La génomique, plus de données pour mieux sélectionner

Depuis quelques années, le monde scientifique s’intéresse à un nouveau pan de la recherche génétique: la génomique. Le monde du cheval n’y échappe pas, d’autant que le besoin en sélection devient crucial à l’heure où le coût de l’élevage augmente et où les attentes des utilisateurs sont de plus en plus précises. Le point avec Benoît Chaigne, directeur technique du Stud-book Selle Français.



La génomique consiste à étudier le génome, autrement dit le patrimoine génétique d’un être vivant, animal ou végétal. Chaque individu possède sa propre signature génétique, incarnée par l’ADN (acide désoxyribonucléique), symbolisé par la double hélice torsadée. Cet ADN, constitué de nucléotides A/T/G/C, est porté par les chromosomes, au nombre de soixante-quatre chez le cheval, et soixante-deux chez l’âne – contre quarante-six chez l’être humain. Au moment de la reproduction, les paires de chromosomes se séparent et se mélangent, créant ainsi un nouveau patrimoine génétique unique: c’est le brassage génétique. Les nucléotides, codant pour l’expression de caractères, sont eux aussi mélangés, générant une très grande diversité de combinaisons, y compris au sein d’une même race. Ici intervient la génomique. Si le génome est très largement commun entre tous les individus d’une même espèce, il existe des différences de nucléotides entre chacun. L’objectif de la génomique est d’identifier celles existant entre les individus et d’étudier leur traduction concrète sur leur conformation, santé et/ou aptitudes. À ce titre, on peut distinguer trois niveaux: soit une combinaison génétique est majeure. Sa présence se traduit directement par la manifestation d’un caractère (c’est le cas du gène SCID ou du syndrome du poulain fragile, par exemple); soit on a réussi à établir un lien entre une observation de terrain chez les individus et la combinaison d’un certain nombre de gènes, et l’on parle alors d’étude d’associations. Elle permet de communiquer des informations sur la probabilité qu’un cheval exprime tel ou tel caractère selon la combinaison de gènes dont il dispose. Soit, troisième possibilité, il s’agit d’une multitude de gènes qui sont liés à l’expression d’un caractère ou d’une performance. La génomique sera alors utile pour évaluer le potentiel pour un reproducteur de transmettre ces caractères. On parlera alors d’indexation. 

Sur ce point, comme cela a déjà été réalisé sur de nombreuses espèces, il est essentiel d’analyser le plus possible de chevaux. Plus on disposera de données, plus on sera en mesure d’obtenir des statistiques fiables permettant à chaque éleveur d’en tirer des enseignements pour son propre élevage.



Une première application de cette nouvelle technologie: le contrôle de filiation

L’une des applications des progrès de la génomique se situe dans le contrôle de filiation. “Actuellement, nous utilisons la technique des microsatellites de l’ADN; des marqueurs qui permettent de valider la filiation d’un cheval, c’est-à-dire la garantie de son père et de sa mère”, explique Benoît Chaigne. Sur le plan international, la technologie d’analyse du génome SNP (pour Single Nucleotide Polymorphism) va remplacer la méthode actuelle. “Quitte à changer de technologie, autant aller plus loin et en profiter pour connaître encore davantage les liens entre génomes et expression des caractères.” Après une phase de recherche conduite depuis plus de cinq ans, le Stud-book Selle Français entend passer à l’étape suivante en travaillant activement avec les organismes de sélection (OS) des secteurs du sport, des courses, des poneys, des chevaux de travail, ainsi que l’appui scientifique et technique de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE) et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). 



Acquérir l’indépendance pour limiter les coûts et offrir de nouveaux services aux éleveurs

L’enjeu est de taille pour l’avenir. Comme c’est déjà le cas en Suède par exemple, si des sociétés privées déposent des brevets sur leurs découvertes génétiques, alors les éleveurs se trouveront obligés de payer une licence pour pouvoir les utiliser. Face à ce constat, la France a choisi de se mobiliser. “Il est indispensable que la recherche et l’action dans ce domaine soient menées en collaboration étroite entre les professionnels et les laboratoires publics”, insiste Benoît Chaigne. 

Grâce à un consortium composé du Trot, France Galop, du Stud-book Selle Français, de la Fédération des poneys et petits chevaux de France (FPPCF) et de la Société française des équidés de travail (SFET), associés à Labéo, l’IFCE et l’INRAE, ce projet concerne toutes les races. Après la phase de recherche, vient désormais l’étape de développement. Ce projet se déroulera en deux temps. D’abord, un volet sera consacré au développement scientifique et technique via le génotypage de plus de 2 000 équidés répartis sur les différentes races, puis la construction de la chaîne de traitement des informations depuis le laboratoire jusqu’à l’analyse et l’organisation des données afin de délivrer une information claire et utilisable aux éleveurs. Ensuite, le second volet sera voué à l’information et la communication des résultats applicables dans les élevages et pour les programmes de sélection. “Nous devons faciliter la lecture de ces données par les éleveurs et les intégrer dans la stratégie de chaque organisme de sélection”, explique Benoît Chaigne. “La phase de communication auprès des éleveurs est essentielle pour bien expliquer les apports concrets pour chacun dans la sélection de ses poulinières et pour choisir au mieux les étalons.” 

“Nous avons deux ans pour mener ce travail et faire en sorte de répondre aux questions et de convaincre”, insiste Benoît Chaigne. L’Allemagne et les Pays-Bas se sont déjà engagés dans cette voie. Les premiers ont réalisé 21 000 génotypages en 2021, rassemblant cinq stud-books (bientôt au nombre de neuf) et confié l’analyse à une société dédiée. Les seconds, quant à eux, génotypent tous leurs poulains depuis deux ans et ont notamment déterminé un indice concernant l’ostéochondrose, plus précis d’après eux que les traditionnelles radios. Travailler entre toutes les familles de la filière, outre les économies d’échelle, a pour but d’offrir aux éleveurs un nouvel outil de sélection afin d’aller plus loin que la généalogie – croiser selon les origines – et de combiner génomique et statistiques. “Le rôle d’un organisme de sélection comme le Stud-book Selle Français est d’avoir une vision de l’avenir”, conclut Benoît Chaigne. Faire progresser la race grâce à la science, sans renoncer aux connaissances accumulées par des décennies de sélection empirique, voici le nouveau challenge qui s’offre à l’élevage français.

Cet article est paru dans le dernier numéro du magazine GRANDPRIX.