“L’atmosphère de compétition à Versailles est vraiment hors-norme et féérique !”, Dominique d’Esmé

Dominique d’Esmé, quinze fois championne de France de dressage, mais aussi médaillée de bronze par équipes aux championnats d’Europe de Mondorf 1995, a participé aux Jeux olympiques à cinq reprises. Ayant suivi avec attention le Grand Prix et le Spécial des JO de Paris 2024, la Française livre ses impressions quant à la seconde épreuve, mais aussi à l’évolution qu’a connue sa discipline.



Quelles sont vos impressions sur le Grand Prix Spécial de ces Jeux olympiques?

Les chevaux se sont vraiment présenté de belle façon dans cette épreuve. Depuis des années, on remarque un vrai progrès au niveau de l’équilibre, de la locomotion, et cela se voit particulièrement dans le piaffer et les transitions qui lui sont liées. Aujourd’hui, tous piaffent en effet, grâce aussi à une équitation qui est pratiquée avec beaucoup moins d’effets de force. De fait, les épreuves sont très agréables à regarder ! La discipline bénéficie à mon sens d’une réelle remise en question générale, mais aussi d’un progrès dans l’élevage, avec des chevaux qui ont beaucoup plus de sang, ce qui permet de gagner en légèreté. Un gros travail a été entrepris pour perfectionner les modèles, la locomotion, l’équilibre et les caractères. Toutes les potentialités ont été augmentées de manière importante, et, en plus, les cavaliers ont beaucoup réfléchi pour trouver comment s’adapter à leurs chevaux de très grande qualité. Les résultats observés ici sont, somme toute, logiques. Bien sûr, certains couples ont connu quelques fautes inattendues, mais cela fait partie intégrante du contexte de la compétition. Elle s’est déroulée parfaitement à mes yeux. Hormis les légers imprévus, comme de petits excès de pression pour des chevaux ou des cavaliers, les couples semblaient très préparés.

Selon vous, les notes attribuées suivent-elles l’évolution du sport?

Elles sont en effet tout à fait dans la même mouvance: il y a une ou deux décennies, les épreuves de Grand Prix ou Spécial se gagnaient autour de 70%, voire 72% de moyenne. Maintenant, les meilleurs dépassent les 80%, et cette progression des notes est tout à fait justifiée, car les chevaux se présentent finalement beaucoup mieux, et les cavaliers sont beaucoup plus dans la légèreté que dans la force. Il est certain que le 100% ne peut pas exister, car l’imprévu fera toujours partie intégrante de la compétition, tant pour le cavalier que pour sa monture. Mais chacun peut s’améliorer, d’un ou deux points. Bien sûr, cavalier comme cheval ont leurs limites, donc il faut harmoniser les deux, c’est la solution. 



Comment la reprise Libre en musique, dernière épreuve des Jeux olympiques et support de la finale individuelle, peut-elle rebattre les cartes par rapport aux performances observées dans le Grand Prix et le Spécial?

C’est un test extrêmement particulier, car chaque cavalier a ses affinités de musique, déjà, et c’est très important. Il s’agit, bien sûr, d’assurer une réelle concordance entre l’accompagnement musical et la locomotion du cheval, mais il va aussi falloir que les juges adhèrent à leur univers, ce qui constitue la première difficulté de cette reprise. Il s’agit également d’adapter la chorégraphie pour mettre en valeur les qualités du cheval ainsi que les aptitudes personnelles du cavalier. En fait, une Libre est une reprise individualisée, et c’est son intérêt! Quand tout le travail mis en œuvre pour créer une Libre aboutit, les cavaliers peuvent vivre une vraie libération! Aujourd’hui, je suis très étonnée que certains cavaliers au sommet ne prennent pas plus de risques, en effectuant un huit de chiffre aux changements de pied au temps, par exemple. Il y a encore des univers à explorer, pour valoriser l’équilibre des chevaux ou d’autres qualités. Je trouve dommage que l’on ne valorise pas plus ce type de mouvements. En ce qui concerne demain, toutes les reprises sont bien rodées, car les cavaliers ont eu l'occasion de prendre part à des Grands Prix Libres toute la saison. Les deux premiers jours de compétition, mais aussi ce que nous avons vu au CDIO 5* d’Aix-La-Chapelle début juillet, devrait être confirmé à Versailles. 

Vous avez-vous-même participé aux Jeux olympiques à cinq reprises. Quelles remarques ou souvenirs vous viennent à l’esprit quand vous assistez à cette édition 2024?

Effectivement, j’ai participé à cinq éditions de Jeux, en commençant à Montréal en 1976, avant de me rendre à Los Angeles, Séoul, Barcelone et Atlanta (en 1984, 1988, 1992 et 1996, ndlr). J’ai toujours pris beaucoup de plaisir à observer, et à côtoyer, les plus grands cavaliers, comme Reiner Klimke ou Christine Stückelberger pour ne citer qu’eux ! Sur ces échéances, il y avait une dizaine, voire une quinzaine de très bons cavaliers, et les autres étaient d’un niveau moindre. En effet, à l’époque, il n’y avait pas vraiment d’entraîneurs, ni de bases saines pour les présentations, et la plupart des couples faisaient simplement du mieux possible. Aujourd’hui, nous ne sommes plus du tout dans la même atmosphère. L’Allemagne, en très grande partie, a permis cette évolution. S’ils sont encore à ce jour en haut des tableaux, avec une équitation particulièrement reconnue, il y a une raison. Les cavaliers étrangers sont partis y travailler, et l’évolution a été lancée pour aboutir à ce que l’on voit maintenant. En observant la compétition olympique, je suis épatée par l’aspect grandiose liée à son organisation au cœur du parc de Versailles. Bien sûr, l’historicité des lieux joue beaucoup, mais les prouesses organisationnelles également. Cette carrière de dressage de qualité unique, qui alterne avec les si beaux parcours de jumping, me semble vraiment irréelle. Tout est démonté, remonté, avec toute la magnificence. L’atmosphère de compétition est vraiment hors-norme et féérique. Je n’ai jamais concouru sur de telles pistes, même si je pense avoir participé aux plus beaux concours au monde. Je ne sais pas si Los Angeles suivra la même direction, mais la France réalise ici une belle prouesse.



D’un point de vue plus technique, pensez-vous que le texte du Grand Prix pourrait encore évoluer?

Lorsque j’étais concurrente, j’ai connu une époque où le texte du Grand Prix changeait l’année précédant les Jeux Olympiques, et il y avait alors beaucoup de modifications. Récemment, à part le changement initial de sens de la reprise intervenu il y a bon moment maintenant et, nous ne connaissons plus de modifications. Les chevaux et les cavaliers évoluent constamment, donc on pourrait imaginer une évolution technique de ce texte. Il pourrait être complexifié, et la compétition en général - pour les cavaliers, les spectateurs, et les juges - gagnerait en intérêt, en suspense! Il arrive un moment où l’on connaît les qualités et les défauts de chaque cheval, et ne plus répéter, inlassablement, les mêmes enchaînements depuis plusieurs décennies, pourrait être un vrai changement. Je suis en vérité très étonnée que l’on ne change pas, que l’on ne propose pas un nouveau tracé. Il en va d’ailleurs de même pour le Grand Prix Spécial.