Marie Pellegrin, l’art de conjuguer bien-être, haut niveau et engagement
Cavalière expérimentée, Marie Pellegrin était prédestinée à mettre le pied à l’étrier et à en faire son métier. Elle nous explique combien le respect et le bien-être de ses chevaux l’ont menée à de nombreux succès, notamment lors de ses années Jeunes, et à une sélection en tant que réserviste de l’équipe de France aux Jeux équestres mondiaux de Lexington, en 2010. Depuis deux ans, elle gère ses propres écuries près de Lyon et compte bien prendre part à Paris 2024 !
À cheval dès votre plus jeune âge avec une première Coupe des nations à douze ans, on vous a toujours vue concourir à haut niveau. Quelle est la clé de votre réussite ?
La réussite passe par le respect des chevaux, leur bien-être et le système mis en place au quotidien. Aux écuries, mes chevaux passent en réalité peu de temps dans leur box puisqu’ils sont au minimum sortis trois fois par jour. Il ne faut pas oublier qu’un cheval est un animal avant d’être un athlète. Le matin, ils vont au marcheur ou au paddock pendant que chaque box est nettoyé, ce qui leur évite d’être en contact avec un flux important de poussière. Ils sont ensuite travaillés en privilégiant les séances à l’extérieur pour le moral, la condition et l’équilibre. J’ai été élevée comme ça, et cela a donc toujours été dans mon système de laisser un cheval un maximum dehors, dans son état naturel. Ils sautent peu car le meilleur endroit pour apprendre est en piste. Les plus jeunes ont besoin de s’entraîner avec quelques lignes de gymnastique et des enchaînements aux écuries, mais rien ne remplace le concours. Enfin, pour un bon système, il y a évidemment des choses logiques comme la qualité de la nourriture et de l’environnement. Ce sont des bases qui ne changent pas.
Le bien-être des chevaux semble être une condition sine qua non dans votre système. Est-il réellement compatible avec le haut niveau ?
Le cheval doit être considéré avec ses spécificités, son caractère et son physique. En avoir conscience rendra chaque cavalier, à n’importe quel niveau, amateur ou professionnel, en un véritable « homme de cheval ». Pour moi, en compétition, le bien-être commence par des choses simples comme la qualité des écuries avec des boxes faits régulièrement, la qualité du terrain et des personnes qui s’occupent des chevaux. C’est la moindre des choses lorsque l’on demande à son équidé d’aller sauter des obstacles alors qu’il n’est pas fait pour cela à la base. Aujourd’hui, le bien-être et le top niveau pourraient être compatibles si les règles étaient les mêmes pour chacun, avec davantage de contrôle et de vigilance en ce qui concerne le dopage, les artifices et les techniques fourbes. Lorsque tout ceci sera fait, nous partirons tous, enfin, à armes égales.
Quelle est l’importance du commerce de chevaux au sein de votre écurie ?
Tous les chevaux m’appartiennent. Je les achète jeunes, les forme puis lorsqu’ils arrivent à haut niveau, ils peuvent être vendus. « Peuvent », car ils ne sont jamais à vendre mais peuvent être achetés, ce qui est une grosse différence. Arrivés à un certain niveau, ils me sont très vite demandés à l’achat, mais je ne les vends pas à n’importe qui et à n’importe quel prix. Puis je recommence à chaque fois, et quand j’achète un cheval, je le fais comme si je ne voulais jamais le vendre : il faut que j’aie envie de voir sa tête tous les jours et que je prenne plaisir à le monter. Il doit être mon ami et à chaque fois que j’ai fait confiance à mon instinct, cela a fonctionné. J’en achète très peu, mais j’essaie de choisir les meilleurs et de faire un bon travail avec eux.
Le top 10 est détenu par des hommes. Pourtant, l’équitation est le seul sport olympique mixte ! Une femme doit-elle redoubler d’efforts pour prouver qu’elle a sa place parmi les meilleurs ?
En compétition, il n’y a que le résultat qui compte, mais tout ce qui est extérieur à la piste peut être impacté. Les mentalités commencent à changer, mais il est vrai que les propriétaires confient plus facilement leurs chevaux aux hommes. Il y a de très bonnes cavalières qui s’écartent parfois du haut niveau pour avoir des enfants et choisissent de s’investir davantage dans leur vie de famille, ou auront aussi moins envie de prendre des risques. On ne va pas se mentir, se retrouver face à un obstacle d’1,60 m pendant un barrage, ce n’est pas rien ! Le choix a été vite fait pour moi, et la question ne s’est pas posée, j’aime trop la compétition ! Il était hors de question que je mette ma vie professionnelle entre parenthèses pour rester à la maison. Cependant, depuis que je suis maman, j’ai appris à savoir lever le pied en piste et à être plus raisonnable. Je ne suis plus seule maintenant et mon fils passera toujours avant moi ! Pour que mon système puisse continuer ainsi, mon entourage est là pour m’épauler afin que je puisse m’épanouir dans ma carrière sportive et ça, c’est précieux.
Vous comparez souvent le haut niveau à la Formule 1. Comment percevez-vous l’évolution du haut niveau, qui tend peut-être à se restreindre ?
Nous pratiquons un sport qui coûte extrêmement cher. Ajoutons à cela que nous collaborons avec des êtres vivants, qui peuvent valoir une fortune et se blesser du jour au lendemain. Je compare souvent le saut d’obstacles au motorsport car ce sont deux sports élitistes où amateurs et professionnels évoluent ensemble. Certains amateurs fortunés en font leur métier mais n’ont pas besoin d’en vivre. Bien sûr, nous avons besoin d’eux, de ces clients, mais cela ne doit pas fermer la porte à la réalité du sport et au résultat. Par ailleurs, même si la démocratisation de notre sport est une excellente chose, il ne faut pas être dupe : aller en compétition a un coût, et arriver au haut niveau ne peut pas se faire sans de gros moyens financiers. Ce sera donc compliqué pour certains jeunes d’atteindre leurs objectifs.
Connue pour votre engagement et vos prises de positions, est-ce un trait de caractère que doit avoir un grand cavalier pour le développement de son sport ?
Dans un monde idéal, nous sommes tous responsables de ce qui nous entoure. Certaines choses ne peuvent être changées car elles sont indépendantes de notre volonté, mais ce que l’on peut, il faut le faire jusqu’au bout : c’est le devoir de chacun, essayer d’améliorer le monde dans lequel nous vivons et exerçons. Certains grands cavaliers n’osent pas prendre position et défendre leurs idées, à l’inverse de grands champions, comme Steve Guerdat, par exemple, que j’admire pour ses engagements.
Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?
Paris 2024 est un objectif. J’aimerais pouvoir garder ma jument de tête actuelle, Boréale de Fondcombe, et y participer. Je sais qu’elle en a les capacités. Je n’ai aucun doute là-dessus. Maintenant, c’est à moi de faire au mieux et de me donner à 100 % pour qu’elle y arrive. J’ai quelques réglages à faire puisque nous avons souvent une faute au compteur, assez rageante, mais n’oublions pas que ce n’est que sa première saison en Grands Prix. Au regard de la situation sanitaire actuelle, il n’est pas simple de se projeter, mais je continue de participer au circuit du Grand National. J’aimerais prendre part au CSI 5* d’Equita Lyon puis, dès l’automne, si nous sommes prêtes, pouvoir prétendre aux sélections en Coupes des nations. C’est ce que je préfère, mais je veux y aller quand je serai parfaitement préparée. J’ai des chevaux fantastiques pour épauler Boréale, peut-être pas du niveau des Jeux, mais je fonde beaucoup d’espoir sur cette relève. Une chose est sûre, je mettrai tout en place pour participer à ces Jeux olympiques, chez nous, en France.