“De la tristesse, mais aucun regret”, Philippe Guerdat

Au lendemain de la confirmation officielle de la fin de sa collaboration avec la Fédération française d’équitation, Philippe Guerdat, qui s’était astreint au silence médiatique depuis plusieurs semaines, a livré ses mots et ses sentiments à GRANDPRIX. Sélectionneur national de l’équipe de France pendant six ans, le Suisse assure laisser sa place à Sophie Dubourg, directrice technique nationale, avec tristesse mais sans aucune rancœur.



GRANDPRIX-replay.com : Un peu moins de vingt-quatre heures après la fin officielle de votre mandat de sélectionneur national, quel sentiment prédomine en vous? La tristesse? Le soulagement de voir s’achever cette période de tensions?
PHILIPPE GUERDAT : Pour les cavaliers, il est vraiment bon que cette période de doute ait pris fin et qu’une nouvelle ligne ait été donnée par le président de la Fédération française d’équitation. Cela faisait déjà bien trop longtemps, deux mois au moins, que nous entendions toute sorte de rumeurs. Pour moi, il y a de la tristesse, je ne vais pas le cacher, mais aucun regret. C’est la vie. Il faut que je parvienne à évacuer tout ça. Six ans dans la vie d’un homme de soixante-six ans, ce n’est pas rien. C’est un long bout de chemin, avec énormément de souvenirs. Quand je me remémore tout ce que nous avons vécu, je me dis que ce fut une belle période de ma vie… Elle est maintenant terminée, pas comme je l’aurais souhaité, mais c’est ainsi.
 
GPR. : Imaginiez-vous que cette aventure s’achèverait de cette manière?
P.G. : Non, je n’aurais jamais envisagé ce scénario. J’espérais vraiment aller au bout de mon mandat. Fin 2016, après les Jeux olympiques de Rio, j’ai beaucoup réfléchi avant de me réengager pour la France. Personne ne me démentira, puisque le président Lecomte lui-même l’a déclaré dans l’interview qu’il a donnée hier à L’Équipe. À l’époque, j’aurais préféré signer pour deux ans parce qu’il me semblait que six ans, cela faisait long, surtout pour un étranger à qui l’on demande un tel investissement journalier. Mais le président et la directrice technique nationale (Sophie Dubourg, ndlr) voulaient que je signe jusqu’à 2020, avec la perspective des JO de Tokyo, donc je m’étais réengagé pour quatre ans.
 
GPR. : Ne nourrissez-pas une certaine frustration de ne pas avoir pu achever ce renouvellement que vous aviez impulsé dès votre arrivée et plus encore depuis le retour des JO de Rio?
P.G. : Oui, bien sûr, c’est ce qui me rend le plus triste aujourd’hui. On me qualifie toujours de pessimiste, mais sans excès d’optimisme, je pense que la France se qualifiera pour les JO de Tokyo – et je le lui souhaite évidemment. Après les Jeux équestres mondiaux de Tryon, je n’étais pas effondré. J’espérais bien sûr une meilleure performance de cette équipe, et la voir qualifier la France pour les JO, mais je ne m’attendais pas non plus à un miracle. Un Irlandais, un Belge ou un Britannique pourrait en dire autant. Sur douze parcours, il nous a manqué onze points pour terminer devant l’Australie, qui a obtenu cette sixième place qualificative. C’est beaucoup et peu à la fois. Pour autant, avec le nouveau système, il y aura une place de plus en jeu l’an prochain (outre les trois distribuées aux championnats d’Europe de Rotterdam, une dernière sera attribuée à la finale mondiale des Coupes des nations Longines, ndlr). La France aura des adversaires solides (notamment l’Irlande, championne d’Europe en titre, la Belgique, victorieuse de la dernière finale, et la Grande-Bretagne, ndlr), mais elle me semble tout à fait capable de devancer l’Italie, l’Espagne ou Israël. Même avec une équipe mixte (composée de piliers et de nouveaux venus, ndlr), je pense que nous y serions parvenus. Je sais que c’est toujours plus facile à dire maintenant… Je ne l’aurais d’ailleurs pas dit de cette manière si j’étais resté en place, parce que je ne suis jamais du genre à fanfaronner. En tout cas, l’avenir n’était pas aussi sombre qu’on l’a présenté.
 


“Le classement mondial ne prédit en rien les performances d’une équipe”

 
GPR. : Le président et la directrice technique nationale se sont particulièrement appuyés sur le classement mondial Longines des cavaliers, où les Français ont reculé ces derniers mois, pour justifier la remise en question de la stratégie française. Comprenez-vous cet argument?
P.G. : J’ai lu et entendu beaucoup de choses à ce sujet ces dernières semaines. Le fait que les meilleurs Français aient reculé est un état de fait, mais cela n’a jamais été un indicateur important pour moi. En tout cas, il ne prédit en rien les performances d’une équipe (du reste, en dehors des États-Unis et de la Suisse, les nations qui ont terminé devant la France à Tryon comptaient toutes au moins un cavalier mal classé, et la Belgique, avec quatre pilotes très bien classés, n’a terminé que onzième, ndlr). Et puis avoir un classement moyen n’a pas empêché l’Allemande Simone Blum (cent quarante-deuxième en septembre, ndlr) d’être sacrée championne du monde ni Alexis Deroubaix (quatre-vingt-quatrième le même mois, ndlr) de terminer neuvième. Pour être mieux classés, les Français auraient dû courir le Longines Global Champions Tour/Global Champions League à fond, ce qui n’a jamais été le credo de la Fédération, ou bien disposer d’écuries très fournies, ce qui n’était pas le cas cette année. Alors je ne comprends pas pourquoi on prêche une chose pendant plusieurs saisons, pour le déplorer d’un seul coup maintenant. Désormais, j’espère que cela ne va pas précipiter certains cavaliers à s’engager dans des équipes de la GCL… ce qui rendrait la tâche de mes successeurs encore plus difficile…
 
GPR. : La décision de la FFE ne constitue-t-elle pas un immense gâchis?
P.G. : Ce n’est pas à moi d’en juger, mais je ne le crois pas. Sincèrement, je n’ai pas l’impression de partir en laissant des cendres derrière moi. La France a des ressources et l’avenir devant elle. Et puis j’ai le sentiment que la période récente a eu le mérite de resserrer les rangs entre les cavaliers, qu’ils ont davantage dialogué qu’en temps normal. C’est une équipe soudée, même si l’on ne pourra jamais empêcher quelques-uns de faire bande à part.
 
GPR. : Songiez-vous à l’éventualité d’être remplacé directement par Sophie Dubourg, qui était jusqu’alors votre supérieure hiérarchique au sein du staff fédéral?
P.G. : Non, je n’avais pas imaginé ça, mais c’est le choix du président et il faut le respecter. Et puis, il y a un commencement à tout dans la vie. Il y en a bien eu un pour moi. Il est clair que le métier de sélectionneur induit bien d’autres soucis que ceux, déjà nombreux, que rencontre un directeur technique national au quotidien. En tout cas, quels que soient les choix de la Fédération, je ne souhaite que le succès de l’équipe de France.
 


“J’ai trouvé extraordinaire l’unité des cavaliers”


GPR. : Que retiendrez-vous de cette période particulièrement intense de votre carrière? L’image de tous ces cavaliers réunis pour vous rendre hommage lundi soir à Paris?
P.G. : C’était une belle soirée et une image forte. D’ailleurs, plein de gens qui voulaient participer à cette soirée n’ont pas pu venir parce qu’il n’y avait plus de place. Cependant, je retiendrai surtout ce qui s’est passé le 19 novembre 2018, qui restera une date-clé, comme l’était déjà celle du 8 août 2012, lorsque mon fils Steve est devenu champion olympique (à Londres, avec l’inoubliable Nino des Buissonnets, ndlr). Ce jour-là, le président de la FFE a convoqué une trentaine de cavaliers à s’exprimer en mon absence. Il s’agissait soi-disant d’évoquer les JO de Paris 2024, mais tous savaient que c’était pour discuter de mon cas, et tous ont fait bloc derrière moi. Normalement, lorsque l’intéressé n’est pas là, les langues se délient et des voix discordantes se font entendre. Là, ils ont tous défendu mon maintien en poste, ce qui a forcément compliqué le travail du président par la suite… Pour ma part, j’ai trouvé cette unité extraordinaire. C’est encore plus fort que les hommages publics, qui m’ont bien évidemment touché aussi.
 
GPR. : Quel a été le meilleur moment de ces six années de collaboration? Et le pire?
P.G. : D’une manière générale, les résultats sont trop aléatoires pour que je puisse uniquement m’appuyer là-dessus. Il faut se souvenir que nous avons été sacrés champions olympiques sur un fil à Rio mais aussi que nous aurions dû être médaillés d’or l’année précédente aux championnats d’Europe d’Aix-la-Chapelle et que nous nous sommes effondrés d’un seul coup… D’ailleurs, ne pas avoir été champion d’Europe est clairement mon plus grand regret avec les Français. La victoire est tellement proche de la défaite, et plus aucune nation ne domine durablement ce sport comme l’Allemagne a pu le faire par le passé. Il faut donc relativiser les choses. Je crois que nous sommes toujours parvenus à bien préparer nos grands rendez-vous. Parfois, nous avons brillé, parfois nous avons échoué. C’est la loi du sport. Et à mon sens, le rôle du sélectionneur est d’endosser les défaites et de laisser les victoires à ses cavaliers. Alors la défaite de Tryon est à mettre sur mon compte, mais la médaille d’or de Rio appartient aux cavaliers.
Ce dont je suis le plus fier, c’est d’être parvenu à construire un vrai groupe. Quand je suis arrivé, j’espérais que l’équipe de France concernerait une trentaine de cavaliers. Je l’avais d’ailleurs déclaré dans la première interview que j’avais donnée à GRANDPRIX (parue dans le numéro 46 de notre magazine, en mai 2013, ndlr). Alors je suis heureux d’en voir cinquante aujourd’hui. J’avais aussi dit que je voulais une équipe irréprochable. Et je crois qu’elle l’est devenue et qu’elle l’a prouvé, même s’il y a eu des hauts et des bas.
 
GPR. : De quoi avez-vous envie à présent?
P.G. : Sincèrement, je ne sais pas. Je vais me reposer un peu. Je ne me suis pas arrêté depuis dix ans, alors je vais peut-être couper un peu pendant deux ou trois semaines. Je reçois beaucoup de sollicitations, dont certaines farfelues. Après avoir entraîné l’une des plus grandes équipes du monde, il ne sera pas évident de me fixer un nouveau challenge. Je pourrais entraîner à titre privé ou tout simplement arrêter. Je ne vais pas insulter l’avenir, mais sûrement pas non plus prendre de décision tout de suite.
Pour finir, je voudrais profiter de la parole que vous me donnez pour remercier toutes les personnes, connues ou anonymes, cavaliers ou supporters de l’équipe de France, qui m’ont témoigné leur soutien. J’ai répondu à beaucoup de messages, mais j’en ai sûrement oublié, alors je veux qu’ils sachent que leurs mots m’ont touché et que je les en remercie du fond du cœur.