“Comment la cordelette s’est imposée au sein de mon système”, avec Marie-Charlotte Fuss

Si son utilisation tend à se démocratiser, de plus en plus de cavaliers souhaitant se tourner vers une équitation en accord avec de nouvelles connaissances en matière de bien-être équin, la cordelette fait encore l’objet de préjugés et de nombreux questionnements. Outre les sensations gratifiantes promises, cette pratique peut constituer un précieux outil dans le cadre de l'entraînement d’un cheval de sport. Comptant parmi les convaincus, Marie-Charlotte Fuss, sacrée championne de France et double championne d’Europe Jeunes Cavaliers de concours complet en 2016, livre son témoignage.



Quel cavalier n’a jamais fantasmé la sensation d’harmonie et de liberté que peut procurer le fait de diriger sa monture sans l’aide d’aucun artifice, ou presque ? Autrefois marginale et cantonnée à une équitation de loisirs ou de spectacle, la monte en cordelette gagne du terrain dans le monde des sports équestres, dont les cavaliers sont toujours plus nombreux à afficher leurs exploits. Pour autant, loin de n’être qu’un moyen de parader dans les carrières ou sur les réseaux sociaux, la cordelette peut s’avérer un outil de travail intéressant à bien des égards. “J’ai utilisé une cordelette pour la première fois pendant le premier confinement, en 2020. Je venais de déménager et mes chevaux étaient passés au pré, en troupeau. Cela faisait partie d’une remise en question générale autour de mon système et de mon rapport aux chevaux”, raconte Marie-Charlotte Fuss, qui s’est installée début 2022 près de Toulouse, après plusieurs années passées en Pays-de-Loire, et qui s’est lancée dans un projet d’écurie active. “J’avais une jument un peu compliquée avec laquelle j’avais entamé un travail inspiré de l’équitation éthologique. C’est par ce biais que j’en suis venue à la monter en cordelette. Au départ, je ne le faisais qu’avec elle, car cela lui convenait, mais je ne n’avais pas encore envisagé de le faire avec d’autres chevaux.”
Convaincue par les vertus d’une approche comportementale en adéquation avec sa quête de performance, la complétiste n’a pas tardé à intégrer l’utilisation de la cordelette à l’entraînement de la majorité de ses protégés. “J’ai commencé à les observer davantage et à me demander ce qu’est vraiment un cheval, comment ils apprennent et comment les y aider sans forcément avoir recours à la contrainte. Inévitablement, cela a déteint sur ma manière de travailler. J’ai débuté en m’instruisant sur le Horsemanship par le biais d’Andy Booth (cavalier et enseignant australien établi en Gironde, réputé pour son approche éthologique de l’équitation, ndlr). Cela m’a vraiment ouvert les yeux. J’ai appris de sa méthode et poursuivi à ma façon, en adaptant cette direction à mes chevaux et aux exigences du sport”, explique-t-elle.



Un outil d’éducation et de communication

Pour varier l'entraînement de ses chevaux, Marie-Charlotte Fuss alterne entre les séances en filet et en cordelette.

Pour varier l'entraînement de ses chevaux, Marie-Charlotte Fuss alterne entre les séances en filet et en cordelette.

© MGPY France

Un programme d’entraînement diversifié, mêlant le travail en selle et à pied et alternant séances ludiques et plus intenses, est l’une des clés pour maintenir un cheval en bonne condition physique et mentale. Ainsi, le simple fait d’effectuer une séance en cordelette de temps à autre peut être un bon moyen d’éviter la routine, à condition de ne brûler aucune étape. En effet, mieux vaut privilégier les séances courtes et débuter avec des demandes très simples qui permettront au cheval de se familiariser avec ses nouveaux repères. Bien employé, cet outil comporte de nombreux avantages et peut même contribuer à résoudre certains problèmes rencontrés. “Il me semble que cela demande beaucoup de concentration au cheval, étant donné que les actions du cavalier sont beaucoup plus fines”, estime Marie-Charlotte Fuss. De la même manière que le travail à pied s’appuie sur le langage corporel, la monte en cordelette vise à permettre une meilleure communication entre le cavalier et sa monture. “Pour certains chevaux, je pense que la notion de couple est réellement déterminante. Par exemple, je monte souvent en cordelette Forever de Nath, sept ans, parce que je sens que cela l’aide beaucoup. C’est un cheval de nature assez craintive et peu sûr de lui. Aujourd’hui, je suis même capable de le monter sans la cordelette, en liberté totale. Forcément, cela nous aide à développer une confiance mutuelle plus forte que lorsqu’il travaillait uniquement de manière classique. J’ai même pu observer des changements sur des chevaux qui avaient l’habitude de beaucoup tirer et qui étaient auparavant très embouchés. Ils sont devenus plus calmes, sereins et concentrés sur les demandes du cavalier”, illustre-t-elle.
“Cela leur permet aussi de travailler leur équilibre naturellement, car ils ne peuvent plus être tenus grâce à l’embouchure. Ils doivent se gérer seuls et se montrer très attentifs à la voix et à l’assiette. De cette manière, ils acquièrent une meilleure conscience de leur corps”, ajoute la cavalière de vingt-cinq ans, qui a recours à cette méthode avec ses chevaux d’âge, comme avec ses plus jeunes recrues. “C’est avant tout une question d’éducation. D’ailleurs, certains chevaux sont débourrés au licol, ce qui rend la tâche d’autant plus facile. Il est certain que ce n’est pas le genre de chose à faire directement avec un jeune cheval débourré de façon classique et qui ne connaît rien du mécanisme des pressions exercées par le licol ou la cordelette. En revanche, s’il a été éduqué à pied auparavant, ce travail est naturel.” Dans tous les cas de figures, la clé est de s’adapter au niveau et au tempérament de chaque équidé. “Pour certains, c’est très occasionnel. Pour d’autres, c’est plus régulier. La cordelette n’est pas une fin en soi, mais une démarche intéressante. C’est un moyen de permettre à mes chevaux de se sentir mieux, aussi bien dans leur tête que dans leur corps.”
Bénéfique pour les équidés, le travail en cordelette ne l’est pas moins pour les cavaliers. Bien souvent, retirer la bride ou le filet permet à ces derniers notamment de prendre conscience de l’utilisation excessive de leurs mains en temps habituel: une fois privés des rênes, le contrôle devient plus approximatif, voire inexistant, d’où l’intérêt de procéder étape par étape. “Personnellement, je commence toujours en mettant la cordelette avec un filet de manière à vérifier que j’obtiens bien une réponse de la part du cheval”, indique Marie-Charlotte Fuss. “Ensuite, je troque le filet pour un licol et ne le retire que lorsque je me sens prête, d’abord dans un milieu fermé, en manège. Il est primordial de s’assurer que le cheval est à l’écoute et que l’on est bien préparé. Cela ne s’improvise pas”, insiste-t-elle. “Pour moi, il est toujours extrêmement intéressant de travailler de cette manière, car j’apprends toujours en même temps que mes chevaux. Lorsque je commets des erreurs, cela me pousse à réfléchir, à me demander pourquoi cela n’a pas fonctionné et à réessayer le lendemain pour tenter de progresser”, ajoute la cavalière.



Un moyen, plus qu’une fin

Si Marie-Charlotte Fuss n’a encore jamais franchi le pas de concourir en cordelette, bien que cela ne soit pas interdit en saut d’obstacles, il lui arrive de s’affranchir du mors. “Je monte mon cheval de tête, Under de la Roque, en bitless (bridon sans mors agissant par l’exercice de pressions grâce à un système qui peut être fixe ou doté de lanières coulissantes sous les ganaches, ndlr) au saut d’obstacles. Il m’est aussi arrivé de le monter en licol. Cela m’amuse. C’est un peu comme un challenge, bien que je sois parfaitement sûre de moi. On nous regarde parfois un peu bizarrement, mais ne subissons pas vraiment de critiques. Il s’agit davantage de réactions étonnées ou intriguées”, affirme-t-elle. Adepte de ce type de défis, la complétiste souligne néanmoins la complémentarité entre le travail avec et sans harnachement. “Ce sont deux exercices totalement différents, qui n’ont pas la même finalité. D’ailleurs, on ne monte pas tout à fait de la même manière avec une cordelette et un filet. Je pense qu’il ne faut pas rentrer dans des extrêmes en condamnant l’un ou l’autre. Ce sont des outils qui doivent avant tout être utilisés correctement.” Patience et écoute sont donc les maîtres-mots. 

Ci-dessous, Marie-Charlotte Fuss évoluant en cordelette avec I'Fly des Rêves (SF, Tzigano Massuere x Sable Rose), son hongre de quatre ans :