Un reportage danois donne à voir des méthodes d’entraînement inacceptables dans les écuries d’Andreas Helgstrand
S’étant déjà trouvé dans la tourmente à plusieurs reprises pour ses agissements envers ses montures, mais aussi envers ses clients, Andreas Helgstrand est de nouveau sous le feu des projecteurs en raison d’un reportage du programme Operation X de TV2. Les équipes de la chaîne privée de télévision danoise ont fourni à GRANDPRIX les deux volets de leur enquête, inaccessibles pour le public français. Au programme de ces deux émissions longues d’un peu plus d’une quarantaine de minutes chacune: blessures à l’éperon et à la bouche, rollkur, mais aussi un retour sur les accusations de fraudes visant Andreas Helgstrand.
Après une longue bataille judiciaire devant les tribunaux danois, qui s’est terminée il y a quelques jours seulement, la chaîne TV2 a diffusé hier, mercredi 22 novembre, la première partie de son reportage intitulé “les secrets d’un milliardaire du monde du cheval” et portant sur Andreas Helgstrand. Dans le cadre du programme Opération X, l’émission, malheureusement disponible uniquement en danois pour l’instant, repose en grande partie sur des images tournées en caméra cachée par la journaliste Rebekka Klubien Celle-ci s’est faite embaucher en tant que groom au sein des écuries Helgstrand Dressage pour recueillir ces photos et vidéos, apprend-on durant le reportage, qui s’ouvre avec une scène montrant Andreas Helgstrand lui-même en discussion avec Rebekka, alors qu’elle était infiltrée au sein de sa structure. “Vous êtes en train d’enregistrer?”, lui demande la magnat du dressage, qui explique alors être un peu nerveux et ne pas vouloir trop apparaître dans les médias. Puis, on voit Morten Spiegelhauer, présentateur du programme, appeler le cavalier et entrepreneur depuis son bureau, sans doute après le tournage au sein de ses écuries, pour lui demander s’il souhaite être interviewé pour le reportage, proposition que le Danois décline, ajoutant par ailleurs que “lorsque quelqu'un vient chez vous, sur votre propriété, ce qui n'est pas légal, et tourne des vidéos, cela franchit les limites. Nos employés sont choqués que cela se produise.” Ces deux scènes, on les revoit à la toute fin du deuxième épisode, chacun des volets durant un peu plus d’une quarantaine de minutes.
Les images filmées en caméra cachée montrant le quotidien aux écuries de Rebekka affluent, et celles montrant des abus envers les chevaux arrivent environ à la moitié de la première partie du programme. Là, on peut voir un gros plan sur un cheval au box portant des marques vraisemblablement dues à des coups de stick sur l’arrière-main et l’arrière du flanc droit. Juste avant cela, on est plongé dans une discussion entre Rebekka et une autre personne semblant être une groom, qui montre à Rebekka une photo sur son téléphone où un cheval aurait également des marques de coups de sticks. Par la suite, on voit effectivement une “photo de photo”, prise avec un téléphone sur l’écran d’un autre téléphone, où un cheval apparaît avec de nombreuses gonfles sur l’arrière-main, qui semblent pouvoir être imputées à des coups de stick. Par ailleurs, la groom interrogée par la journaliste infiltrée explique que de telles choses “arrivent souvent”.
Après ces blessures vraisemblablement causées par l’emploi d’un stick, on s’intéresse à celles infligées par les éperons. Cette fois, une photo de plaies sur le flanc d’un cheval dues, en tout état de cause, à un usage abusif de cet instrument, s’affiche à l’écran. Juste après, Rebekka semble montrer plusieurs images témoignant de ce type de blessures à une groom. Durant le dialogue qui s'ensuit entre les deux femmes, la soigneuse explique, selon les sous-titres, qu’un cheval nommé Devolution “a aussi des marques d’éperons. [...] Aujourd’hui, il a encore été monté avec des éperons alors qu’hier, il saignait.” Par la suite, la journaliste infiltrée filme les blessures à l’éperon d’un alezan au box et demande à une autre personne, vraisemblablement une autre groom, de venir voir. À une autre groom encore - vraisemblablement, l’anonymisation de l’image et de la voix des employés rendant parfois difficile le fait de les distinguer entre eux, Rebekka fait part de sa surprise de voir un cheval blessé par les éperons continuer à être monté avec cette aide artificielle. “Ce n’est pas la première fois que ce cheval a des marques”, lui répond-on. “Mais ça saigne!”, rétorque-t-elle. “Je sais. J’ai soigné ces marques [...] quand j’étais sa groom, il n’est pas le seul.”
Après quelques photos de l’évolution des plaies durant un certain laps de temps, la conversation reprend et cette fois, la groom explique que lorsque des clients viennent aux écuries, du cirage est appliqué sur les marques d’éperon pour les camoufler, ce que confirment Camilla Christensen et Silke Smevik, anciennes groom et responsable d’écurie chez Helgstrand interrogées par Morten Spiegelhauer. Quant aux marques de sticks, si une groom – a priori, la même qui avait révélé l'utilisation du cirage – avoue ne pas savoir comment elles peuvent être camouflées lorsque les chevaux travaillent, elle indique qu’elles ne sont pas inhabituelles, et que les équidés qui en ont portent une couverture au box lorsque des clients viennent. Par ailleurs, dans le deuxième volet du reportage, le thème des éperons revient. Cette fois, une vidéo filmée en caméra cachée dans le manège montre un alezan visiblement très tendu auquel sa cavalière fait effectuer des transitions arrêt-pas avant de lui enfoncer les éperons dans les flancs fortement à deux reprises, ce qui fait bondir le cheval. Juste après, on peut voir un équidé bai qui commence à se défendre et essayer de se cabrer. Sa cavalière lui impose alors une flexion d’encolure très forte, le cheval se met à reculer avant de recevoir trois très fortes attaques d’éperons.
Cette vidéo, que l’on voit à trois reprises, fait partie d’une séquence de plusieurs clips montrant des séances d’entraînement des chevaux dans le manège. Pour les obtenir, Rebekka a manifestement posé sa veste, contenant une microcaméra, sur le pare-bottes dudit manège. On peut tout d’abord voir que la grande majorité des chevaux sont montés en rênes allemandes. Très vite, on observe un cheval noir qui montre une défense importante dans une cession à la jambe au pas en étant dans une attitude très plaquée. On verra ensuite d’autres défenses, comme celle d’un cheval alezan qui se cabre et finit par se cogner dans le pare-bottes. À chaque fois, il s’agit de vidéos très courtes. En revanche, au fil du reportage, on peut voir plusieurs chevaux maintenus en rollkür, technique induisant une hyperflexion poussée de l’encolure interdite par la Fédération équestre internationale, sur des périodes de temps plus longues. Deux équidés sont montrés dans cette position, avec leur menton contre le poitrail ou presque, à la longe, l’un portant des rênes fixes et l’autre, des rênes allemandes. Ces rênes allemandes, également utilisées sur un alezan portant déjà une bride et lui aussi maintenu en rollkür, sont justement un sujet important du programme de TV2. Ainsi, on peut y vivre de l’intérieur ce qui ressemble à un court briefing où l’on demande aux grooms de bien indiquer aux cavaliers qu’ils ne peuvent pas utiliser les rênes allemandes de 13 à 14h ce jour-là en raison de la présence de clients. Lorsque Rebekka, la journaliste infiltrée, s’interroge sur la raison de cette interdiction, une membre du personnel, vraisemblablement une groom, lui explique: “Ici, c’est une grande entreprise. Beaucoup de gens utilisent les rênes allemandes, mais si cela se savait publiquement, cela amènerait une mauvaise réputation.”
En outre, le reportage s’intéresse aux lésions buccales. Tout d’abord, dans un gros plan de caméra cachée, on peut voir Rebkka prendre en photo les lèvres très gonflées d’un cheval, qui a également des marques à la commissure. La journaliste va ensuite manifestement voir la groom en charge du cheval et lui explique ce qu’elle a vu. “C’est toujours le cas”, lui répond-on. “Il a des cicatrices autour de la bouche, je les nettoie tous les jours.” Quant à la raison de ces blessures, elle est simple selon elle: “le mors”. “C’est parce qu’il (le cavalier, ndlr) tire dessus. L’un des mors pince énormément, je peux le voir sur la langue.” Un peu plus tard, une groom, vraisemblablement la même, mentionne dans une conversation avec Rebekka deux chevaux qui “saignent souvent” de la bouche, tandis que d'après elle, d’autres “saignent tout le temps”. “C’est totalement inacceptable”, s’indigne alors la vétérinaire Heidi Nielsen auprès du présentateur d’Operation X.
Tout au long du programme, Morten Spiegelhauer interroge des témoins ayant, selon les inscriptions ajoutées par la chaîne, travaillé pour Helgstrand, mais aussi d’autres personnes comme Heidi Nielsen, Susan Kjærgaard, ancienne cavalière de grands championnats de saut d’obstacles, ou la Dr. Kathrin Kienapfel, biologiste effectuant des recherches sur l’impact de la position de la tête et de l’encolure sur le bien-être et la santé des chevaux. Les entretiens se déroulent parfois dans une immense pièce vide et très sombre où un ordinateur a été installé pour l’occasion, parfois dans d’autre lieux, et Heidi Nielsen tout comme Susan Kjaergaard effectuent également des démonstrations.
Au-delà des différentes images d’abus sur les chevaux, le reportage met en avant les accusations de fraudes financières qui pèsent sur Andreas Helgstrand, notamment en affichant des titres d’articles à ce sujet. Dans le premier volet de ces “secrets d’un milliardaire du monde du cheval”, l’accent est, de plus, mis sur les conditions de travail des employés d’Helgstrand Dressage. Ainsi, après qu’une groom a expliqué que la cavalière pour laquelle elle travaillait lui parlait mal, Sverre Smevik, ancien maréchal-ferrant de la structure se rappelle que des grooms “pleuraient parce qu'ils étaient sous pression. [...] Ils devaient travailler de nombreuses heures [...] afin que la direction soit satisfaite.”
Si tout le reportage lui est consacré, Andreas Helgstrand lui-même n’apparaît qu’au tout début et à la toute fin du programme. “Andreas, puis-je te parler en privé?”, lui demande Rebekka. “Je suis ici depuis un certain temps, j’ai vu des choses qui me préoccupent et je veux savoir ce que tu en penses.” Interrogé sur les lésions buccales, le médaillé de bronze par équipes des JO 2008 et des derniers championnats d’Europe explique que celles-ci peuvent provenir “des dents des chevaux. Ils peuvent se mordre ou quelque chose comme cela.” Ensuite, Rebekka explique au magnat du dressage qu’elle souhaiterait lui montrer une photo. Celui-ci finit par accepter après avoir émis l’hypothèse que la jeune femme cherche à “créer des problèmes”. À la vue de l’image, qui semble être la photo d’un cheval dans une attitude très plaquée voire en rollkur et manifestant un inconfort certain,, Andreas Helgstrand confirme à la jeune femme que “cela n’a pas l’air très confortable” pour l’équidé. “Mais ça dépend aussi de la situation. [...] Parfois, un cheval a besoin d’être un peu réprimandé. [...] Si vous vous promenez avec les rênes longues en étant gentil, il ne comprendra pas.” Quant à savoir s’il a connaissance de ce qui se passe dans ses écuries, notamment du fait que les chevaux sont souvent placés dans une attitude contrainte vers le bas: “Oui, nous en sommes conscients. [...] Cela ne veut pas dire que je l’accepte. [...] Mais je ne peux pas être au courant de tout ce qu’il se passe ici.”
Après la diffusion de ce reportage, la Fédération équestre danoise a décidé de suspendre Andreas Helgstrand de l’équipe nationale. Le communiqué de l’instance est à lire ici
La réaction de Helgstrand Dressage
La réaction de Cathrine Dufour