Observons-nous correctement et suffisamment nos chevaux?
Parce que le bien-être de nos montures passe par de multiples critères, tant physiques qu’émotionnels ou environnementaux, deux vétérinaires et professionnels de la santé équine donnent leurs clés aux lecteurs de GRANDPRIX pour répondre à cette question. Le tout, à travers un abécédaire des notions essentielles du bien-être, en partenariat avec Rylife.fr.
Diplômé de l’École nationale vétérinaire de Toulouse depuis quarante ans, Jean Servantie est également ostéopathe et acuponcteur équin depuis bientôt trente ans. Des spécialisations qui lui permettent « d’appréhender le cheval dans toute son intimité ». Pour lui, «le bien-être c’est la santé, et mieux que ça : ce sont les conditions optimums pour le physique, le mental, les émotions, la vie sociale du cheval ». L’homme sillonne donc les routes pour écouter les chevaux et comprendre quand quelque chose ne va pas. Vétérinaire spécialisée en orthopédie, physiothérapie instrumentale (thérapie laser et électrostimulation) et soins naturels (dérivés du sang, cellules souches ou encore sangsues), Émilie Dallongeville a, elle, lancé la structure Equiwell voici deux ans, créant un collectif de professionnels (vétérinaires, ostéopathes, selliers, maréchaux ferrant, éthologues) visant à accompagner les chevaux dans leur globalité. La notion de bien-être lui est donc, également, essentielle. « C’est un état qui s’accompagne du respect des besoins fondamentaux et biologiques du cheval, physiques et psychologiques », décrit-elle. Les propos de ces deux professionnels tournés vers le bien-être sont ainsi livrés sous forme d’abécédaire. Ou comment bien observer les chevaux.
A COMME... AMOUR
Pour Jean Servantie, tout est question d’amour: « Quand on donne de l’amour à un cheval, il vous le rend avec ses moyens; en galopant plus vite, en sautant plus haut, en faisant des prouesses en dressage parce que cela lui fait plaisir. » Cette notion de plaisir est partagée par Émilie Dallongeville: « On ne voit aucun cheval performant dans la durée qui n’aime pas ce qu’il fait! En moyenne, un cheval pèse 500 kg. De fait, s’il n’a pas envie de faire quelque chose, il ne le fera pas. » Même conclusion dans le registre de l’équitation de loisir. « Un cheval bien traité sera content de partager une activité avec son cavalier. La preuve en est : s’il ne veut pas être attraper au pré, il est facile pour lui d’échapper à son cavalier car il galope bien plus vite que nous! »
B COMME... BESOINS FONDAMENTAUX
Quels sont donc ces fameux besoins fondamentaux évoqués en introduction?? « Il s’agit de l’alimentation, de l’abreuvement, d’un espace disponible dans lequel le cheval se sent à la fois libre de ses mouvements et en sécurité, et d’une vie sociable car le cheval est grégaire par essence », explique Jean Servantie.
C COMME... CAS PAR CAS
Si les besoins essentiels doivent s’appliquer à tous les équidés, il faut savoir les adapter au cas par cas. Pas question de tomber dans les généralités, notamment sur la vie en extérieur et en troupeau. Pourquoi? «Parce que la diversité du monde animal génère l’existence de personnalités et/ou physiques complètement marginaux. On connaît tous un cheval qui nous a fait mentir, comme un Shetland ne voulant pas vivre au pré, par exemple! L’important est donc de rester à l’écoute de chaque animal et de s’adapter pour trouver ce qui lui convient le mieux», répond Émilie Dallongeville. «Un espace de liberté et de sécurité n’est pas synonyme de pré. Par le passé, ces animaux étaient chassés et avaient des prédateurs. Certains peuvent donc avoir des réactions dangereuses du fait de leur instinct primaire de fuite devant l’agresseur», explique de son côté le vétérinaire-ostéopathe-acuponcteur. «Certains chevaux perdent 100kg en huit jours si vous les mettez au pré au moment de la retraite ! Car ils ont besoin de leur quotidienne relation affective avec l’homme.» Le bonheur n’est donc pas forcément dans le pré. Aussi, quels que soient les besoins fondamentaux à respecter (alimentation, environnement, intégrité physique, etc.), bon sens, observation, écoute et respect des individualités doivent primer.
D COMME... DOULEUR
Le bien-être passe aussi par l’intégrité physique et une bonne santé! «À terme, une douleur chronique va entraîner du mal-être», explique Émilie Dallongeville. « C’est dramatique quand une pathologie s’installe, car on arrive trop tard», renchérit Jean Servantie. «D’où l’intérêt d’une approche plus globale. Mes formations m’ont permis d’avoir un lien très subtil avec les chevaux. Je vais sentir très rapidement si un cheval souffre, avant même qu’il ne l’exprime par des paramètres biologiques.» Pour mesurer la souffrance ressentie par un cheval, les vétérinaires peuvent aussi se référer à des grilles d’évaluation de la douleur. « Personnellement, je me sers d’une grille adaptée aux douleurs locomotrices pour expliquer aux clients dans quel état se trouvent leurs chevaux. Parfois, faute de connaissances ou par habitude, ils ne voient plus que leur cheval a mal. Dans certains cas extrêmes, cela peut aussi être une aide dans une décision de procédure de fin de vie », plaide la praticienne.
F ET H COMME... FEMMES ET HOMMES DE CHEVAL
Les hommes et femmes de chevaux savent écouter, regarder, observer, sentir comment se portent leurs montures. Ils n’ont pas besoin de machines pour mesurer des données chiffrées. Ces dernières ne feront que confirmer leur ressenti. « Ils voient bien quand leur cheval a l’œil brillant, un beau poil, qu’il est heureux d’aller au travail, qu’il est joyeux, qu’il a plaisir à faire plaisir à son cavalier. De même, ils savent quand il ne va pas bien. Ce n’est pas quantifiable mais ils le sentent. Malheureusement, cette notion d’hommes et femmes de cheval se perd. Or, il faut un minimum de connaissances pour devenir propriétaire. Je trouve ainsi très bien l’application en Suisse du passage d’une « capacité » visant à prouver que l’on est apte à détenir un cheval avant de pouvoir en acquérir un», explique Jean Servantie.
G COMME... GRANDE SENSIBILITÉ
Sans aucun doute, le cheval est une éponge. Il se nourrit des émotions alentours. Ce n’est donc pas un hasard s’il est fréquemment utilisé en équicoaching ou équithérapie. Mais cette ultra-sensibilisation à l’environnement a son revers... Si l’amour inconditionnel de certains propriétaires à leurs chevaux peut s’accompagner de quelques maladresses, cet excès d’attention est rarement mauvais. « Là où il faut faire attention, c’est à ne pas trop polluer son animal avec ses propres émotions et problèmes », intervient Émilie Dallongeville. « Un jour, un cavalier de haut niveau m’a raconté que les chevaux qui faisaient des coliques dans ses écuries appartenaient tous à un seul et même propriétaire. En fait, ce dernier transmettait beaucoup de stress à ses chevaux », témoigne-t-elle avant de poursuivre : « Lorsque j’enseignais à l’École vétérinaire de Nantes, lors d’hospitalisations longues, un étudiant faisait grimper la fréquence cardiaque des chevaux car il était tellement stressé de devoir s’en occuper qu’il leur communiquait son angoisse. » Pour les deux spécialistes, pas de doute : l’humain n’est pas neutre dans le comportement du cheval, même s’il ne le fait pas exprès.
O COMME... OBSERVATION
Si Jean Servantie plaide pour une écoute attentive du cheval pour déceler rapidement un éventuel malaise, signe d’une sortie de l’état de bien-être, Émilie Dallongeville conseille à tout cavalier, soigneur ou propriétaire de se poser trois questions. «Mon cheval a-t-il un état d’embonpoint normal ? » Cela permet de répondre à un ensemble de problématiques: mange-t-il trop? Pas assez? Ses dents sont-elles bien faites? Est-il vermifugé ? « Généralement, les chevaux normalement entretenus, qui ne parviennent pas à se retaper, sont sujets au stress ou à une douleur chronique. En tout cas, un manque d’état est signe de souffrance », plaide-t-elle. Deuxième question: «Mon cheval a-t-il envie de travailler avec moi? Notre interaction se passe-t-elle bien ? » Là encore, la praticienne est catégorique : « Si un cheval est grincheux, ce n’est pas normal. La plupart des chevaux sont neutres ou contents de voir l’humain s’occuper d’eux. Quand ce n’est pas le cas, il faut s’interroger. » Jean Servantie abonde en ce sens : « Un cheval qui reste au fond du box et qui est craintif n’est clairement pas dans un environnement sécurisant pour lui. » Enfin, « mon cheval présente-t-il des signes de stress comportemental ou physique, comme un tic ou des ulcères gastriques à répétition ? » Cette troisième question permet de prendre en compte les éventuels signes de mal-être déjà instaurés.
P COMME... PSYCHOLOGIE ÉQUINE
« Ce qui me paraît essentiel à ce niveau et que j’appréhende facilement grâce à mon approche d’acuponcteur, ce sont toutes les émotions », entame Jean Servantie. « Le cheval est un être sensible, donc il a les mêmes émotions que nous. En acuponcture, chaque organe et chaque viscère est associé à une émotion : le foie à la colère, le rein à la peur, le poumon à la tristesse, etc. Ainsi, je peux rapidement déterminer l’émotion dominante d’un cheval et comprendre ce qui se passe.» Une clé pour mettre le doigt sur le début d’un mal-être. Pour autant, cela ne signifie pas que l’on s’occupe mal du cheval en question ou qu’il est maltraité, mais que quelque chose dérègle l’équilibre général. Quid alors d’une future spécialisation vétérinaire en psychologie équine ? « Cela pourrait être possible», estime la praticienne. «Il existe déjà des diplômes de comportementalistes pour chats et chiens en médecine vétérinaire. Avec le développement de la recherche et des connaissances formidables que nous sommes en train d’acquérir sur le comportement du cheval, je ne vois pas pourquoi il n’y aurait pas de tels spécialistes d’ici cinq à dix ans.» Et de citer les études actuellement menées par des éthologues et des ingénieurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) sur la cognition du cheval et son schéma comportemental.
R COMME... RÈGLES DES MESURES DU BIEN-ÊTRE
Pour ceux qui ne seraient pas sûrs de leurs observations ou de leurs ressentis face à leurs montures, une application a été mise en ligne par l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) en mars dernier. Son nom: «Cheval bien-être.» Conçu par l’IFCE, l’INRAE et l’université de Milan, cet outil permet de mesurer le bien-être de son cheval au repos à partir d’indicateurs objectifs scientifiquement validés. « Le protocole Cheval bien-être comporte une trentaine d’indicateurs à mesurer dans l’environnement et sur le cheval. À l’origine, il a été conçu pour évaluer le bien-être d’un groupe de chevaux adultes, dans leur milieu de vie, quel(s) que soi(en)t leur(s) mode(s) d’hébergement et leur(s) utilisation(s). Il peut également être utilisé pour un seul cheval, mais sera moins pertinent », décrit le site de l’IFCE.
Cette application vient ainsi compléter les autres outils proposés par la filière comme le « Guide de bonnes pratiques de la Charte du bien-être équin », par exemple.
Retrouvez plus de contenus dédiés, des contacts de spécialistes et des produits consacrés au bien-être équin sur Rylife.fr