“Je tiens à ce que le Cadre noir montre qu’il est en phase avec son époque”, Thibaut Vallette
Avec le lieutenant-colonel Thibaut Vallette, champion olympique de concours complet par équipes à Rio en 2016, l’image, pourtant très institutionnelle de l’Écuyer en Chef du Cadre noir prend un sacré coup de jeune et de modernité. Résolument sportif au fond de son âme, extrêmement soucieux du bien-être du cheval, le trente-huitième “Grand Dieu” – il déteste cette appellation – sera en février prochain à Bordeaux à la tête du célèbre corps enseignant pour mener pour la première fois en dehors de Saumur le spectacle de gala intitulé “Au Cœur du Grand Manège”. Il évoque également la retraite du génial Qing du Briot*IFCE.
Écuyer du Cadre noir, champion olympique et maintenant Écuyer en chef. Pouviez-vous rêver d’une plus belle carrière équestre?
C’est vrai que lorsque l’on est cavalier d’État, entrer au Cadre noir revêt un certain prestige car c’est une maison chargée d’histoire. C’est intéressant sur le plan technique et fabuleux sur le plan du patrimoine. Pouvoir accéder à un poste au Cadre menant à la fonction d’Écuyer en Chef est un plan de carrière très gratifiant pour un cavalier. Avoir décroché au passage une médaille d’or olympique est quelque chose de très riche, et c’est vrai que j’ai connu beaucoup de beaux moments dans ma carrière de cavalier.
Que ressent-on quand on apprend qu’on va devenir Écuyer en Chef, “Grand Dieu” du Cadre noir?
J’avoue que “Grand Dieu” n’est pas un terme que j’affectionne particulièrement. Écuyer en chef est un poste qui comporte beaucoup de responsabilités. Il est garant des bonnes pratiques équestres et il est la caution du bon discours pédagogique. L’écuyer en Chef est le référent technique de l’équitation pour l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE). C’est un travail très diversifié qui peut parfois nous écarter notre tâche principale. Je dois veiller à ce que les écuyers puissent travailler dans de bonnes conditions et dans la meilleure entente possible, que les chevaux restent la priorité numéro une de notre travail car nous pouvons être sollicités à droite et à gauche et être éloignés de l’essentiel. Il s’agit de se recentrer sur le fondamental. C’est à la fois un travail de manager, de garant d’un patrimoine et de recherche de modernisation de ce patrimoine.
Avez-vous le sentiment de porter sur les épaules le poids et la légitimité de l’équitation de tradition française, inscrite au patrimoine immatériel de l’UNESCO?
Effectivement, le Cadre noir est le représentant le “plus connu de cette équitation de tradition française”, selon la formulation officielle de cette inscription à l’UNESCO. Nous jouons un rôle de garant, ce qui signifie que nous devons être vigilants et exemplaires dans notre pratique. On se rend compte que cette équitation est très variée: tout ce qui a trait au bien-être animal, à la relation quotidienne avec le cheval, les soins, les différentes formes d’équitation comme l’équitation de travail et d’autres encore sont autant d’éléments liés à l’équitation de tradition française. Nous avons un devoir d’exemplarité, de transmission de ce patrimoine, de respect du cheval. C’est beaucoup de responsabilités et mon rôle est de faire en sorte que chaque écuyer se sente également responsable de cette charge dans sa façon de pratiquer et d’enseigner, afin que les élèves quittant le Cadre noir puissent également faire rayonner les messages qu’ils auront entendus.
“Qing du Briot*IFCE va partir à la retraite à la fin de l’hiver”
Le bien-être du cheval semble toujours placé au centre de votre discours…
Le bien-être animal est chez nous un sujet de préoccupation quotidien qui passe par plein de moyens. À L’IFCE, c’est un vrai défi: rendre compatible une écurie de trois-cent-cinquante chevaux avec le bien-être animal. C’est un challenge compliqué et la réponse est dans l’attention et les soins que nous leur portons, dans la façon de leur créer les conditions de vie meilleures possibles. Nous menons des recherches pour développer ce bien-être animal et les résultats servent à notre institut, mais également à l’ensemble de la filière équine. Nous avons la chance au Cadre de ne pas avoir de but commercial en valorisant nos chevaux. Cela nous permet de prendre le temps de respecter leur croissance. Nous sommes fiers de pouvoir dire que nous achetons des chevaux à l’âge de trois ans et que nous les menons jusqu’à la retraite, pour laquelle nous avons le devoir de leur trouver de beaux endroits.
Allez-vous poursuivre votre carrière sportive en parallèle de cette charge ?
Mon cheval de tête, Qing du Briot*IFCE, devait achever sa carrière sportive aux Jeux olympiques de Tokyo, ce qui n’a pas pu se faire (en raison d’une “légère sensibilité” due à une “contusion osseuse diagnostiquée dans le pied” après le Grand National de Vittel, ndlr). Cela ne change rien : il va partir à la retraite à la fin de l’hiver car maintenant c’est une période un peu difficile pour mettre au pré un cheval qui a passé l’essentiel de sa vie dans une écurie confortable. Nous avons parcouru un chemin formidable ensemble et je suis fier de lui donner une retraite alors qu’il est encore en pleine forme, tant mentale que physique. J’ai gardé deux jeunes chevaux, Grain de Sel (AA, Upsilon x Ryon d’Anzex) et Edelweis Pompadour*IFCE (AA, Upsilon x Qlondike), âgés de six et sept ans, pour les préparer à la compétition. Cela me manquerait si je mettais un terme à ma carrière sportive du jour au lendemain. Je tiens également à ce que le Cadre noir ne donne pas l’image d’un simple conservatoire, mais qu’il montre qu’il est en phase avec son époque en participant à des compétitions et acceptant le jugement pour continuer à progresser.
Qu’est-ce qui va changer au Cadre noir sous votre gouvernance? Quelles ambitions avez-vous pour cette institution?
Je vais faire évoluer beaucoup de petites choses du quotidien. Je suis au Cadre depuis un certain temps et je connais bien ces détails qui doivent bouger. Il faut développer l’esprit de cohésion. Nous sommes sollicités par différentes missions: formation, compétition, présentation des chevaux en gala, participation aux travaux de recherche avec les ingénieurs du plateau technique. Beaucoup de tâches nous tiraillent d’un côté et de l’autre, et ce n’est pas toujours très facile à gérer. Mon objectif est que les écuyers puissent travailler dans les meilleures conditions possibles en veillant à ce que le cheval reste au centre de notre quotidien tant au niveau de la formation, de la préparation que de la pédagogie. Nous avons plein de beaux projets de galas, de déplacements et nous voudrions travailler sur une rénovation de ces spectacles. Il y a beaucoup de beaux desseins à atteindre.
“On ne peut pas gagner en compétition contre son cheval”
Depuis Patrick Le Rolland et Philippe Limousin, les écuyers du Cadre sont absents des grandes compétitions internationales de dressage. Avez-vous un plan pour remédier à cela?
Il est vrai que nous avons un peu de mal à être performants au haut niveau international en dressage. Cependant, nous avons quelques cavaliers qui évoluent en Grands Prix nationaux comme Gildas Flament, Pauline Basquin ou le capitaine Guillaume Lundy (qui a récemment brillé au CDI 4* de Madrid, ndlr). Il est difficile d’être performant au top niveau dans cette discipline alors que ce devrait être notre marque de fabrique. Nous allons y travailler, je vais m’appliquer pour que les cavaliers de l’écurie de dressage puissent se rapprocher de ce haut niveau. Des mesures ont été mises en place dans ce sens par mon prédécesseur, le colonel Teisserenc. De nouveaux chevaux sont arrivés et il faut laisser le temps que tout cela porte ses fruits. La compétition conserve un aspect aléatoire, ce n’est pas une science exacte, mais nous nous donnerons les moyens pour que les écuyers du Cadre noir reviennent sur les podiums de dressage. Ils en ont très envie, et je les encouragerai.
L’équitation de tradition française, qui prône notamment la légèreté, est-elle en phase avec les exigences de la compétition internationale de dressage?
C’est une question qui revient souvent, et il est difficile d’y répondre. Ce que je peux dire est qu’on ne peut pas gagner en compétition contre son cheval. C’est complètement vrai en concours complet, ma discipline, car un cheval qui est contre son cavalier ne l’emmènera pas au bout de son cross. Pour réussir, il faut une parfaite complicité entre le cheval et son cavalier. Qing, par exemple, a toujours été mon meilleur ami. Lorsque je rentre dans son écurie, il hennit. C’est la même chose pour la compétition de dressage: le succès passe par la fusion avec son cheval. Oui, il y a des abus, des moyens utilisés qui ne devraient pas l’être. Au Cadre, nous avons la chance d’avoir des chevaux à partir de l’âge de trois ans et d’avoir le temps de construire leur éducation dans la complicité. Si un cheval n’est pas à l’aise physiquement ou mentalement, il sera contre son cavalier et ne pourra jamais gagner. Le cheval qui gagne donne tout ce qu’il peut à son cavalier car une harmonie parfaite aura été construite. C’est ce que l’on recherche au Cadre, nous ne voulons pas être un musée et tenons à être partie prenante du monde de la compétition avec cette chance en plus d’avoir le temps. Et si nous sentons qu’un cheval n’est pas fait pour la compétition, jamais nous ne le forcerons. Nous lui trouverons une autre vie. C’est une façon de respecter nos chevaux. Nous leur cherchons leur meilleure voie tout en les éduquant – nous ne parlons pas de dressage, mais d’éducation. C’est l’essence de notre rôle d’écuyer. C’est notre fierté et nous veillons à ne pas céder à certaines dérives qui peuvent exister et c’est ainsi que nous pouvons faire rayonner le Cadre noir.