Jean-Maurice Bonneau et Patrick Caron réagissent au très probable départ de Philippe Guerdat

Si la Fédération française d’équitation n’a toujours pas officialisé la fin de sa collaboration avec le Philippe Guerdat, les messages de soutien et de remerciements affluent. Face la complexité de la situatiion actuelle, GRANDPRIX-Replay.com a donné la parole à deux anciens sélectionneurs de l’équipe de France.



“Un poste dont le mandat se termine toujours mal”, Jean-Maurice Bonneau

Chef d’équipe des Tricolores de fin 2000 à fin 2006, Jean-Maurice Bonneau a toujours loué les qualités et l’investissement de Philippe Guerdat, notamment dans le numéro de novembre du magazine GRANDPRIX, où s’étaient déjà exprimés le Vendéen, ainsi que Gilles Bertran de Balanda, Laurent Élias et le Néerlandais Henk Nooren.
 
GRANDPRIX-replay.com : Comprenez-vous que la FFE se sépare de Philippe Guerdat?
JEAN-MAURICE BONNEAU : Je ne connais pas tous les tenants et les aboutissants du départ de Philippe. Ce que je peux dire, c’est qu’il aurait été judicieux, et même la moindre des choses, de remercier Philippe pour tout ce qu’il a fait. On aurait pu le faire venir au milieu de la piste du Longines Masters de Paris, entouré de ses cavaliers. C'est un poste dont le mandat se termine toujours mal, et j’en sais quelque chose... Vraiment, tout le monde peut dire merci à Philippe pour ce qu’il a fait avec l’équipe de France. Son palmarès est plus qu'éloquent! Je n'ai pas toujours été d'accord avec lui, mais son bilan parle de lui-même. Il y a peut-être des raisons qui poussent la Fédération à se séparer de lui, mais je trouve la manière de faire vraiment limite. De plus, cela me dérange qu’il doive apprendre son possible départ dans la presse, en plein milieu du CHI de Genève...

GPR. : La grande majorité des cavaliers semblent opposés au départ de Philippe Guerdat. En dehors de leur expression publique, de quels moyens disposent-ils?
J.-M.B. : Quand j'ai été nommé sélectionneur fin 2000, les cavaliers avaient menacé de faire grève au CSIO de Rome... Un cavalier doit monter à cheval. Ce n’est pas son rôle de faire la grève, il doit pouvoir monter sereinement. À présent, la situation actuelle semble être sans retour... Et il ne faut pas oublier que dans sept mois nous attend une échéance européenne qualificative pour les Jeux olympiques. Puis il y aura les JO 2024, qui se disputeront chez nous! Il faut que tout le monde se mette au travail. Dans ce cadre, la forme avec laquelle Philippe Guerdat a été limogé est d’autant plus contre-productive...


“Serge Lecomte rebrousse rarement chemin”, Patrick Caron

Sélectionneur des équipes de France de saut d’obstacles durant treize ans, de fin 1985 à fin 1998, avec à la clé cent dix-huit médailles internationales, toutes catégories d’âge confondues, Patrick Caron a lui tenu à élargir le débat actuel.

GPR. : Comprenez-vous que la FFE se sépare de Philippe Guerdat?
PATRICK CARON : Cela fait plusieurs semaines que des rumeurs couraient au sujet du départ de Philippe Guerdat. Je suis sensible à la situation parce qu’il y en a eu d’autres similaires par le passé… Pour ceux qui s’en souviennent, Jean d’Orgeix avait été viré au lendemain des Jeux olympiques de Montréal en 1976, alors que l’équipe de France y avait décroché l’or par équipes… Puis les cavaliers avaient demandé le départ de Marcel Rozier au bout de sept ans où la France avait remporté un paquet de médailles, notamment l’or par équipes aux championnats du monde de Dublin en 1982. Puis je suis moi-même parti après treize années riches de médailles en championnats... parce que je ne pouvais pas continuer à travailler avec des gens qui ne partageaient pas ma vision des choses. Nous avions comptabilisé cent dix-huit médailles à l’époque, avec un staff fédéral exceptionnel, qui comptait notamment Bertrand de Bellabre.
Plus récemment, Jean-Maurice Bonneau est parti en 2006 après des médailles aux JEM de Jerez de la Frontera, puis Gilles Bertran de Balanda et Laurent Elias ont été virés, et Henk Nooren à son tour en 2013… Philippe Guerdat, qui est en poste depuis 2013, a réussi de superbes JEM chez nous à Caen, avec deux médailles d’argent à la clé, et gagné l’or olympique par équipes après quarante ans d’attente! Bref, ces situations sont presque habituelles… Les Bleus connaissent moins de succès depuis deux ans, et la Directrice technique nationale en est peut-être inquiète. Si j’en ignore toutes les raisons, elle semble vouloir provoquer un remaniement et une prise de conscience.

GPR. : Que pensez-vous du retour d’un entraîneur national, supposé corriger les problèmes techniques identifiés par la FFE chez certains cavaliers?
P.C. : En 2003, les dirigeants de FFE ont décidé de supprimer le poste d’entraîneur national pour ne conserver qu’un sélectionneur. Ils avaient affirmé à l’époque qu’il appartenait aux cavaliers de choisir leur propre coach, s’ils estimaient en avoir besoin. Le problème qui se pose, et dans d’autres sports comme le foot, le tennis ou le rugby, c’est que le management sportif doit être mené par des personnes qui ont une vraie connaissance de la discipline en question. Au-delà même du départ de Philippe Guerdat, je nourris une inquiétude vis-à-vis des Jeux olympiques de Paris en 2024. C’est demain! Tous les acteurs français, cavaliers, propriétaires et même organisateurs de concours, devraient travailler main dans la main dès aujourd’hui pour préparer cet objectif, et ils devraient commencer à penser avec qui ils veulent l’atteindre. Qui serait plus à même que les principaux intéressés de savoir ce qui est bon pour eux? Il ne faudrait pas que la FFE décide de nommer un nouveau sélectionneur en 2023, à la veille de l’échéance! Je suis vraiment inquiet de toutes ces décisions – ces chamboulements même – qui sont prises de manière unilatérale par des dirigeants qui n’ont pas une grande connaissance en la matière.

GPR. : La FFE pourrait-elle encore revenir en arrière?
P.C. : En rangeant mon grenier cette semaine, j’ai retrouvé des dizaines de lettres de soutien datant de l’époque où je comptais quitter mon poste. J’ai relu des lettres du CHIO d’Aix-la-Chapelle, qui pensait que les Français étaient fous de me laisser partir, ou encore une qui avait été adressée à notre ancienne Ministre des sports communiste Marie-George Buffet. Le mouvement avait été très fort! Tout le monde avait protesté à l’époque, et la FFE n’était pas loin de faire machine-arrière… Si cette dernière était revenue vers moi, avait reconnu ses torts et m’avait proposé de réintégrer le staff dans de bonnes conditions, j’aurais relevé le défi. Pour autant, même s’il écoute les différentes parties, le président Serge Lecomte prend toujours ses propres décisions, et rebrousse rarement chemin.