“Le salon des étalons de Saint-Lô n’a plus rien à voir avec les événements d’antan”, Denis Hubert
Vétérinaire avec plus de vingt-cinq années d’expérience dans la reproduction des chevaux de sport, Denis Hubert est un acteur éminent de l’élevage français. En plus d’être à la tête de l’élevage Manciais et de co-diriger le Haras de Saint-Lô avec Benoit Lepage, il est également président de l’Association syndicale des étalonniers privés (ASEP), organisatrice du salon des étalons de Saint-Lô, qui se déroulera en fin de semaine. Début février, avec Julien Blot, président de la Fédération des acteurs du développement des techniques modernes de reproduction (Fadeteq) et Pascal Cadiou, président du stud-Book Selle Français, il a adressé une lettre ouverte aux centres d’insémination au sujet du développement continu du commerce parallèle de semence d’étalons.
De vendredi à dimanche se tiendra le salon des étalons de Saint-Lô, que l’Association syndicale des étalonniers privés (ASEP) coorganise avec le stud-book Selle Français et le Pôle hippique de Saint-Lô. Qu’attendez-vous de cette édition 2023?
Il s’agit d’un salon commercial où les gens viennent avant tout pour se rencontrer. Nous avons eu la chance d’aller à Bordeaux, mais pour ceux qui ne sont pas sortis de chez eux depuis le début de l’hiver, c’est l’occasion de revoir tout le monde, alors c’est un peu la fête. Il va être intéressant de voir les jeunes chevaux, c’est pourquoi je trouve le programme du vendredi soir très important. Nous allons découvrir les quatre ans qui n’ont pas encore été beaucoup présentés et constater les évolutions de ceux que nous avions déjà vus lors des stages. Nous avons également hâte de découvrir les étalons, que nous ne connaissons que de nom et n’ont jamais été vus en modèle.
Êtes-vous satisfait de la liste des étalons qui seront présentés?
Oui, c’est une réussite. C’est incroyable d’avoir un tel catalogue, je ne suis pas certain qu’il y ait un autre salon qui rassemble autant d’étalons en Europe.
Concernant le cheval de sport, ce Salon est le dernier en France après la non-reconduction de celui de Bordeaux. Certaines années, des salons étaient organisés à Reims, Macon, Chazey-sur-Ain ou encore à la Rosière aux Salines. N’est-il pas dommage qu’aucun événement ne subsiste dans le reste de l’Hexagone?
Il était un peu difficile pour ces salons de continuer à exister. À l’époque, il y en avait en effet plusieurs organisés en hiver à travers la France et celui de Saint-Lô a toujours été le plus important. C’est dommage pour les autres régions, mais les étalons présentés lors de ces événements coûtent relativement chers donc les déplacer n’est pas toujours évident, d’autant qu’il y a toujours plus de risque en les faisant voyager durant la période hivernale. En ce moment, il fait très beau, mais certaines années la neige fait craindre des accidents de la route. Puis ce genre de changement d’environnement peut être difficile pour certains chevaux. Il m’est arrivé d’aller dans des salons où certains chevaux faisaient des coliques dues au stress de ne pas être chez eux.
À l’heure du tout internet, traverser la France ou l’Europe pour venir observer de près des étalons présentés en main et parfois sous la selle, fait-il toujours autant sens?
Je ne pense pas qu’internet affecte notre événement. Nous attendons énormément de monde sur le salon, à tel point qu’il devrait être difficile de circuler dans les allées. La preuve en est que tous les hôtels et chambres à louer à Saint-Lô sont complets depuis trois semaines ! Internet, c’est bien, mais les gens viennent pour rencontrer d’autres personnes et observer directement les chevaux. Avant, les salons n’avaient pas la même importance, ils se déroulaient généralement sur une demi-journée, comme celui de Poitiers, qui existait il y a longtemps et qui était très sympa. Aujourd’hui, le salon des étalons de Saint-Lô n’a plus rien avoir avec les événements d’antan, il s’agit désormais d’une vraie machine de guerre !
La semaine passée, le RESPE a alerté les détenteurs d’équidés quant à la recrudescence des cas de grippe, mais aussi des cas de Rhinopneumonie ou herpèsvirose équin de type 1. En tant que vétérinaire, êtes-vous inquiet de cette situation?
Nous ne sommes pas inquiets, mais tout le monde doit être responsable. Si doute il y a dans une écurie, il ne faut pas la faire venir, au risque sinon de ramener le virus. Néanmoins, le pôle équestre de Saint-Lô est tout de même encadré par des professionnels donc si un cheval tousse ou paraît suspect, l’alerte est donnée.
Quelles mesures de prévention avez-vous mis en place pour le salon des étalons ? Les visiteurs pourront-ils approcher les chevaux dans les écuries, comme d’habitude?
Le Pôle équestre de Saint-Lô est une structure relativement importante donc il y a toute la place nécessaire pour isoler les chevaux suspects. Comme dans les compétitions internationales, s’il y a des doutes sur un cheval, celui-ci est mis dans un box vétérinaire et si au bout d’un ou deux jours, on constate qu’il s’agit d’une fausse alerte, il peut retourner au cœur de l’événement. Vis-à-vis des visiteurs, il n’y aura pas de restriction spécifique.
Récemment, vous avez rédigé avec Julien Blot et Pascal Cadiou une lettre ouverte à l’attention des centres d’insémination français au sujet du développement continu du commerce parallèle de semence d’étalons. Ce phénomène prend-il de l’ampleur en France et en Europe?
Le problème est que la WBFSH (fédération équestre internationale de l’élevage de chevaux de sport, ndlr), supposée être au-dessus de nous, n’a pas la puissance qu’elle devrait avoir. Si nous comparons notre système à celui des chevaux de courses, que ce soit pour les Trotteurs ou les Pur-Sang, si une personne déroge à la règle, elle est alors en difficulté et risque de perdre son centre voire d’aller en prison. Si on prend l’exemple du Pur-Sang, il y a une loi mondiale stipulant que l’insémination artificielle n’est pas autorisée, et cette législation doit être respectée. Le transfert d’embryon n’est pas non plus autorisé, sauf sous certaines conditions bien spécifique chez les Trotteurs. Dans ces milieux, la règle est la même pour tout le monde. En France, j’entends des gens dire qu’il est dommage que tel ou tel cheval saillisse énormément de juments, et qu’il devrait être limité à cent produits. Je suis tout à fait pour, mais il faudrait alors que cette règle s’applique à tous, y compris aux éleveurs étrangers. S’il est stipulé que les paillettes sont libres de droits, elles doivent l’être partout ou pas du tout. Le problème est qu’aujourd’hui les règlements disent des choses différentes. Inéluctablement, un commerce parallèle s’est développé au fil des années car dès que des textes de loi sont mis en application, il y a toujours des personnes qui essaient de les contourner. Ces trafics, qui existent déjà depuis quelques années, se font toujours sur des étalons de prestige comme Kannan ou Diamant de Semilly, et sont essentiellement perpétrés à l’étranger. Notre lettre ouverte avait donc pour but de faire une piqûre de rappel en matière de règlement.
Regrettez-vous qu’il n’y ait pas davantage de contrôles de la part des institutions?
Oui, car il faudrait qu’il y ait au moins une législation au niveau européen. En Amérique du Sud, les trafiquants font ce qu’ils veulent, et s’ils se débrouillent bien, peuvent parvenir à faire naître une centaine de produits avec une paillette. Le propriétaire de l’étalon, qui malheureusement a vendu ces paillettes, se retrouve alors avec des poulains qui vont naître malgré lui. Par exemple, je sais que cette année, dans le monde, naîtront des poulains de Kashmir, étalon dont je me suis occupé pendant des années, sans que le propriétaire de l’étalon ne touche un centime ou même qu’il ne soit informé de ces naissances. Ainsi, certains propriétaires sont spoliés de la génétique de leurs étalons car leurs paillettes ont transité dans divers pays, ou sont des restes de cuve qui ont été vendues aux enchères, à une époque où ICSI (l’injection intracytoplasmique de spermatozoïde, technique de fécondation qui consiste à injecter un spermatozoïde directement dans un ovocyte mature, mis en développement in vitro pendant une semaine avant d’être ensuite réimplanté immédiatement dans une jument receveuse ou congelé dans l’azote liquide pour un transfert ultérieur, ndlr) n’existait pas. Les lois n’ont pas été établies suffisamment vite par rapport au développement des dérives. Aujourd’hui, je reproche à la WBFSH de ne pas être compétente car c’est à elle de taper du poing sur la table et de mettre en place une règle qui soit respectée.
Quelles seraient, selon vous, les mesures à prendre pour mettre fin à ces pratiques?
Il faudrait que, dès qu’il y a un litige, le propriétaire de l’étalon soit mis au courant de la naissance, quel que soit le pays concerné. Normalement, quand vous faites naître un poulain et que vous n’avez pas payé la saillie, vous ne pouvez pas le faire déclarer car le certificat de naissance est délivré par l’étalonnier. Cependant, certains malins font déclarer le poulain auprès d’un autre stud-book moins regardant, ou vont dans d’autres pays et obtiennent ainsi des papiers étrangers. Malheureusement, ces pratiques ont toujours existé, mais leur développement prend aujourd’hui de l’ampleur.
La saison de monte ne va plus tarder à commencer. Quel est votre degré de confiance quant à la production française. Va-t-elle augmenter ou se stabiliser?
Il faut regarder l’état du marché des chevaux de sport pour avoir une idée de la production à venir car faire pouliner n’est avantageux que si le commerce du cheval se porte très bien, surtout celui du cheval de haut niveau. Au regard de la demande actuelle sur le marché, je pense qu’on va faire une très bonne année, assez similaire à 2022. Malgré la crise avec l’Ukraine, le commerce de chevaux est étonnamment assez peu affecté par l’actualité mondiale.