“Aux Jeux de Paris, l’équitation, et surtout le concours complet, joueront gros”, Victor Levecque (2/2)

Double champion d’Europe Jeunes Cavaliers avec son fidèle Phunambule des Auges à Fontainebleau en 2018 et multimédaillé au cours de ses jeunes années, notamment deux fois paré d’or aux Européens Poneys de Millstreet en 2014 avec Qualität des Bourdons, Victor Levecque poursuit son apprentissage en Seniors. Aujourd’hui installé à Maisons-Laffitte, le Francilien de vingt-quatre ans mène de front sa carrière sportive et ses études à Science Po Paris où il prépare un Master en marketing. Cet hiver, il a récupéré Fair Lady des Broucks * FDJ, championne de France à quatre, six et sept ans avec Thomas Carlile, sur laquelle reposent ses ambitions pour Paris 2024. Dans la seconde partie de cet entretien, il évoque ses études, la sécurité en complet et le bien-être animal.



La première partie de cet article, parue hier, est disponible ici.

 N’est-ce pas trop compliqué de gérer à la fois ambitions olympiques et études?

C’est une volonté de ma part de combiner les deux alors tout se passe assez bien. Cela fait partie de mon équilibre. J’adore ce que j’étudie à Science Po et personne ne m’a forcé à suivre des études. Si tel avait été le cas, cela n’aurait jamais pu fonctionner. Ce double projet est également possible grâce à l’école qui m’accompagne beaucoup et me donne toutes les chances de réussir. Je suis maintenant en Master et j’espère être diplômé l’année prochaine. Ce système me permet de monter à cheval tous les jours et, comme j’ai peu de chevaux, j’arrive à m’investir à 100% avec chacun. Je passe la moitié de ma journée sur le campus pour suivre mes cours, et l’autre aux écuries pour m’entraîner. 
 À Science Po, il existe plusieurs écoles et chacune d’elle a ses propres cursus. Je réalise, pour ma part, un Master Marketing au sein de l’école du Management de l’Impact. Normalement, ce diplôme s’effectue en deux ans mais j’ai eu la possibilité d’étaler le mien sur une troisième année, ce qui me permet de mieux répartir mes différents cours et d’alléger mon emploi du temps.

 Dans quelle optique suivez-vous ces études? Préparer “l’après” ou bien plutôt afin de construire un projet professionnel en parallèle de votre carrière sportive?

C’est encore assez flou, je ne suis pas en mesure de dire clairement ce que je veux faire. Ce qui est sûr, c’est que les chevaux restent ma priorité. Mon objectif serait d’arriver à concilier un projet professionnel en parallèle de mon activité sportive. Je ne sais pas encore s’il sera en lien avec la filière équestre ou non, je laisse la porte ouverte aux opportunités. Je me suis lancé dans mes études à Science Po sans avoir de projet préétabli.

Pourquoi avoir choisi d’étudier à Science Po?
Jusqu’à l’obtention de mon bac, j’ai suivi un parcours scolaire classique. Mes parents m’ont beaucoup soutenu et j’ai toujours eu des professeurs conciliants avec lesquels j’avais un marché : si les résultats suivaient et que je rattrapais les cours, je pouvais adapter mon emploi du temps pour me rendre en compétition. Une fois le baccalauréat en poche, j’aurais pu m’arrêter là, mais j’avais la possibilité et la volonté de continuer mes études. Cependant, il devenait difficile de suivre un parcours académique classique, d’autant qu’à cette époque, j’étais très présent en compétition avec Phunambule (des Auges, SF, Clown du Chesnay x Oracle), alors au sommet de sa forme. Un cursus classique aurait mis un frein au début de ma carrière. Je me suis renseigné sur les écoles proposant un parcours aménagé en région parisienne. J’ai choisi Science Po car elle me correspondait et je l’ai intégrée dans le cadre du cursus dédié aux sportifs de haut niveau. Je dispose de bons aménagements et d’un accès à un large réseau d’athlètes. J’ai pu rencontrer des sportifs de divers horizons, ce qui était très enrichissant sur le plan personnel.



Comment s’organise le suivi des cours pour un sportif de haut niveau?

Le certificat, qui est l’équivalent d’une Licence, s’est très bien déroulé et, à son issue, on m’a proposé de continuer en Master sur trois ans. Étant le seul sportif de ma classe et n’ayant donc pas de parcours aménagé, il s’agissait du meilleur compromis pour que je ne rencontre pas de difficultés. Pendant le certificat, je pouvais suivre à distance, ce qui n’est plus le cas maintenant que je suis considéré comme un étudiant classique. J’ai pu sélectionner, en début d’année, les cours que je souhaitais suivre en fonction de mon temps et de ma capacité de travail. La première année s’est très bien passée. Actuellement, je suis la deuxième partie de mon Master 1. Tout s’est bien goupillé puisque, l’année dernière, j’avais essentiellement des jeunes chevaux, ce qui m’a permis de m’investir un peu plus à Science Po et donc d’assister à davantage de cours, me laissant un emploi du temps allégé cette année. Je me rends à l’école seulement le lundi et mardi matin. Pour la dernière année de Master, que je débuterai en septembre, nous n’avons pas encore tranché quant au format. Normalement, en Master 2, nous rédigeons un mémoire et passons du temps en entreprise. Cependant, la décision me revient puisque je sais que Science Po m’accompagnera dans mes divers projets. Cela dépendra aussi de l'avancée avec Fair Lady (des Broucks*FDJ, SF, Upsilon x Chin Chin). Je ne suis pas inquiet pour la suite. Au besoin, j’effectuerai mon Master 2 en deux ans.

 Dans le cadre de votre Master 2, souhaiteriez-vous intégrer une entreprise du secteur équestre?

Je suis partagé entre l’idée de travailler en lien avec ma passion et l’envie d’essayer quelque chose de différent. Je réfléchis à intégrer ou créer une entreprise dans un domaine d’activité extérieur au monde équestre et dans laquelle je m’y retrouverai en termes de valeurs et de sens. Bien que les chevaux me passionnent je trouve que, d’une certaine manière, concourir à haut niveau est une chose un peu égoïste. La particularité de notre sport, et qui fait aussi toute sa noblesse, est qu’il met à contribution un animal qui, au départ, n’avait surement pas envie d’être là. C’est aussi égoïste dans la mesure où l’on travaille avec des personnes qui se donnent à 100% pour contribuer à notre gloire personnelle. À ma modeste échelle, je souhaiterais aussi construire quelque chose qui ait plus de sens. Rêver d’être champion olympique, c’est une chose, mais à quoi cela me servira-t-il ? Si ce rêve se réalise, alors j’aimerais qu’il contribue à bouger les lignes, notamment à faire évoluer la manière dont on travaille avec les chevaux. Dans l’équitation comme dans chaque sport, il y a de grands champions inspirants, et d’autant plus dans la nouvelle génération qui permet à notre milieu d’évoluer vers une éthique plus moderne et respectueuse. Nous devons faire attention à l’avenir de notre sport car rien n’est acquis, surtout pour le concours complet. Il y a beaucoup d’enjeux à ce sujet et j’espère être acteur d’une évolution et prospérer une bonne image.

Après avoir validé le Certificat pour sportifs de haut niveau, Victor Levecque poursuit ses études à Science Po Paris en réalisant un master en Marketing.

Après avoir validé le Certificat pour sportifs de haut niveau, Victor Levecque poursuit ses études à Science Po Paris en réalisant un master en Marketing.

© Collection privée



“Certaines associations sont un peu radicales, mais la pire des réactions serait de les ignorer ou de les railler”

Étudiant en sciences politiques, vous devez être au fait des enjeux de société actuels. Pensez-vous que notre sport soit en accord avec le défi de la transition écologique?

Je pense qu’il faut être vigilent et ne pas tomber dans l’extrême. Soit on se dit que chaque petit geste compte et qu’un élan collectif permettrait de changer les choses, soit on se dit qu’au point où on en est, la situation est irréversible à moins d’un changement radical. Je ne suis pas suffisamment qualifié sur le sujet mais je pense que l’on pratique un sport qui est loin d’avoir un impact négatif comparé à d’autres activités de notre société. Bousculer nos modes de vie n’aurait que peu d’impact à l’échelle mondiale. Cela ne veut pas dire pour autant que nous ne devons pas prendre en compte ces enjeux.

Quid du bien-être animal?

Je pense justement que l’enjeux est plutôt de ce côté-là pour notre discipline. On prend la bonne direction et aujourd’hui, n’importe quel acteur du milieu doit se préoccuper de la question du bien-être animal, à moins de ne pas aimer les chevaux, ce qui doit certainement en concerner certains. Je pense que certaines associations sont un peu radicales, mais la pire des réactions serait de les ignorer ou de les railler, ça ne créerait que d’avantage de conflits. Il y a beaucoup de pédagogie à effectuer, notamment en ce qui concerne les besoins naturels des chevaux. On voit des changements, les gens comprennent de plus en plus qu'ils ont besoin de contact social et qu’ils ne sont pas faits pour rester enfermés dans un box. Il n’est pas forcément bon qu’un cheval soit dans une écurie 5* mais n’aille jamais au pré avec d’autres chevaux. À l’inverse, le fait qu’il passe ses journées dehors sans s’épanouir au travail ou s'entendre avec son cavalier n’est pas non plus bénéfique. Chacun fait avec les moyens dont il dispose mais, quand on aime les chevaux, il y a plein de choses qu’on peut mettre en place.

C’est encore un autre sujet, mais le concours complet doit se soucier de son image pour que la discipline perdure. Extérieurement, un non initié pourrait penser que cette discipline est moins respectueuse pour les chevaux que les autres, notamment avec les accidents sur le cross. Pourtant, je suis intimement convaincu que, pour la grande majorité, les chevaux de concours complet ne sont pas les plus malheureux, bien au contraire. C’est un sujet délicat car il faut à la fois protéger les chevaux et les cavaliers, sans pour autant dénaturer la discipline. Il n’est pas impossible que transformer le cross avec de plus en plus d’obstacles frangibles puisse le rendre encore plus dangereux car les couples changeraient leur manière d’aborder ces épreuves. Il y a matière à travailler et je pense que la fédération réfléchit énormément au sujet en mobilisant de nombreux acteurs. Avec le comité de sécurité de concours complet, dont je fais partie, nous réfléchissons à des solutions, mais ce n’est pas si simple. Je pense qu’aux Jeux olympiques de Paris, les sports équestres, et surtout le concours complet, jouent gros.



“À trop durcir le règlement, on risque de tuer l’esprit de la discipline”

Y a-t-il des points qui vous sembleraient primordiaux de faire évoluer dans le milieu des sports équestres ? Que ce soit en termes de règlement ou de fonctionnement des institutions. 

D’un point de vue règlement, bon nombre d’aspects sont déjà bien ficelés. Le risque, désormais, est de franchir un point de bascule. Plus le règlement sera durci, plus les couples seront protégés mais la discipline menacée d’extinction. En complet, la répartition géographique des concours est de plus en plus inégalitaire et, si nous avons la chance de disposer d’excellents sites en Ile-de-France, ce n’est pas le cas de l’ensemble du territoire. Certains adorent pratiquer le concours complet pour les valeurs qu’il véhicule et, à trop durcir le règlement, on risque de tuer l’esprit de la discipline. Même s’il y a encore des détails à améliorer en termes d’équipement ou de construction d’obstacle, je pense que l’enjeu central repose, aujourd’hui, davantage sur l’enseignement. 
 L’entraineur est supposé s’assurer qu’un couple est capable de courir l’épreuve sur laquelle il est engagé et a été entrainé mais aussi que le cavalier monte un cheval adapté à son niveau. Malheureusement, je pense que ces précautions ne sont pas garanties par tous les entraineurs, quelle que soit la discipline. Avec un enseignement globalement de meilleure qualité, beaucoup de problèmes pourraient être évités. Par cela, je ne veux pas dire qu’il n’y a que de mauvais entraineurs. Bien au contraire, nous avons la chance de disposer d’enseignants d’exception en France. Cependant, de manière générale, trop de situations risquées sont visibles en compétition. Cela s’estompe cependant à très haut-niveau, où les accidents sont plutôt liés à la fatigue des chevaux et où les responsabilités sont davantage celles des cavaliers. D’ailleurs, même en cas d’enjeux économiques et sportifs, il ne faut pas oublier que notre vie et celle d’un animal sont en jeu. Faire progresser l’enseignement de manière globale tirerait tout le monde vers le haut, ce qui améliorerait au passage l’image du sport.

Que pensez-vous du dispositif d’alerteurs qui seraient en mesure d’arrêter directement un couple sur le cross en cas de danger, sans passer par l’avis du jury?

Étant membre de la commission de sécurité, je suis au fait des longues discussions actuelles sur le sujet. C’est une mesure forte pensée pour éviter les accidents graves et, dans ces cas-là, il n’y a pas de doute à avoir. Cependant, étant donné qu’il s’agit d’une décision humaine, il peut y avoir un souci d’interprétation. L’enjeux est donc de mettre en place une pédagogie juste et de sélectionner de bons alerteurs, compétents et qualifiés. Lors d’épreuves amateurs ou pros, où il y a peu d’enjeux, relativiser et se dire qu’être arrêté est plus sage que d’être exposé au danger est important. La décision de l’alerteur est difficile mais je pense qu’elle est nécessaire. Prévenir le jury et attendre une réponse présente un délai trop important. Je suis convaincu qu’il est plus sage qu’un alerteur stoppe un couple plutôt qu’il ne regrette, à posteriori, de ne pas l’avoir fait. Cependant, ce travail de vigilance devrait également être effectué avant le parcours, notamment au paddock. Si une mauvaise détente est observée et que les premiers obstacles du parcours ne sont guère mieux, alors tous les éléments sont réunis pour décider qu’il vaut mieux ne pas continuer. Cette mesure peut sembler radicale mais il ne faut pas se poser de questions lorsque des vies sont en jeu. Par ailleurs, l’alerteur doit être en mesure d’arrêter aussi bien un enfant sur une petite épreuve qu’un cavalier de haut niveau. Être stoppé ne signifie pas être un mauvais cavalier, mais il arrive que le cheval ne soit tout simplement pas au niveau. En tant que cavalier, nous sommes parfois tellement grisés par le sport que nous ne nous rendons pas compte du danger. J’espère être arrêté par un alerteur ou le jury le jour où je me retrouverai en insécurité.



Retrouvez VICTOR LEVECQUE en vidéos sur
Retrouvez PHUNAMBULE DES AUGES en vidéos sur