Avant François-Xavier Boudant, d’autres champions s’étaient révélés à Dublin

Le Grand Prix Longines du CSIO 5* de Dublin, remporté dimanche soir par François-Xavier Boudant, héroïque en selle sur Brazyl du Mézel, n’en est pas à sa première heureuse surprise. Avant le Normand, l’épreuve reine de cet Officiel d’Irlande a révélé bien d’autres talents. Rien que dans l’histoire récente, on peut considérer que Bertram Allen, Kevin Jochems et Édouard Schmitz ont franchi un véritable cap en gagnant cette épreuve de prestige. 



Chaque été, depuis plus de cent cinquante ans, Ballsbridge, quartier cossu de la banlieue de Dublin, est le théâtre d’un concours mythique: le Dublin Horse Show. Fondé sous l’impulsion de Lord Howth en 1864, cet événement voit chaque année s’affronter les meilleurs cavaliers de saut d’obstacles de la planète à l’occasion de sa Coupe des nations, mais aussi de son Grand Prix. De niveau CSIO 5*, celui-ci gratifie le couple vainqueur d’un prestige difficilement égalable, mais aussi d’une coquète somme, s’élevant cette année à 115.500 euros avant impôts et prélèvements.

Au sein de l’arène RDS, bien des légendes se sont imposées. Certains y ont régné en maîtres, s’imposant à de nombreuses reprises dans le Grand Prix, comme l’incontournable Britannique David Broome, six fois meneur du tour d’honneur entre 1960 et 1981, son compatriote Nick Skelton, double champion olympique et quintuple vainqueur de la compétition, et leur compatriote Harvey Smith, quadruple lauréat. D’autres très grands champions ont triomphé dans cette épreuve mythique sans y imposer de véritable hégémonie, à l’image de l’Américain George Morris, vainqueur en 1958, de l’Italien Piero d’Inzeo, en 1962, de son frère Raimondo, en 1969 et 75, de l’Allemand Alwin Schockemöhle, en 1972, du Brésilien Nelson Pessoa, en 1989, du Britannique Michael Whitaker, en 1993, de son frère aîné John, en 1994 et 99, du Suisse Markus Fuchs, en 2001, ou plus récemment de l’Américain McLain Ward en 2010, de l’Allemand Carsten-Otto Nagel en 2012 et de l’Américain Kent Farrington en 2015. 

Si la hiérarchie du sport est souvent respectée dans ces épreuves de très haut niveau, le saut d’obstacles, comme toute autre discipline, se magnifie lorsque la surprise, l’incertitude et même parfois la chance viennent se mêler au spectacle. Dans son histoire récente, le mythique Grand Prix de Dublin a mis en lumière des athlètes alors pas ou peu connus du grand public. De la victoire du (très) jeune Bertram Allen, en 2014, à la consécration de François-Xavier Boudant, dimanche, en passant par les triomphes de Kevin Jochems et Édouard Schmitz, retour sur des performances rappelant aussi que la victoire se joue parfois au millimètre près. 



Bertram Allen (2014) : l’Irlande tient sa relève!

Quand on voyait l’Irlandais Bertram Allen évoluer en piste il y a dix ans, il n’était pas nécessaire d’être un fin analyste pour prédire au jeune garçon une carrière de grand champion. Dès l’été 2010, le natif d’Enniscorthy, petite ville du comté irlandais de Wexford, avait déjà fait parler de lui en remportant la médaille d’argent par équipes et l’or individuel aux championnats d’Europe Poneys de Bishop Burton, en Angleterre. À cette période, l’adolescent de quatorze ans bénéficiait des conseils avisés du champion Irlandais Billy Twomey, qui lui dégote ses trois premiers chevaux, dont les futurs stars Molly Malone V et Romanov. De là à s’imposer dans l’un des plus prestigieux Grand Prix de planète à tout juste dix-neuf ans, il y avait un cap à franchir. 

Dès 2013, le cavalier son étalon Romanov lui offre une victoire à 1,50m à Dublin, dès sa première participation au CSIO 5* d’Irlande. Cette performance sera suivie par une première victoire dans un Grand Prix CSIO 5* avec Molly Malone, en mai 2014 à Lummen, qui accueillait alors l’Officiel de Belgique, et d’une deuxième place dans la mythique Longines King George V Gold Cup d’Hickstead, associé cette fois à Romanov. Pour sa deuxième participation au CSIO 5* de Dublin, Bertram Allen n’est plus un novice découvrant le haut niveau, mais le jeune cavalier dont tout le monde parle, en quête d’une première très grande victoire. À l’arène RDS, Bertram Allen et Molly Malone signent un premier sans-faute dans le Grand Prix, avant de survoler le barrage, reléguant le supersonique Américain Kent Farrington et son génial Uceko à une seconde et trente centièmes. À dix-neuf ans seulement, le jeune homme entre ainsi dans la cour des grands. 

Bertram Allen en selle sur son incontournable Molly Malone.

Bertram Allen en selle sur son incontournable Molly Malone.

© Scoopdyga



Kevin Jochems (2018): l’ascension expresse d’un Néerlandais qu’on n’avait pas vu venir

Kevin Jochems et Bertram Allen partagent de nombreux points communs. Nés, en 1995, ces deux cavaliers ont écumé les circuit Jeunes, certes avec un succès modéré pour le Néerlandais, et peuvent tous deux se targuer d’avoir gagné le Grand Prix de Dublin avant de fêter leurs vingt-cinq ans. Si la victoire d’Allen, surprenante par sa précocité, était attendue tant le jeune homme se montrait performant dans toutes les épreuves, le triomphe de Kevin Jochems était bien plus difficile à anticiper.

Avant de connaître un été 2018 qui a changé à jamais sa carrière, il avait déjà tout du très bon cavalier, mais pas encore l’étoffe d’un champion. 

À partir de 2016, le cavalier commence à fleurter avec le très haut niveau en concourant de manière assez régulière au niveau 5* avec Zanzibar, puis avec son fidèle Captain Cooper. Pour autant, lorsque le jeune homme, alors âgé de vingt-trois ans, prend le départ de la King George V Gold Cup de Hickstead en 2018, il ne s’était encore jamais classé dans le top cinq d’un Grand Prix de ce niveau. En remportant cette épreuve devant une partie du gratin du saut d’obstacles mondial avec Captain Cooper, Jochems crée déjà la surprise générale. Évidemment, personne n’ose imaginer que le couple puisse réitérer son exploit quinze jours plus tard à Dublin. Et pourtant… C’est bien lui qui coupe la ligne d’arrivée le plus rapidement lors d’un barrage à sept très disputé. En devançant Alexis Deroubaix et l’Italien Lorenzo de Luca, deux et troisième avec Timon d’Aure et Irenice Horta, le duo a réalisé ce que que bon nombre des meilleurs cavaliers de la planète ne sont pas parvenus à accomplir en plusieurs décennies: s’imposer coup sur coup dans deux des plus prestigieuses épreuves de la planète. Depuis, Kevin Jochems attend toujours sa première sélection?dans un grand championnat Seniors, mais reste régulièrement présent au niveau 5*. 

Kevin Jochems et Captain Cooper sont sorti victorieux du Grand Prix du CSIO 5* de Dublin en 2018.

Kevin Jochems et Captain Cooper sont sorti victorieux du Grand Prix du CSIO 5* de Dublin en 2018.

© Scoopdyga



Édouard Schmitz (2022)?: Édouard aux mains d’or

L’an dernier, c’est le jeune prodige suisse Édouard Schmitz, récent invité de Kamel Boudra dans Riders Club, qui avait fait de Dublin son jardin. Né le 12 août 1999 près de Genève, le jeune Suisse a d’abord fait ses armes sur le circuit Poneys avant d’entamer une rapide ascension vers le plus haut niveau à cheval. En mai 2019, il participe à son premier Grand Prix de niveau 5* avec Balenciana K, à l’occasion de l’incontournable CSIO de Saint-Gall. Si le couple est éliminé, Édouard retente sa chance en 2021, associé cette fois-ci à Cortino 46. On lui comptera dix-sept points à l’arrivée.  

Le Roman doit ensuite attendre jusqu’à 2022 pour voir sa carrière prendre une tout autre dimension. “Ce fut une année inattendue”résume-t-il sobrement dans un entretien accordé à GRANDPRIX. Souvent à l’affiche des plus beaux concours, vainqueur de la Coupe des nations de Saint-Gall en juin avec Pius Schwizer, Martin Fuchs et Steve Guerdat, il est même sélectionné pour les championnats du monde de de Herning. Reste à décrocher une première grande victoire, et Édouard va donc lui aussi célébrer cela dans le temple irlandais de l’équitation. Associé à son rapide hongre Gamin van’t Naastveldhof, l’Helvète se paie le luxe de battre trois irlandais, Conor Swail, Shane Sweetnam et Andrew Bourns, dans un barrage à sept, pour remporter son premier Grand Prix CSIO 5* et s’inscrire dans la lignée de tous les grands champions ayant triomphé à Dublin. 

Edouard Schmitz et Gamin van’t Naastveldhof ont eux aussi réussi cet exploit en 2022.

Edouard Schmitz et Gamin van’t Naastveldhof ont eux aussi réussi cet exploit en 2022.

© Sportfot



François-Xavier Boudant (2023) : tout vient à point à qui sait attendre

La piste irlandaise n’est pas si fertile aux exploits tricolores, puisque le Grand Prix de Dublin n’avait souri que deux fois à la France avant l’exploit de dimanche dernier. Le fantasque et talentueux Jean d’Orgeix fut le premier à s’imposer dans le trophée d’Irlande en 1957, aux rênes de l’inoubliable Topinambour. Il fallut ensuite attendre la victoire de Patrice Delaveau et Roxane de Gruchy en 1995 pour réentendre la Marseillaise dans cette épreuve. Bien sûr, il y eut des Français à l’honneur, à l’image d’Alexis Deroubaix, deuxième en 2018, Timothée Anciaume et Jérôme Hurel, troisièmes ex æquo avec Padock du Plessis et Quartz Rouge, mais plus de victoire depuis vingt-huit ans. 

Contrairement à Jean d’Orgeix et Patrice Delaveau, François-Xavier Boudant est arrivé à Dublin en tant qu’outsider, bien qu’expérimenté et âgé de quarante-trois ans. Après des années passées à écumer les écuries et formé des jeunes chevaux, avec de nombreux succès à la clé sur le Cycle classique de la Société hippique française, le Normand s’est installé à un bon niveau international en collectionnant les belles performances à 1,50m grâce à une fructueuse coopération avec Ciento, fidèle hongre au style atypique qu’il a récemment mis à la retraite. Début 2019, Il croise la route de Brazyl du Mézel, dont il apprécie vite l’aisance à l’obstacle et qui va rapidement révéler un potentiel pour le sport de haut niveau. De là à gagner un Grand Prix CSIO 5*, tous les cavaliers savent que la route est tortueuse et pavée d’embûches. 

Avant Dublin, le couple n’était parvenu à se classer dans le top cinq d’une telle épreuve, mais celui que l’on surnomme amicalement “FX” et son hongre Selle Français de douze ans comptaient un très grand nombre de victoires et classements à 1,55m et 1,50m, et même une victoire dans un Grand Prix 4* à Valence en août 2021. Dimanche, deux jours après une Coupe des nations Longines marquée par deux parcours à quatre points, le couple a su déjouer les pronostics pour s’imposer devant les Britanniques Harry Charles et Samuel Hutton. Oui, le Normand l’a fait, qui plus est en partant très tôt au barrage. Résistant notamment aux assauts d’un certain Bertram Allen, il a inscrit son nom aux côtés de ceux des plus grands champions de son sport. François-Xavier Boudant est une preuve que le travail finit toujours par payer, et sa victoire renforce un peu plus le mythe du Dublin Horse Show, dont la pelouse a vu éclore tant de grands noms au fil des ans.