Marengo, cheval de bataille de Napoléon… et de l’artiste Pascal Convert : hommage ou offense ?

Dans le cadre du bicentenaire de la mort de Napoléon Ier, l’exposition “Napoléon ? Encore ! - De Marina Abramovic à Yan Pei-Ming” (du 19 mai 2021 au 13 février 2022) réunit les œuvres d’une trentaine d’artistes contemporains au musée de l’Armée à Paris. L’un d’eux, le plasticien français Pascal Convert, a imaginé une installation artistique mettant en scène le squelette de Marengo, cheval favori de l’Empereur, suspendu au-dessus du tombeau de son cavalier, sous le dôme des Invalides. Une œuvre qui ne fait pas l’unanimité.



© Pascal Convert

Marengo, Pur-Sang Arabe gris clair, est capturé en 1799 pendant la campagne d’Égypte. Il accompagne Napoléon Ierlors de ses nombreuses victoires militaires (Austerlitz, Iéna, Wagram…), à commencer en 1800 par Marengo, en Italie, d’où son nom. Lors de la défaite de Waterloo en 1815, Marengo est ramené en Angleterre comme trophée de guerre par les soldats de Wellington. En 1831, date de sa mort, on décide d’exposer son squelette, relique de guerre. Depuis 1971, il est conservé au National Army Museum à Londres.

La fragilité du squelette original a conduit à la réalisation d’un scan 3D. Cette empreinte numérique a permis l’impression d’un fac-similé en matériau composite, peint puis verni.

Rapidement, des voix se sont élevées pour contester le projet. Le 24 avril, l’historien et directeur de la Fondation Napoléon Thierry Lentz a lancé une polémique sur Twitter, accompagnant son texte de la photographie du projet : “La question n’est pas de savoir si on aime ou on n’aime pas, mais si l’on doit toujours le respect à la nécropole nationale des Invalides”. Toujours sur Twitter, Jean-Louis Thiériot, député Les Républicains, partage son avis. “Le dôme n’est pas un musée ouvert aux installations artistiques, c’est un mémorial, un lieu de recueillement !”, a-t-il écrit sur le réseau social. Il s’est adressé à la ministre des Armées, Florence Parly, insistant sur la nécessité de “délocaliser”l’œuvre. Une requête similaire de la Fondation Napoléon au directeur du musée de l’Armée s’est heurtée à un refus. Le mouvement France Bonapartiste a quant à lui lancé une pétition, intitulée “Non à la profanation du tombeau de l’Empereur Napoléon Ier”, qui a recueilli moins de cinq cent signatures.


Adel Abdessemed, Cheval de Turin, 2012 © Adel Abdessemed / Adagp, Paris 2021.

 




La conservatrice générale du musée de l’Armée, Ariane James-Sarazin, soutient la démarche de Pascal Convert. “Nourrie de références tant historiques (pratiques funéraires des guerriers et des grands conquérants dans les civilisations anciennes) qu’artistiques (des danses macabres au cavalier de l’Apocalypse de Dürer) et mythologiques (Pégase et Bellérophon, char d’Apollon…), l’œuvre savante de Pascal Convert, respectueuse des lieux et en parfait dialogue avec eux, est au service de la transmission de l’histoire et de la mémoire”, explique-t-elle. L’artiste s’inspire en effet d’anciens rituels décrits par l’historien Hérodote : guerriers et destriers réunis dans la mort, enterrés ensemble ou la monture suspendue au-dessus de la tombe.

Pascal Convert, loin de considérer son œuvre comme une atteinte au caractère sacré des lieux, y voit un moyen de redonner dimension humaine à Napoléon par son association avec un animal, désigné par l’artiste comme “objet dialectique”, combinant Histoire et histoire. Il veut faire réfléchir au processus de symbolisation et envisage son œuvre, intitulée Memento Marengo, comme une vanité, un memento mori (en latin, souviens-toi que tu vas mourir) contemporain : mantra répété par l’esclave aux côtés du général romain vainqueur, en contrepoint à sa gloire.

Éric de Chassey, directeur de l’Institut national d’histoire de l’art et commissaire du parcours d’art contemporain, a donné carte blanche aux artistes. L’exposition reflète donc une vision plurielle, mêlant légende noire et légende dorée autour de la figure de l’Empereur. Deux autres œuvres d’art ont moins attiré l’attention, du fait, peut-être, de leur emplacement moins stratégique, alors qu’elles contestent les massacres engendrés par les guerres napoléoniennes : la sculpture Cheval de Turin d’Adel Abdessemed présente un cheval révolté qui rue ; la vidéo de Marina Abramovic, The Hero, montre la performeuse immobile pendant dix-sept minutes, sur le dos d’un cheval blanc, portant un drapeau blanc en signe de reddition. Ne se trompe-t-on pas de cheval de bataille ?


Marina Abramovic, Extrait de l’œuvre Le Héros [The Hero], 2001, vidéo avec son, 17 minutes, collection de l’artiste © Marina Abramovic, Courtesy of the Marina Abramovic Archives / Adagp, Paris 2021.