La commission d’enquête sur le sport publie un rapport alarmant et soixante-deux recommandations
Au terme de près de six mois de travail, la commission d’enquête parlementaire consacrée aux défaillances dans le sport et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles a publié son rapport définitif le 22 janvier. Un document de plus quatre cents pages riche et sans concession, conclu par soixante-deux recommandations qui pourraient inspirer des propositions ou projets de loi. En voici un condensé.
Le 22 janvier, la commission d’enquête parlementaire consacrée aux défaillances dans le sport a rendu public son rapport définitif. Créée le 20 juin dernier à l’initiative de Sabrina Sebaihi, députée écologiste-NUPES des Hauts-de-Seine, celle-ci avait pour objet “l’identification des défaillances de fonctionnement au sein des fédérations françaises de sport, du mouvement sportif et des organismes de gouvernance du monde sportif en tant qu’elles ont délégation de service public”. Long de plus de quatre cents pages, ce document présente à la fois les conclusions et les recommandations de cette commission transpartisane, qui s’est largement concentrée sur la lutte contre les violences sexistes et sexuelles au fil des travaux. Issu de cent quarante heures de réunions et de quatre-vingt-douze auditions de cent quatre-vingt-treize personnes, dont Serge Lecomte et Frédéric Bouix, président et délégué général de la Fédération française d’équitation, le rapport est divisé en deux parties: l’une consacrée aux défaillances systémiques au sein de l’État, des fédérations et des organes sportifs, et l’autre, aux moyens de lutter contre les violences sexistes et sexuelles (VSS) et les discriminations. “Notre travail répond avant tout à une volonté partagée: celle d’œuvrer pour que le sport reste en toute circonstance pour les sportifs et pour chaque acteur un plaisir et une chance, que les pratiquants se sentent toutes et tous protégés et en sécurité. Les vertus fondamentales du sport – partage, dépassement, don de soi, esprit d’équipe, solidarité, empathie – doivent demeurer la boussole de tous les acteurs du sport quels qu’ils soient”, écrit notamment Béatrice Bellamy, députée Horizons de Vendée et présidente de la commission d’enquête, en avant-propos. “Je pense à tous les témoignages que nous avons entendus, à toutes les douleurs qui nous ont été rapportées et je dis mon admiration aux pionnières, à celles et ceux qui ont eu le courage de briser le silence et à toutes celles et ceux qui les ont imités. Les pages de ce rapport nous montrent des réalités parfois sombres, mais sans tomber dans le piège de la caricature ou de la stigmatisation, en n’oubliant pas de relever les fédérations exemplaires et les dispositifs déjà efficaces. La réussite première de la commission d’enquête est d’avoir brisé le piège du silence et accompagné le mouvement de libération de la parole. Indéniablement et rapidement, les violences sexistes et sexuelles sont devenues le centre de gravité de notre travail.”
“Ces auditions ont constitué un moment révélateur d’une omerta qui n’a pas disparu”, Sabrina Sebaihi
“Les auditions de victimes ont été un moment fondateur, qui a soudé les membres de la commission dans une commune conviction que sa création constituait une urgence démocratique et que des mesures fortes étaient encore nécessaires”, enchaîne Sabrina Sebaihi, rapporteure de la commission d’enquête, dans l’introduction. “Ces auditions, éprouvantes, ont constitué un moment révélateur d’un phénomène de grande ampleur et d’une omerta qui n’ont pas disparu après la déflagration ayant suivi la publication du témoignage de Sarah Abitbol début 2020 (dont le livre “Un si long silence” a déclenché le mouvement MeToo dans le sport, ndlr). Avant Sarah Abitbol, plusieurs sportives, comme Catherine Moyon de Baecque (l’ancienne lanceuse de marteau a été la première athlète française à dénoncer les viols qu’elle avait subis de son entraîneur en 1991, ndlr) et Isabelle Demongeot (ancienne joueuse de tennis, qui avait accusé son entraîneur de viols en 2007, ndlr) avaient témoigné, sans être entendues”, souligne la rapporteure, rappelant ainsi que le mouvement MeToo constitue peut-être davantage une libération de l’écoute que de la parole.
“La commission d’enquête aura également été confrontée à des mensonges, inexactitudes, approximations, expressions de déni et de désinvolture dans des proportions sans doute sans précédent historique. Les auditions conduites par la commission d’enquête auront en elles-mêmes constitué un puissant révélateur de l’existence d’une culture du secret, du mensonge et du faux témoignage, qui sont des dimensions essentielles de l’omerta”, poursuit Sabrina Sebaihi, faisant ainsi référence aux sept dirigeants sportifs, dont fait partie Serge Lecomte, visés par des enquêtes pour parjure par le Parquet de Paris. D’ailleurs, lors de la conférence de presse consacrée à la publication de ce rapport, le 23 janvier à l’Assemblée nationale, la rapporteure a laissé entendre que de nouveaux signalements pourraient être effectués prochainement. “Après les auditions de plusieurs dirigeants, nous avons reçu de nombreux courriels et messages pour nous dire qu’ils avaient menti. Certains ont même chronométré les vidéos pour indiquer à quel moment ils se parjuraient! Nous avons demandé de l’aide supplémentaire pour les traiter car cela représente beaucoup de travail, ce qui explique qu’il n’y ait pour l’instant que sept signalements”, a-t-elle précisé.
Vingt-neuf propositions pour corriger les défaillances systémiques du monde du sport
Les soixante-deux recommandations de ce rapport, qui pourront inspirer des projets ou propositions de lois, visent globalement à prévenir, identifier et sanctionner les manquements à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, les discriminations et la corruption, et à exercer un pouvoir de contrôle de l’État plus important sur les fédérations. La plus importante est probablement la création d'une autorité indépendante chargée de l’éthique, qui serait notamment chargée de recueillir, traiter et suivre les signalements pour violences, ainsi que de s’assurer du bon respect des règles éthiques au sein des organisations sportives. Parmi les recommandations les plus importantes et/ou qui pourraient avoir le plus d’impact sur le monde de l’équitation, citons notamment:
- Recommandation 4. Doter l’inspection générale de l’Éducation, du sport et de la recherche d’une mission de suivi et d’un droit de suite de ses recommandations auprès de la direction des sports, des fédérations sportives et des établissements publics sous tutelle;
- 7. Doter la future autorité administrative indépendante en charge de l’éthique du sport d’un pouvoir de sanctions financières à l’encontre des fédérations sportives ne respectant pas leurs obligations et engagements en matière d’éthique;
- 16. Limiter la durée totale des fonctions de directeur technique national (DTN) auprès d’une même fédération à huit ans, afin de prévenir les risques de conflits d’intérêts et de connivence. Décorréler la durée des contrats des directeurs techniques nationaux de celle du mandat des présidents de fédérations, pour garantir l’indépendance des DTN.
- 17. Fixer dans la loi le principe de parité réelle dans tous les organes dirigeants du mouvement sportif ainsi que dans l’ensemble des commissions de discipline, des comités d’éthique et autres commissions régaliennes;
- 19. Prévoir la participation directe de tous les clubs membres d’une fédération sportive aux élections et à toutes les assemblées générales. Intégrer dans les dispositions statutaires obligatoires le principe du “référendum” fédéral permettant de consulter les clubs sur des questions particulières, y compris à l’initiative d’un certain nombre d’entre eux;
- 20. Prévoir l’élection des organes exécutifs selon un mode de scrutin proportionnel. Encadrer les conditions de déroulement des campagnes électorales et fixer des garanties d’égalité de traitement entre les candidats. Pour plus de renouvellement, limiter strictement le nombre de mandats à trois;
- 28. Créer une autorité administrative indépendante chargée de la protection de l’éthique du sport et investie des missions suivantes: élaboration de normes minimales devant obligatoirement figurer dans les chartes d’éthique et de déontologie des fédérations; évaluation, contrôle et sanction des fédérations récalcitrantes à adopter et mettre en œuvre de telles normes; régulation des procédures disciplinaires internes des fédérations et de leurs ligues professionnelles;
- 29. Confier à la nouvelle autorité indépendante en charge de l’éthique et de l’intégrité du sport le pouvoir de prononcer des mesures telles que l’inéligibilité, la suspension conservatoire ou la convocation d’une assemblée générale de la fédération afin de statuer sur une éventuelle révocation du dirigeant mis en cause;
- 30. Conduire une vaste enquête systématique dans l’ensemble des fédérations sur les violences sexuelles et sexistes et sur les violences psychologiques et physiques;
- 31. Confier la responsabilité d’une seule plateforme Signal-sports, au périmètre élargi à l’ensemble des violences et discriminations dans le sport, à l’autorité administrative indépendante chargée de veiller à l’éthique du sport. Supprimer les outils de signalement internes aux fédérations. Permettre à l’autorité administrative indépendante de prononcer une sanction à l’encontre d’une fédération ou d’une structure qui ne signalerait pas un fait;
- 37. Transférer la compétence disciplinaire des fédérations en matière de lutte contre les violences à une autorité administrative indépendante;
- 38. Mettre en place sans délai une mission d’inspection chargée de réaliser un état des lieux précis et complet, rendu public, du contrôle de l’honorabilité et de sa mise en œuvre dans toutes ses composantes. Priver de la possibilité d’obtenir une licence les personnes reconnues coupables d’abus sexuels particulièrement graves;
- 42. Dans le cadre de la mission d’inspection que la rapporteure appelle de ses vœux sur le contrôle de l’honorabilité, ouvrir une réflexion sur l’encadrement des structures sportives privées non affiliées à une fédération;
- 44. Mener systématiquement, dans toutes les structures sportives des actions de prévention et de sensibilisation aux violences sexuelles, tant pour les encadrants que pour les pratiquants et leurs parents;
- 47. Garantir un parcours de soins spécialisé et accessible, pris en charge par la solidarité nationale, aux victimes de violences.
- 48. Rendre les violences sexuelles sur mineurs imprescriptibles. Reconnaître l’amnésie traumatique dans le cadre de la prescription pénale.
Ces recommandations pourront donc faire l’objet de propositions de loi, de la part de parlementaires, ou de projets de loi, émanant du Gouvernement. Amélie Oudéa-Castéra, ministre en charge des Sports, ainsi que de l’Éducation et de la Jeunesse, a d’ores et déjà annoncé une initiative législative pour la fin de l’année 2024 afin de “concrétiser une nouvelle étape de rénovation de notre modèle sportif”.