À défaut d’un accord rapide avec sa Fédération, Daniel Deusser montera pour la Belgique

Comme son compatriote Christian Ahlmann, Daniel Deusser n’a plus évolué avec la veste rouge de la Mannschaft depuis les Jeux olympiques de Rio, en août 2016. En cause, un contrat imposé depuis 2017 par la Fédération allemande et jugé trop contraignant par les deux champions. Installé depuis 2012 dans les écuries du marchand belge Stephan Conter et marié à la Belge Caroline Wauters, l’ancien numéro un mondial rejoindra les rangs des Diables Rouges si aucun accord n’est trouvé d’ici quelques semaines.



À l’occasion de la conférence de presse du Grand Prix Coupe du monde Longines de Bordeaux, qu’il a remporté haut la main samedi soir aux rênes de Tobago Z, Daniel Deusser a accepté d’évoquer son avenir sportif et de revenir sur le différend qui l’oppose à la Fédération allemande. Un conflit né en 2017 et qui explique pourquoi, comme Christian Ahlmann, il n’a plus porté la célèbre veste rouge de la Mannschaft depuis la fin de la saison 2016. À la question simple et directe – “Vous reverra-t-on cette année en équipe d’Allemagne?” – l’ancien numéro un mondial a livré une réponse se voulant rassurante: “Ces derniers temps, nous avons eu de bonnes discussions. Je pense qu’une décision devrait être prise d’ici quelques semaines.
 
Tout en espérant trouver un accord avec la Deutsche Reiterliche Vereinigung (DRV), présidée par Breido Graf zu Rantzau et dirigée par Sönke Lauterbach, en coulisse, le vainqueur de la finale de la Coupe du monde, en 2014 à Lyon, double médaillé d’argent par équipes aux championnats d’Europe, en 2013 à Herning et 2015 à Aix-la-Chapelle, et médaillé de bronze par équipes des derniers Jeux olympiques de Rio a déjà anticipé la possibilité d’un échec de ces négociations. Dans ce cas, il fermera le chapitre allemand de sa carrière à succès pour en ouvrir un autre, sous les couleurs de la Belgique. Autant dire un séisme, dont il a confié quelques tenants et aboutissants à GRANDPRIX quelques minutes après cette conférence de presse: “Pour moi, la meilleure solution serait évidemment que les discussions en cours trouvent une issue positive et que je renoue avec l’équipe d’Allemagne, à laquelle je suis très attaché. Mais si ce n’est pas le cas, oui, je monterai pour la Belgique. Après tout, je suis déjà à moitié belge: je vis dans ce pays depuis plusieurs années, et mon épouse (Caroline, fille du regretté champion Eric Wauters, ndlr) ainsi que ma fille sont belges, de même que Stephan Conter, mon patron et propriétaire de mes chevaux. Cela ferait tout à fait sens à mes yeux.”
 


“Ce contrat comporte des risques que je ne veux pas endosser”


Indissociable d’Air Jordan, Cornet d’Amour et First Class van Eeckelghem, celui qui a aussi gagné de très belles épreuves avec Evita van de Veldbalie, Equita van’t Zorgvliet, Espyrante et plus récemment Cornet 39, Calisto Blue et Tobago Z ne s’est jamais satisfait de ce blocage. “Même si cela m’a ôté une certaine pression et permis d’évoluer plus librement, ne plus monter en équipe nationale est un crève-cœur car j’aime les Coupes des nations et les championnats. Je ne me suis jamais considéré comme indispensable à l’équipe d’Allemagne, qui l’a d’ailleurs prouvé aux Jeux équestres mondiaux de Tryon (décrochant le bronze par équipes, avant que Simone Blum ne s’adjuge l’or avec DSP Alice), mais c’est pour ces grands événements que je vibre, tout comme Stephan Conter, qui continue à sécuriser des chevaux sous ma selle afin que je puisse demeurer au plus haut niveau. L’an passé, j’aurais pu prétendre disputer quelques Coupes des nations avec un ou deux d’entre eux… mais le contrat que nous impose notre Fédération comporte des risques que je ne veux pas endosser, qui plus est parce que les cavaliers des autres grandes nations ne sont pas soumis aux mêmes contraintes.”
 
Depuis le début de cette affaire, Daniel Deusser et Christian Ahlmann, parfois montrés du doigt comme les vilains petits canards allemands, eu égard aux cas de dopage qui ont écorné leur image par le passé, n’avaient jamais vraiment évoqué le fond du problème ni expliqué pourquoi ce fameux contrat leur semble si injuste. À Bordeaux, le longiligne trentenaire a accepté de livrer ses raisons. “Au départ, on a beaucoup parlé de l’interdiction opposée aux cavaliers, en cas de dopage, de se retourner contre la Fédération et éventuellement de saisir une juridiction de droit commun, mais ce n’est pas le seul problème. Avec ce contrat, cavaliers et chevaux doivent se soumettre à un suivi longitudinal, autrement dit à des contrôles antidopage menés en dehors des compétitions. En soit, pourquoi pas, mais en l’occurrence cela nous contraint à informer la Fédération de tous nos déplacements, faits et gestes quatre-vingt-dix jours à l’avance… ce qui n’est vraiment pas compatible avec la vie d’un cavalier professionnel. En outre, la Fédération doit être informée de toutes les médications contrôlées (des hommes comme des chevaux, ndlr) administrées à la maison. Or, je ne trouve pas juste de devoir être désigné responsable de l’éventuel oubli d’un vétérinaire qui aurait traité un cheval convalescent et oublié de noter telle ou telle substance sur un document de suivi. Pour couronner le tout, il n’existe aucune échelle de sanctions en cas de manquement à ces règles. Il est simplement indiqué que le contrevenant encourt de quelques centaines d’euros d’amende à deux ans de suspension, ce qui laisse une trop grande marge à nos juridictions sportives… Il me semblerait plus clair de catégoriser les fautes et sanctions afférentes. À ce jour, aucune autre Fédération nationale n’impose cela à ses cavaliers. Et je ne comprends pas comment mes coéquipiers allemands ont pu l’accepter.”
 


“Les règles doivent être justes et claires”

 
On ne connaît pas le contenu des discussions actuelles, mais on imagine mal la DRV offrir un passe-droit à deux cavaliers, qui plus est condamnés par le passé. “Je ne parlerai pas au nom de Christian, même si je pense que nous sommes sur la longueur d’onde, mais ce n’est pas du tout ce que nous demandons. Les règles doivent être les mêmes pour tous, mais elles doivent aussi être justes et claires, ce qui n’est pas le cas en l’espèce”, martèle Daniel Deusser. Dans cette affaire, il semblerait également que sa Fédération nationale, éclaboussée plus qu’aucune autre par des affaires de dopage et dépendant largement de subventions publiques, soit pieds et poings liés par le ministère des Sports allemand, lequel entendrait appliquer les mêmes règles à toutes les disciplines olympiques. Il n’est pas non plus impossible que le retrait de l’incontournable Ludger Beerbaum de l’équipe nationale, à l’automne 2016, ait donné les coudées franches à ses dirigeants pour appliquer cette nouvelle politique.
 
Très attaché à ces deux cavaliers, Otto Becker, sélectionneur d’une équipe qui ne compte plus que trois cavaliers dans son Cadre A (Simone Blum, Marcus Ehning et Maurice Tebbel), parviendra-t-il à recoller les morceaux et empêcher un changement de nationalité d’une importance inédite dans l’histoire du saut d’obstacles allemand? C’est tout l’enjeu des prochaines semaines. On suivra aussi avec attention l’attitude de Christian Ahlmann. Bien qu’il soit toujours installé en Allemagne et qu’il monte régulièrement des chevaux de sa mécène allemande Marion Jauss, lui aussi est très associé à la Belgique à travers son solide partenariat avec le haras Zangersheide et sa vie privée, qu’il partage de longue date avec la Belge Judy-Ann Melchior, propriétaire de Zangersheide.