Elvira, la reine mère du haras de Brullemail, a poussé son dernier souffle
Elvira Mail est morte hier à l’âge de trente-deux ans au Haras du Brullemail, dans l’Orne. Mère de quatorze produits, dont l’étalon olympique Jaguar Mail et la championne du monde Katchina Mail, la “reine douairière” du haras de Bernard Le Courtois laisse une empreinte indélébile dans l’histoire du Selle Français et de l’élevage de chevaux de sport.
“Tout le monde est triste à Brullemail. La ‘reine douairière’ du haras de Brullemail nous a quittés ce soir. ELVIRA s’est endormie et envolée pour le paradis des chevaux à l’âge avancé de trente-deux ans”, a annoncé hier Bernard Le Courtois, fondateur de ce haras situé dans l’Orne. Née en 1992, Elvira Mail, fille du Pur-sang Laudanum et de l’Hanovrienne Adoret Z par le chef de race Almé, “était notre actuelle fondation broodmare comme disent les Anglo-Saxons”. Autrement dit, la mère de toutes les mères, même si Bernard Le Courtois a produit des champions et étalons à travers d’autres souches maternelles. “Sa fille aînée, Katchina, prend la succession à la couronne”, ajoute-t-il.
Cette grande histoire débute à la fin des années 1980, quand Bernard Le Courtois, en visite à l’élevage van de Helle en Belgique, tombe amoureux d’Adoret Z, une fille d’Almé et d’une mère Hanovrienne par Gotthard, qu’il décide de ramener en France. La suite montre qu’il a eu du flair, puisqu’Adoret a d’abord donné Chergar Mail (Laudanum, ISO 165), mort à neuf ans alors qu’il semblait promis à une belle carrière internationale. Elle a ensuite mis au monde deux autre produits de Laudanum: Elvira Mail et Fergar Mail. Brillant sur le Cycle classique avant d’être vendu au Mexicain Alfonso Romo – et rebaptisé Chapultepec La Silla – Fergar Mail a engendré plusieurs très bons gagnants internationaux dont Lamm de Fétan (ISO 184), le crack de Timothée Anciaume, et Singular LS, gagnant international avec l’Allemand Marcus Ehning. Dans la production d’Adoret, on trouve également Hoggar Mail (Hand in Glove, ISO 145), champion des six ans en 2001 avec Patrice Delaveau, et de nombreuses poulinières.
Contrairement à ses frères, Elvira Mail n’a pas été testée en concours, mais destinée directement à la reproduction. “Comme Chergar commençait à très bien se comporter et que Fergar sautait déjà magnifiquement bien à deux ans, j’ai considéré que leur sœur n’avait pas besoin de concourir, d’autant qu’elle était moins démonstrative qu’eux. Je ne regrette pas mon choix, car si elle avait suivi le circuit des quatre et cinq ans, elle ne m’aurait donné ni Jaguar, ni Katchina, ce qui aurait été dommage! Elvira a été saillie à trois ans par Narcos II, mais la gestation n’est pas allée à son terme. L’année suivante, j’ai utilisé Hand in Glove. Je l’ai croisée à des étalons avec de la taille et de la force, car elle était très typée Laudanum. C’est une jument avec un très bon caractère, qui sautait bien et avec style, mais dont les moyens étaient difficiles à apprécier parce que quand on lui montait des barres à 1,20m, elle sautait 1,25m”, explique Bernard Le Courtois.
Mère, grand-mère, arrière-grand-mère et déjà arrière-arrière-grand-mère de champions
Le premier produit d’Elvira est donc Jaguar Mail, un bai qui n’a jamais déçu son éleveur. Mieux, il a promu le haras des Brullemail sur les plus belles pistes du monde, participant aux Jeux olympiques de 2008, à Hong Kong, avec le Suédois Peter Eriksson après avoir été monté à haut niveau par Patrice Delaveau. Bernard Le Courtois présente ensuite Elvira à l’imposant Holsteiner Calvaro (Caletto I x Capitol I), d’où Katchina Mail, championne des six ans sous la selle de Patrice Delaveau – comme son oncle Hoggar – avant d’entamer avec lui une magnifique aventure internationale. Lors d’une grande année 2010, le couple termine onzième de la finale de la Coupe du monde de Genève avant de contribuer à une belle médaille d’argent par équipes aux Jeux équestres mondiaux de Lexington. Elvira a aussi donné plusieurs poulinières à Brullemail et d’autres bons gagnants comme Loren Mail (Alligator Fontaine, ISO 142), Ulgar Mail (Corrado, ISO 127) ou Pen Tor Mail (Frascator Mail, ISO 122). L’alezane restera également comme la grand-mère des étalons Tygar Mail (Quidam de Revel), Ulmar Mail (Berlin), Catchar Mail (Diamant de Semilly), Chankar Mail (Quidam de Revel) et Delstar Mail (Utrillo van de Heffinck) ou encore la troisième mère de l’étalon Baloubar Mail (Baloubet du Rouet).
Via Katchina, elle est aussi la grand-mère de Sheena Mail (Iowa). Par sa fille Orangeade Mail (Fergar Mail), elle est également la grand-mère de Candar Mail (Lando), qui a concouru à 1,60m jusqu’en CSIO 5* au Canada. On la retrouve encore en tant que quatrième mère d’Athina Mail (Jaguar Mail), performante jusqu’en Grands Prix à 1,50m.
“Elvira a donné son dernier poulain par transfert d’embryon en 2013. Depuis dix ans, elle coulait une douce retraite en compagnie de ses filles et petites-filles. En fait, quasiment tous les poulains qui naissent à Brullemail ont au moins une ou deux fois le nom d’Elvira Mail dans leur pedigree. Cette poulinière d’exception a marqué à jamais l’histoire de ma sélection de chevaux de sport et celle du haras de Brullemail. Une page de ma vie se tourne”, résume Bernard Le Courtois avec sobriété. L’empreinte de cette jument ô combien attachante dans le grand livre de l’histoire du Selle Français et de l’élevage de chevaux de sport est indélébile.