon à ce que le parcours soit accessible aux nations que la FEI voulait voir concourir dans le cadre de la nouvelle formule. Demain, avec les meilleures nations, il proposera certainement un parcours plus difficile. 

Qu’en est-il de Rodrigo Pessoa, dont on sait qu'il préparait ces Jeux olympiques depuis plus de six ans avec sérieux et motivation, ne serait-ce que parce qu'ils pourraient être ses derniers JO? Finalement, la stratégie choisie par le staff fédéral du Brésil était-elle la bonne? Peut-être qu'en disputant la première épreuve individuelle, sa monture aurait pu découvrir le décor et l'ambiance de la piste.

Son cheval (Carlito's Way, ndlr) a semblé très surpris par la piste. C’est un cheval qui n'a pas beaucoup couru en Europe puisqu'il a essentiellement évolué aux Etats-Unis, où il y a peut-être moins de diversité dans les concours qu’en Europe. Quand on va de Rome à Knokke ce n’est pas la même chose. Il est clair que le cheval était inquiet et le cavalier a fait preuve d’énormément de sang-froid et de réactivité technique pour résoudre un problème qu’on ne doit en principe pas rencontrer de manière aussi marquée sur ce genre de parcours. Dès le début du parcours, ce fut la surprise et l’inquiétude de voir Rodrigo devant le comportement de son cheval. C’est dommage...



“Cette nouvelle formule mise en place par la FEI ne montre pas ses limites, mais ses aberrations”

Entre la difficile prestation de l'Irlandais Shane Sweetnam et Alejandro, et l'élimination de quatre équipes dont la nation hôte, le scénario sportif à Tokyo va sans aucun doute relancer les débats au sujet de la nouvelle formule de ces Jeux olympiques. Quel regard portez-vous?

Des équipes ont été éliminées, notamment celle du Japon, dont le deuxième était tombé au paddock (et il n'était pas autorisé à remonter, comme le stipule le règlement de la FEI, ndlr). En plus ils sont chez eux! Cela a provoqué le forfait de toute l’équipe, ce qui est dramatique pour ce pays, qui avait travaillé tellement dur pour ces JO... Le parcours de Shane Sweetnam a illustré toutes les limites de cette nouvelle formule. Le cavalier aurait probablement abandonné dans une formule à quatre puisque son cheval semblait très inquiet, mais il ne l’a pas fait pour ne pas éliminer son équipe. En plus d'être dangereux, son parcours ne donnait vraiment pas une belle image de notre sport au grand public. Cela nous est tous déjà arrivé d’avoir un moment de doute ou un cheval en moins bonne forme, et c’est dans ces moments que l’on préfèrerait  arrêter pour préserver notre cheval, en comptant sur les nos coéquipiers. Là, Shane Sweetnam ne pouvait même pas abandonner sous peine d'éliminer son équipe! Tout doit être fait pour le confort, le bien-être et le bonheur des chevaux. Tous les cavaliers soignent très bien leurs chevaux, donc ils n’ont sûrement pas envie qu’il leur arrive la moindre chose, mais dans ces cas-là, ils sont obligés de pousser au-delà de leurs limites. Bref, ce qu’il s’est passé avec l’Irlandais Shane Sweetnam est une véritable alerte. 

En se donnant l’objectif de faire rentrer de nouvelles équipes, les personnes qui ne connaissent pas bien l’équitation ne comprennent pas pourquoi certaines nations repartent et pas d’autres, comme Israël ou encore le Japon, qui ont été éliminés alors que leurs premiers cavaliers avaient signé de bonnes performances. C’est un peu les limites du nouveau format. Le Mexique a signé une première prestation remarquable (avec Enrique Gonzalez, ndlr, qui a achevé son parcours avec un point de temps, ndlr) mais se fait éliminer car le deuxième cavalier échoue. L’autre limite de la prestation est qu’on ne comprendrait pas que la Suède ne soit pas médaillée d’or demain vu ce qu'elle présente depuis le début de la compétition! Il n’y a pas beaucoup de nations capables d’aligner trois couples suffisamment performants pour concourir à égalité avec les autres et ne pas mettre en danger leurs chevaux et eux-mêmes. Avant il y avait quinze nations à quatre, maintenant elles sont dix-neuf à trois cavaliers, mais quatre ou cinq d’entre elles connaissent des difficultés à ce niveau. Nous aurions préféré voir uniquement leur meilleur ou leurs deux meilleurs cavaliers concourir en individuel par exemple, ce qui se faisait par le passé. En demandant à chaque pays d’envoyer son meilleur couple dans l’épreuve individuelle uniquement, cela aurait profité au sport! Cette nouvelle formule mise en place par la FEI ne montre pas ses limites, mais ses aberrations.