“Mon père m’a toujours dit que j’arriverais un jour à ce niveau-là, mais je ne l’ai jamais cru”, Frederic Wandres
Après plusieurs saisons passées à toquer à la porte de la grande équipe allemande de dressage, Frederic Wandres a pris une autre dimension cette année et vient d’ailleurs d’être sacré meilleur cavalier du CHIO d’Aix-la-Chapelle dans sa discipline. Dans le temple des sports équestres, il a réalisé la meilleure performance allemande dans chacun des trois tests du CDIO 5* avec Duke of Britain FRH et s’est également adjugé le Grand Prix Spécial du CDI 4* sur Bluetooth OLD! Rencontré là-bas au lendemain de ses deux Grands Prix, le cavalier s’est prêté avec plaisir et bonne humeur au jeu des questions-réponses, revenant notamment sur les non-sélections qu’il a vécues en raison du niveau exceptionnel du dressage allemand. Il a également pris le temps de décrire son système, son piquet de chevaux ainsi que le parcours qui l’a mené au plus haut niveau.
Vous avez réalisé hier la meilleure performance allemande dans le Grand Prix du CDIO 5* avec Duke Of Britain FRH. Quel a été votre sentiment lors de cette épreuve?
Lorsque j’ai regardé la liste de départ le matin, je me suis dit que la crème de la crème des cavaliers de dressage était engagée dans cette épreuve et que cela serait donc plutôt difficile. Ensuite, j'ai vu qu'il allait faire de plus en plus chaud au cours de la journée et que de la pluie était annoncée, mais on ne savait pas vraiment à quelle heure. Ce n'est pas idéal lorsqu'il fait trop chaud ou qu'il pleut, donc j'espérais que nous passerions entre les gouttes. Cependant, je sais que je peux toujours compter sur mon cheval, et dans ce Grand Prix, tout à très bien fonctionné.
Le CHIO d'Aix-la-Chapelle est un concours mythique pour tous les cavaliers de la planète. Que représente pour vous, en tant qu'Allemand, le fait de concourir ici?
Lorsque l’on est Allemand, c'est très spécial. Il y a vraiment beaucoup de bons cavaliers dans notre pays et tout autant de supers couples qui sont capables d'obtenir de très bons résultats, donc obtenir une place au sein de l'équipe ici est quelque chose de très spécial. Cela ne fonctionne pas toujours et nécessite beaucoup de travail en amont, mais aussi un peu de chance, donc c'est une chose que nous savons apprécier.
Ressentez-vous plus de pression en entrant sur cette piste que sur d'autres?
Aix-la-Chapelle est bien sûr l'un des rendez-vous les plus importants de la saison, mais lorsque je participe à de plus petits concours régionaux, j'ai aussi de la pression. Ici, c'est une épreuve par équipes, donc il faut veiller à réaliser le meilleur résultat possible pour le collectif et à ne pas lui mettre des bâtons dans les roues. À la fin, c’est cependant ensemble que nous sommes forts et il y a toujours un peu de pression mais cela fait partie du jeu.
Cette année, on parle beaucoup de l'opposition entre l'Allemagne et le Danemark en vue des championnats du monde de Herning, où la nation hôte pourrait bien s'imposer. Comment voyez-vous cela?
La concurrence est toujours une bonne chose, sans laquelle notre discipline perdrait de son intérêt. Comme dans n'importe quel sport, on veut se mesurer aux meilleurs. Cette année, l'équipe danoise est en effet également très bien pourvue mais nous ne devons pas nous cacher et nous sommes tout autant en capacité de nous imposer qu’eux. Hier (dans le Grand Prix du CDIO 5* d'Aix-la-Chapelle, ndlr), les Danois ont pris une très légère avance, mais la messe n'est pas encore dite. De toute façon, quoi qu'il advienne du résultat de ce week-end (les Scandinaves ont finalement également pris l'avantage lors du Spécial et ont remporté la Coupe des nations allemande, mais avec un peu moins de cinq points d'avance sur leurs meilleurs rivaux, et ce alors que la Germanique Isabell Werth a été éliminée pour sang dans la bouche avec DSP Quantaz, ndlr), cela ne veut rien dire pour Herning. Tout est ouvert et l'ensemble des chevaux et des cavaliers devront de nouveau prouver ce dont ils sont capables, après être restés en bonne santé jusqu’au championnat. Je pense que nous ne devons vraiment pas nous avouer vaincus.
“C’est assez frustrant d’être encore et toujours réserviste”
En 2018, vous avez remporté votre première épreuve internationale puis, quelques semaines après, l'étape de la Coupe du monde FEI de dressage de Londres, où vous avez notamment devancé Charlotte Dujardin. Comment avez-vous vécu cette victoire?
Ce souvenir restera vraisemblablement à jamais gravé dans ma mémoire, car ce concours se déroule dans une atmosphère particulière et gagner devant Charlotte mais aussi tous les autres était incroyable. En plus, l'étape de la Coupe du monde de Londres a toujours lieu juste avant Noël, donc c'était une sorte de cadeau en avance! J'ai pris du plaisir et ce genre de souvenir donne envie de retourner sur le concours où ils ont été forgés. De ce fait, nous sommes toujours très contents de retourner à Londres et nous y avons d'ailleurs de nouveau été classés à la troisième place (en 2021, ndlr).
Pouvez-vous nous parler plus en détails de votre cheval de tête, Duke Of Britain FRH?
C'est un partenaire de rêve sur les rectangles et nous nous connaissons depuis longtemps. Nous avons parcouru ensemble le chemin du Prix Saint-Georges à l'équipe nationale! Nous sommes un peu comme un vieux couple, et je sais exactement comment il se sent lorsque je le monte. Sa force réside dans la constance avec laquelle il performe, et dans sa concentration en piste. Il se bat toujours pour son cavalier et il a une vraie force de caractère. Beaucoup de cavaliers disent cela de leur cheval et cela paraît un peu surfait, mais il est vraiment très facile à manipuler, ce qui est un grand avantage.
Malgré vos très bons résultats, vous n’avez jamais encore été sélectionné en grand championnat, tant il y a de concurrence en Allemagne dans votre discipline. Comment vivez-vous cela?
Au moment où les sélections sont annoncées, c’est assez frustrant durant un certain temps d’être encore et toujours réserviste… On se dit que pour n’importe quelle autre nation de dressage de la planète, on serait sélectionné et on pourrait vivre chaque championnat et le fêter, mais pas pour l’Allemagne. Or, je suis né Allemand et cela restera, donc c’est une sorte de fierté de vouloir arriver par ses propres moyens à être un jour sélectionné. Après avoir été nommé (deuxième, ndlr) réserviste pour les Jeux olympiques Tokyo et lorsque nous avons ensuite malheureusement raté la finale de la Coupe du monde, nous nous sommes dit à la maison “cela suffit, nous devons maintenant être si forts qu’il n’y ait pas d’autre option, que les sélectionneurs n’aient pas à choisir entre plusieurs cavaliers lorsqu’ils désignent le quatrième de l’équipe. Nous devons travailler pour sortir de cette position.” Et je pense que jusqu’à aujourd’hui, cela nous a bien réussi.
Qu’avez-vous mis en place de particulier pour atteindre cet objectif de devenir incontournable au sein de la Mannschaft?
C’est tout un travail d’équipe qui est fait autour de la performance et dont les gens ne se rendent souvent pas compte. En tant que spectateur, chacun voit la reprise que nous réalisons, mais pas vraiment ce qui est fait avant et après pour être capable d’obtenir de tels résultats. Il ne faut pas mentir ou le cacher: nous avons besoin d’un très bon groom, d’un super maréchal-ferrant, d’un bon vétérinaire… Non pas que les chevaux soient blessés, mais comme des skieurs ou des footballeurs, ils bénéficient de mesures d’accompagnement sportif. Ensuite, l’engrenage se met en marche et si l’on met les bonnes choses en place au bon moment, on peut grandement optimiser ses performances.
La règle prévalant lors de la finale de la Coupe du monde FEI ainsi que dans celles des championnats d’Europe et du monde, qui empêche plus de trois représentants du même pays d’être au départ, même s’ils sont qualifiés, n’est-elle pas injuste d’une certaine manière?
Oui, vu sous cet angle, cela semble injuste car ce sont les meilleurs qui devraient prendre part à ces épreuves. Cependant, les règles sont les règles, et la FEI poursuit par celle-ci l’objectif que le sport reste international, parce que c’est au final l’esprit olympique d’avoir beaucoup de pays au départ et que chacun puisse d’une certaine manière prendre le train en marche. Si sur quinze concurrents, huit sont allemands, ce n’est pas idéal pour le caractère international du sport, donc parfois, ce ne sont certes pas les meilleurs couples qui sont sélectionnés, mais cela permet à plus de nations d’être représentées.
“Je suis passionné par le fait de former les chevaux”
Comment peut-on selon vous expliquer la domination globale qu’exerce l’Allemagne sur le dressage mondial depuis des décennies, et ce en étant toujours représentée par de nouveaux cavaliers athlètes?
Je crois que l’Allemagne a construit un système qui est très bon au niveau de sa base. Cela commence par les fondamentaux pour les cavaliers, qui suivent chez les Poneys, les Juniors et les Jeunes cavaliers le même système que nous en Seniors pour les sélections en championnats, mais aussi dans leur entraînement. Par ailleurs, nous avons accès à un un large pool de très bons chevaux, qui peuvent être dressés correctement grâce au système de formation de la fédération allemande. Pour celui qui le souhaite, il y a un chemin qui est déjà un peu tracé. Toutes les success stories ne doivent pas obligatoirement suivre cette voie-là, vraiment pas, mais elle montre aux gens ce qu’ils peuvent faire et il y a aujourd’hui beaucoup de chevaux dans le sport qui viennent de ce système qui correspond à la philosophie de l’équitation allemande.
Vous-même n’avez pas concouru sur les circuits Jeunes mais avez commencé l’équitation à l’âge de huit ans. Avez-vous toujours fait du dressage?
Au début, rien n’était arrêté pour moi entre le saut d’obstacles et le dressage car j’avais un cheval de jumping qui n’était en fait pas très bon dans cette discipline, mais pas vraiment non plus en dressage. De ce fait, j’ai concouru dans les deux disciplines en épreuves Jeunes chevaux, mais ensuite, j’ai chuté une fois sur un obstacle qui n’était pas si haut que cela et je me suis dit “hum, je n’ai pas envie de vivre cela souvent”, donc je suis passé au dressage.
Qu’est-ce qui vous a plu dans cette discipline?
Pour moi, le dressage est plus ou moins la base de tout. Que l’on veuille concourir en saut d’obstacles, en concours complet ou dans une autre discipline, si l’on n’a pas un cheval disponible, on ne peut rien faire. À l’époque où j’ai choisi de m’investir dans le dressage, je me suis dit “si c’est la base, c’est par là que je dois commencer.” Je suis aussi passionné par le fait de former les chevaux, de vivre tout ce parcours avec eux. Lorsque l’on croit vraiment en certaines montures, elles évoluent parfois comme on le pensait, mais quelquefois, ce n’est pas le cas, et cela fait partie du jeu. À l’inverse, on monte parfois des chevaux dans lesquels on ne fonde pas tellement d’espoirs et on est ensuite très surpris de leur développement. Tout ce chemin ne dure pas quelques mois mais des années, et je prends du plaisir à le parcourir avec mes chevaux de dressage en formation.
Vous êtes-vous intéressé au dressage de haut niveau dès vos débuts dans cette discipline?
Oui, j’ai toujours un peu suivi ce qui s’y passait. Mon père m’a toujours dit que j’arriverais un jour à ce niveau-là, mais je ne l’ai jamais cru et j’ai toujours dit qu’il était complètement fou (rires). Il n’a absolument rien à voir avec le monde du dressage, et vient plutôt de celui du football. Il était d’ailleurs entraîneur, certes au niveau régional, mais il a une idée de ce qu’est le sport, de la façon dont on dirige une équipe, du punch qu’il faut avoir pour être performant. C’est pourquoi il m’a toujours dit que mon heure viendrait un jour mais je ne l’ai jamais pris au sérieux, et aujourd’hui, on voit que j’ai manifestement hérité de lui son ambition et sa niaque.
“Je n’exclue pas la possibilité que Bluetooth puisse prétendre à une sélection en championnat”
Vous avez été apprenti au sein du haras de la famille Kasselmann, à Hagen, avant de travailler pour le Gestüt Bonhomme puis de revenir là où vous aviez commencé. Comment fonctionne votre système au sein de cette grande structure?
J’ai fait mon retour au Hof Kasselmann en 2015. J’y suis employé de manière tout à fait normale, et nous avons tous les mêmes tâches à effectuer. Nous commençons par du travail d’écurie le matin, et nous montons ensuite à cheval. J’ai un piquet de chevaux – la plupart appartiennent au haras, mais certains sont à d’autres propriétaires – qui me sont attribués et dont je m’occupe comme s’ils étaient les miens, donc c’est moi qui organise les choses pour qu’ils soient vus par le maréchal-ferrant, le vétérinaire, etc., mais j’ai toujours la famille Kasselmann derrière moi au cas où il se passerait quelque chose et pour donner les lignes directrices. Nous sommes une grande écurie de commerce, ce qui signifie que nous avons des chevaux à vendre, y compris certains déjà formés pour le Grand Prix. Quand on devient cavalier professionnel, cela fait partie du jeu.
Outre Duke of Britain FRH, vous avez sous votre selle deux autres chevaux bien établis au niveau Grand Prix : Bluetooth OLD, Hot Hit OLD. Pouvez-vous nous parler d’eux?
Je monte Bluetooth depuis environ un an et demi. Il a connu une belle évolution et progresse constamment. Si l’on continue à le construire, je n’exclue pas la possibilité qu’il puisse lui aussi prétendre à une sélection en championnat dans le futur. C’est toujours bien d’avoir un deuxième cheval qui soit assez proche du meilleur de son piquet en termes de performances, et il a récemment été nommé au sein du cadre olympique (de la fédération allemande, qui regroupe les couples les plus à même d’être sélectionnés en grands championnats, ndlr), ce qui me réjouit. Le chemin jusqu’au plus haut niveau n’a pas été des plus simples avec lui car il est très sensible, et il a fallu que l’on s’adapte l’un à l’autre mais désormais, nous nous connaissons bien. Je peux lui faire confiance et je prends vraiment du plaisir à le monter. Il appartient à des clients du haras et il est possible qu’il soit vendu à un moment ou un autre. Ensuite, il y a Hot Hit, qui a maintenant onze ans et a participé au Louisdor-Preis (un circuit destiné aux meilleurs chevaux de Grand Prix allemands âgés de huit à dix ans, dont la finale a vu le gris terminer cinquième en décembre 2021, ndlr). Il a déjà obtenu quelques succès sur la scène internationale (le hongre a notamment remporté l’étape de la Coupe du monde FEI de Samorin en août 2021 et le Grand Prix du CDI 4* de Hambourg il y a quelques semaines, ndlr). Il s’établit bien au niveau Grand Prix et nous allons également continuer à le construire. Il a déjà été vendu et appartient à un propriétaire qui me le confie et se réjouit lorsque nous obtenons de bons résultats. J’ai également Harrods 3, qui a neuf ans et suit le circuit du Louisdor-Preis cette année. Il a remporté son premier Grand Prix national il y a dix jours avec une note de 74 %. Il est encore un peu vert mais très prometteur, et je vois les choses à long terme avec lui.
“J’ai tout ce dont j’ai besoin et beaucoup de bons chevaux à monter”
En 2019, vous avez permis à Zuchero OLD de monter sur la plus haute marche du podium lors du championnat du monde des six ans à Ermelo. Les Mondiaux des jeunes chevaux sont-ils pour vous une échéance aussi importante que les championnats de niveau Grand Prix?
Je dirais que non, c’est quelque chose de très différent. Je n’oublierai jamais le moment où Zuchero est devenu champion du monde (en battant notamment le très en vue Revolution, monté par Andreas Helgstrand, ndlr). Il était pour moi un cheval très spécial, mais il nous a malheureusement quittés à la suite de coliques un an après son titre. Cependant, on ne peut pas comparer les championnats du monde des jeunes chevaux avec les autres. Lorsque l’on est sacré avec un jeune cheval, cela ne veut pas dire qu’il sera assurément bon au niveau Grand Prix par la suite. C’est une voie que l’on peut prendre dans la formation des jeunes montures, mais qu’il n’est en aucun cas obligatoire de suivre. Il existe à côté de cela beaucoup de bons chevaux qui n’apparaissent sur la scène internationale que bien plus tard et qui participent pourtant par la suite au CHIO d’Aix-la-Chapelle ou même aux Jeux olympiques.
Certains cavaliers considèrent que ces championnats du monde des jeunes chevaux ne sont justement pas réellement une bonne préparation en vue du très haut niveau, et que les montures qui y obtiennent de très bons résultats ne sont pas forcément celles qui auront le plus de succès au niveau Grand Prix. Qu’en pensez-vous?
On ne peut pas faire de généralité: il faut vraiment écouter son cheval et le connaître. Je ne suis pas très partisan du fait de présenter les chevaux chaque année dans ces championnats, à cinq, six et sept ans, et si je veux les former ensuite pour le Grand Prix, il faut qu’ils aient encore l’envie de performer lorsqu’ils arrivent à ce niveau-là. S’ils ont déjà beaucoup tourné en concours à cinq, six ans ou bien même avant et qu’ils ont participé aux championnats du monde des jeunes chevaux, qui ne sont pas rien, j’ai parfois l’impression qu’en vieillissant, ils n’ont plus forcément l’envie de briller en piste. Cela les use aussi physiquement de leur demander autant lorsqu’ils sont jeunes, mais encore une fois, il faut vraiment s’adapter à chaque cheval. Chacun a également son propre objectif: si mon but est de tout faire pour avoir au final une monture de Grand Prix, je vais emprunter une autre voie que si je veux vendre mon cheval à un moment spécifique.
À désormais trente-cinq ans, avez-vous déjà pensé à créer et gérer votre propre structure?
Oui, j’y ai déjà pensé, mais ce n’est vraiment pas à l’ordre du jour. À Hagen, chez la famille Kasselmann, j’ai tout ce dont j’ai besoin et beaucoup de bons chevaux à monter. Il ne faut jamais dire jamais, mais pour le moment, je reste où je suis!