D’une voix calme, n’omettant aucun détail, Romain Marcatté raconte une nouvelle fois ce qu‘il s’est passé lundi à Sénots, village situé entre Gisors, Chambly et Beauvais, dans l’Oise. En début d’après-midi, il reçoit un appel du dirigeant des écuries où son poulain, nommé Early Time Carnelle (Z, El Barone 111 x Cumano), est en pension, lui signifiant que ce dernier a été “ramené par quelqu’un et qu’il est salement amoché”. Interpelé par l’état de son portail, détruit, un voisin se penche sur les enregistrements de ses caméras de surveillance afin de comprendre ce qui venait de se produire. Il découvre alors l’effroyable scénario qu’a subi le poulain dans un pré.

Early Time et son compagnon de pâture se sont fait poursuivre par deux chiens, un staff et un pitbull. Ayant tous deux sauté la clôture, les deux poulains se sont retrouvés hors de leur pré. Si le second, sorti indemne, est parvenu à se réfugier, Early n’a pas autant de chance. “Il existe une vidéo de trente minutes dans laquelle on voit le poulain être attaqué, s’emmêler dans le portail pour tenter de se défendre puis rester coincé dedans, permettant aux chiens de le dévorer vivant, avant qu’il ne finisse par s’effondrer. Ils se sont notamment acharnés sur la jugulaire d’Early, qui est parvenu à se relever et s’extirper du portail. À ce moment, l’un des chiens est resté accroché à l’un de ses membres puis ils sont sortis du champ de la caméra” raconte Romain Marcatté.

Dans une deuxième vidéo, où le son importe plus que l’image, on peut entendre une femme, cachée, appeler l’un des chiens par son nom. “Après l’accident, un homme, prétendant effectuer des travaux dans la rue et l’avoir trouvé, a ramené le poulain au gérant des écuries, une laisse autour de l’encolure, avant de repartir aussitôt”, raconte Romain Marcatté, avant d’ajouter: “La femme n’a pas porté assistance au poulain alors qu’elle avait les connaissances nécessaires pour le faire”, croit-il savoir. “Pendant que les chiens s’acharnaient, elle n’est pas non plus rentrée dans la propriété pour tenter de les arrêter” déplore l’éleveur. 

Trois jours après l’attaque, le pronostic vital du poulain est toujours engagé malgré les soins prodigués. “Un vétérinaire est venu le soir-même. Durant deux heures, il a nettoyé et agrafé les plaies afin que nous puissions le transporter tant bien que mal. À la clinique de Maisons-Alfort, il a passé de nombreuses heures en chirurgie. D’après les échographies et radios réalisées, il n’y a heureusement aucune fracture ni lésion tendineuse. Cependant, une dent de chien cassée a été retrouvée dans l’épaule et une artère ainsi que des os, à vif, ont été touchés. Les chiens ont dévoré la chaire, laissant des plaies béantes qui ne cicatriseront qu’en deuxième intention, c’est-à-dire d’elles-mêmes, et uniquement en l’absence d’infection. S’il n’y avait pas de plaies articulaires, notamment au niveau du boulet, le pronostic-vital ne serait peut-être plus engagé. Cependant, certains examens n’ont pu être réalisés en raison des risques encourus. Il faut avoir le cœur bien accroché pour regarder les images du poulain après l’agression. Selon le vétérinaire chargé de rédiger le rapport, il y a eu volonté de tuer. Le chien a attaqué de nombreuses fois des parties vitales: la jugulaire, la trachée, les poumons et le cœur, sans parler des membres. C’est miraculeux qu’il soit debout”, considère Romain Marcatté.

Un combat judiciaire

Aussi, Romain Marcatté s’est lancé dans une bataille judiciaire. “J’ai d’abord déposé une plainte au pénal, qui n’a pas été reçue. Aux yeux de la loi, un conflit entre un chien et un cheval n’a pas sa place au pénal puisqu’ils sont tous deux considérés comme des objets. Heureusement, un gendarme a finalement pris ma plainte par délégation, ce qui m’a permis d’en déposer une deuxième au tribunal d’instance de Beauvais, au civil”, raconte-t-il. “Je fais naître un ou deux poulains par an avec un objectif de commercialisation, qui ne sera plus possible pour Early. Selon la vétérinaire, même s’il parvient un jour à concourir, on ne pourra le vendre. Les visites d’achat sont si exigeantes qu’un cheval avec de telles plaies ne sera jamais accepté.”

Après qu’il a lancé un appel à témoins sur les réseaux sociaux afin de retrouver les propriétaires des deux chiens, une immense vague de solidarité s’est créée. Et l’homme qui avait ramené le poulain se serait rendu de lui-même à la gendarmerie. Romain Marcatté a également reçu de nombreux gestes de solidarité. “Étant maréchal-ferrant et cavalier amateur, je me déplace dans toute la France et connais pas mal de monde. Des personnes m’ont notamment proposé de venir m’aider à changer les pansements si je devais m’absenter.”

Désormais, le Picard entend obtenir un dédommagement, sans pour autant mettre la vie des chiens en danger. “Étant également propriétaire d’un staff, je sais que les accidents peuvent arriver et je ne souhaite pas que ces chiens soient euthanasiés. En revanche, le comportement de la propriétaire, qui plus est équitante, me dérange. Dans la panique, je peux comprendre que les gestes ne soient pas les bons, mais je n’accepte pas le fait qu’elle ne soit pas intervenue pour aider un animal. Je souhaite que le fait de l’avoir laissé se faire manger par un chien sans porter assistance soit puni. Qu’un passant lambda n’intervienne pas est normal, mais que l’acte soit volontairement dissimulé me dérange.”

Une enquête est en cours, et le parquet de Beauvais n’a pas souhaité en communiquer les premiers éléments.