“Il est difficile de faire carrière dans l’équitation sans soutien financier”, Emma Bodier

La semaine dernière, Emma Bodier est revenue du CSIO Jeunes d’Hagen Futurs Champions avec une belle quatrième place dans le Grand Prix Jeunes Cavaliers avec son acolyte Médoc de Muze. Fière de cette réussite, la cavalière coachée par Eugénie Angot est revenue sur son concours ainsi que son parcours équestre atypique. À cheval depuis moins de dix ans, la jeune amazone compte bien poursuivre ses études et tenter de tutoyer, dès l’année prochaine, le haut niveau et l’équipe de France Seniors.



Comment avez-vous trouvé le CSIO d’Hagen ? L’ambiance, l’équipe de France…

Le concours était super, on avait une très bonne équipe de Jeunes Cavaliers. Tout le monde venait nous soutenir pendant nos épreuves c’était chouette. Les pistes et les box étaient tops également. 

En dehors des épreuves, il n’y avait pas beaucoup d’ambiance, pas beaucoup de soirées, et ce concours coûte très cher.

Qu’avez-vous pensé de votre performance ? Quel sentiment cela procure de terminer quatrième d’un tel Grand Prix ?  

C’est génial ! Ce scénario n’avait pas forcément été prévu au début de saison, je n’étais pas tout le temps-là et n’ai jamais été en équipe parce que je n’avais pas forcément le niveau ou alors je n’étais prête au bon moment. Hagen a toujours été un CSIO important, c’est en Allemagne et très impressionnant. Je suis partie là-bas en me disant que je n’avais rien à perdre et finalement tout s’est très bien passé. C’était un objectif qui comptait beaucoup pour moi.

Quelles ont été les difficultés de cette compétition ?

Pour moi, la difficulté majeure du concours a été le paddock. Il y en avait deux, un pour détendre et un autre qui contenait un vertical dans lequel nous allions cinq minutes avant d’entrer en piste. C’était un peu difficile parce qu’on ne savait jamais quand il fallait passer de l’un à l’autre. Sur la piste, c’était plus gros que ce que l’on rencontre en France et très technique, pas tant dans les lignes mais les courbes arrivaient vite et étaient serrées.  

Hagen était seulement votre troisième CSIO. Espérez-vous en courir davantage ? Qu’y a-t-il de différents dans ces compétitions ? Que vous procure la sensation d’enfiler la veste bleue ? 

Pour le moment, j’espère pouvoir participer à la finale de les Coupe des nations aux Pays-Bas, ce qui serait génial, et continuer les CSIO 3* et les épreuves U25 l’année prochaine. 

L’esprit d’équipe présent dans les CSIO amène une réelle différence, surtout dans les concours à l’étranger. C’est spécial, nous partons en petit comité, en caravane, dans des boxes proches, nous nous retrouvons pour manger le midi, tout le monde se connaît et ça nous permet de nous rapprocher. 

En général, nous nous parlons de temps en temps en concours mais sans être très proches alors que, lors des Coupe des nations, nous sommes tous au paddock, regardons tous les parcours en bord de piste et c’est beaucoup d’émotions. 

Enfiler la veste de l’équipe de France était un rêve! Depuis toute petite, j’ai toujours voulu pratiquer un sport à haut niveau. Lorsque j’ai choisi l’équitation, je me suis dit que je n’allais jamais y arriver tant il y a de concurrence. Quand j’ai reçu mon matériel aux couleurs de la France, le tapis, l’écusson et tout le reste, j’ai enfin réalisé que c’était bon ! C’était mon objectif et j’en suis ravie, ça fait des années que j’attends ça. Cette sélection est méritée, j’ai obtenu de bons résultats, je suis là et j’en suis très heureuse.

Espérez-vous participer aux Championnats d’Europe ?

Les sélections ne sont pas encore tombées (l’entretien a été réalisé avant que le staff fédéral ne donne les listes des cavaliers qui se rendront à Oliva, dont Emma Bodier ne fait pas partie, ndlr). Normalement je n’y serai pas, je suis arrivée en toute fin d’année. Je dois être septième dans la liste, il me manque une ou deux sélections pour pouvoir y prétendre. L’année prochaine, je serai trop âgée pour continuer en Jeunes Cavaliers alors je participerai à des CSIO 3*.



“J’avais envie de redémarrer un système un peu plus neuf”

Cela fait moins d’un an que vous montez Médoc de Muze, comment avez-vous construit votre couple avec ? La transition a-t-elle été facile avec la monte de son ancien cavalier Timothée Anciaume ?

Je l’ai acheté en août 2021 et j’ai commencé les concours mi-septembre! Il appartient à l’entreprise que j’ai créée avec mon père, Boem (leurs deux initiales ndlr). Ça a été un peu difficile au début parce qu’il n’avait pas beaucoup d'expérience. Vu son talent de cavalier, Timothée (Anciaume, ndlr) l’a beaucoup monté comme il était et il m’a fallu quelques temps pour qu'on forme un vrai couple (rires). Aujourd'hui, tout va pour le mieux et ce n'est que du bonheur !

Il est tellement généreux, c’est vraiment incroyable. Nous avons été vraiment étonnés parce que, lorsque nous l’avons acheté, nous ne pensions pas qu’il serait capable d'être aussi régulier. Même si nous avions conscience qu’il pourrait participer à de belles épreuves.

Allez-vous pouvoir le conserver ? 

À la base, le but était de le vendre à la fin de l’année ou après les Jeunes Cavaliers mais, avec les derniers résultats, nous réfléchissons à le garder. C’est le premier cheval avec lequel j’arrive à former un couple et tutoyer le haut niveau. Il a tout ce qu’il faut pour sauter de très belles épreuves alors nous nous posons la question. 

Quels sont vos objectifs avec lui ?

J’aimerais débuter les Grands Prix 3* afin d’aller à Dinard (du 28 au 31 juillet, ndlr) et pourquoi pas le CSI 4* de Rouen en fin d’année. Cela nous permettrait de prendre part à des CSIO 3* l’an prochain. 

Comment fonctionne l’écurie Boem? Avez-vous des poulains que vous comptez récupérer? 

L’écurie Boem nous appartient, c’est une entreprise que j’ai créée avec mon père, j’en détiens des parts. Boem a racheté tous mes chevaux et a la propriété de tous mes poulains. Je devrai récupérer la première génération d’entre eux en fin d’année pour que je puisse les emmener sur les épreuves réservées aux chevaux de quatre ans en 2023. Chaque année, j’en récupèrerai un ou deux pour le sport. 

Je passe enfin du côté professionnel. Pendant des années, je montais surtout des chevaux d'âge qui m’emmenaient sur de belles épreuves et qui sont tous en train de partir à la retraite. J’avais envie de redémarrer un système un peu plus neuf avec des jeunes chevaux et d’autres destinés au commerce… 

Monter des jeunes est une expérience particulièrement formatrice. Je leur apprends quelque chose et ça me donne confiance en moi. La formation est quelque chose de gratifiant, nous apprenons ensemble.

Que devient Tufty du fruitier, qui vous a accompagnée lors d’épreuves internationales et Jeunes Cavaliers ? 

Tufty a été mon cheval pendant mes années en Junior et m’a emmenée sur quelques épreuves à 1,45m. Physiquement, il avait un peu de mal à maintenir ce niveau donc je l’avais déclassé en début d’année. Désormais, je le loue à Malena Dufour pour un ou deux ans. 

Il m’a fait vivre mes premières 1,35m, 1,40m et 1,45m, les championnats Juniors et Jeunes Cavaliers, il a vraiment tout fait ! Il a encore envie de sauter mais, physiquement, il n’arrive plus à assumer des parcours aussi hauts alors je veux lui offrir une ou deux saisons plus tranquilles. 

Il vous appartient depuis 2018, quel est votre plus beau souvenir avec ?

Je pense que mon plus beau souvenir avec est mon premier sans-faute à 1,45m, à Royan, en 2020. Je ne pensais pas un jour réussir à sortir sans pénalité sur ce genre de hauteur, d’autant plus que ce n’était pas forcément l’objectif quand nous l’avons acheté. À cette époque, j’avais un peu perdu l’espoir de participer à des épreuves comptant pour le classement mondial (Longines, ndlr) et il m’a offert ce beau cadeau.

Comment se porte Uraeus Blanc ? 

Uraeus se porte bien, il a fait une saison incroyable l’année dernière mais a commencé à être un peu moins performant en fin d’année donc nous l’avons mis au repos cet hiver puis de nouveau en début d’année. Dès qu’on le mettait sur de plus grosses épreuves, il s’arrêtait. Il a repris le travail avec Patrice Delaveau parce que je n’étais pas en confiance. Lorsqu’il reviendra cet été de thalasso, je me remettrais avec et retournerai en concours. L’objectif serait de faire des CSI 1* sur de beaux concours. Grâce au soutien de ses copropriétaires, je peux participer à de beaux CSI 1* comme ceux de La Baule ou du Paris Eiffel Jumping.  

Emma Bodier et Uraeus Blanc au Longines Paris Eiffel Jumping 2021

Emma Bodier et Uraeus Blanc au Longines Paris Eiffel Jumping 2021

© Sportfot



“Eugénie voit les chevaux comme nos partenaires”

Emma Bodier et Rumba de Sainval au Longines Paris Eiffel Jumping 2021

Emma Bodier et Rumba de Sainval au Longines Paris Eiffel Jumping 2021

© Sportfot

Vous avez débuté les concours en épreuves club avec Ubeda des Vents et Simpson de d’Esperance en 2014, vous souvenez-vous de cette époque et de ces chevaux ? Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir connu les années Poneys ?

Je m’en souviens très bien, c’était vraiment le tout début. Je n’ai jamais monté en poney-club parce que ma mère est allergique aux chevaux alors, le jour où j’ai voulu me mettre sérieusement à cheval, mes parents m’ont acheté Ubeda, ma première jument avec qui j’ai commencé. 

Par la suite, j’ai eu Simpson, l’objectif était d’avoir plusieurs chevaux. Les deux m’ont emmenée faire des épreuves clubs mais ils n’étaient pas capables de plus.

Je regrette un peu les années Poneys parce que je pense que c’est un vrai tremplin vers le haut niveau. Cependant, au vu de l’âge auquel j’ai commencé, j’aurais perdu du temps. À quatorze ans je n’y ai même pas pensé, mon avenir était à cheval. 

Vous avez passé un vrai cap avec Rumba de Sainval, qui vous a emmenée de la club 2 à l’amateur 1 à 1,15m en un mois. Quelle place tient cette jument dans votre cœur ? 

En ce moment, elle est montée par Mathis Bauer, sera-t-elle bientôt à la retraite ?

Quand j’ai commencé à monter à cheval à quatorze ans, nous avons rencontré la famille Delforge qui m’a présenté Rumba. Je l’ai louée pendant un an pour des club 1 (0,95m, ndlr) et des préparatoires 1m. Un jour, nous avons décidé d’engager au pied levé une 1,15m. C’est ce qui m’a lancée et donné envie. 

Je l’ai montée jusqu’à l’année dernière parce qu’elle était encore très en forme puis Mathis, un client de mon père, l’a louée. C’est une super jument d’amateur qui peut offrir des classements tous les week-ends. Elle refera encore une année je pense, à moins qu’elle nous montre qu’elle n’a plus envie, puis ira à la retraite à dix-huit ans.  

Souhaitez-vous continuer vos études ou vous orientez-vous vers une carrière de cavalière professionnelle ? Quels sont vos objectifs à long terme ? 

Je viens de valider ma troisième année de licence. Je suis en BCG, un diplôme de comptabilité-gestion pour être comptable. Pour devenir expert-comptable, il faut effectuer un mémoire donc il y a en tout huit ans d’études. 

Pour le moment, je souhaite garder les deux. J’ai été élevée dans une famille non-cavalière et j’en suis là grâce à mon père qui est lui-même expert-comptable. 

À moins de réellement réussir à me faire une place dans l’équitation, le but serait plutôt d’avoir un métier pour pouvoir acheter mes chevaux. Je souhaite pouvoir monter à cheval à très haut niveau et, malheureusement il y a de plus en plus d’argent dans ce milieu. Il est difficile de faire de l’équitation son métier sans soutien financier. Mon père ne financera pas ma carrière jusqu’à la fin de mes jours. 

Cela fait trois ans qu’Eugénie Angot vous coache, comment l’avez-vous rencontrée e? Qu’appréciez-vous dans son coaching ? Comment définiriez-vous sa pédagogie et sa vision du cheval et du sport ?  

Je l’ai rencontrée grâce à mon copain Kiliann Nicolas qui montait chez Eugénie et Cédric Angot. Je suis dans leurs écuries depuis que j’ai commencé les Jeunes Cavaliers. Je loue un barn avec dix box dans lesquels j’ai deux clients en plus de mes chevaux de concours.

J’ai toujours été une grande fan de l’équitation d’Eugénie et de la manière avec laquelle elle avait construit sa carrière. Ce que j’adore chez elle, c’est sa rigueur. Elle travaille beaucoup les chevaux sur le plat, ne nous demande jamais de sauter haut mais, pour autant, tout doit être parfait. Elle ne se contente pas de l’à peu près. 

En piste, nous avons une partition avec toute les notes à dérouler, et il ne faut pas oublier. Elle exige une grande rigueur et c’est ce dont j’avais besoin. J’ai très rapidement commencé à monter seule et à évoluer. On m’a toujours laissée faire et, grâce à Eugénie, je suis passée de parcours moyens à 1,35m à des tours propres à 1,45m. 

Elle est très directive et nous dit toujours quoi faire. Elle voit le cheval comme un partenaire. On ne le changera pas, c’est au cavalier de palier ses défauts ! C’est un cadre très sain pour les chevaux mais une éternelle remise en question pour les cavaliers. Il m’est arrivé de mal le vivre mais, désormais, tout est plus simple et j’ai une super relation avec mes chevaux.