“Cette médaille de bronze a une saveur incroyable”, Marc Dilasser

Le concours de saut d’obstacles des Jeux olympiques de Paris 2024 a vécu son premier sommet, la finale par équipes, vendredi au stade équestre éphémère de Versailles. Contre toute attente, l’Allemagne, grande favorite, n’a fini “que” cinquième, à un tout petit point du podium. Défendue par trois fabuleux cavaliers et des chevaux ayant atteint leur pic de forme le D-Day, la Grande-Bretagne a créé une demi-surprise en décrochant l’or par équipes, douze ans après son sacre à Londres. Couronnés en 2004 à Athènes et 2008 à Hong Kong, les États-Unis ont obtenu l’argent, comme en 2016 à Rio et 2021 à Tokyo. Quant à l’héroïque équipe de France, portée par un public d’une ferveur indescriptible, elle s’est parée de bronze après avoir rêvé d’argent, devançant d’une demi-seconde – une demi-foulée en trois parcours (!) – les Pays-Bas… qui avaient privé les Bleus d’or il y a presque dix ans aux Jeux équestres mondiaux de Normandie, par ce que d’aucuns qualifieraient d’opération du Saint-Esprit. Consultant de GRANDPRIX, Marc Dilasser, qui n’a pas manqué une miette de cette folle après-midi, livre une analyse sincèrement passionnante.



 “Quelle qu’en soit la couleur, une médaille récompense un championnat réussi, qui plus est domicile, où les attentes vis-à-vis de l’équipe de France étaient très élevées. Cette médaille de bronze a une saveur incroyable. Gardons à l’esprit que tout, le meilleur et le pire, peut arriver dans ces épreuves collectives où tous les scores comptent. Aujourd’hui, la Grande-Bretagne m’a évidemment semblé au-dessus du lot (ce qui s’est traduit par un score final d’un point, ndlr). Sans la faute de Julien Épaillard et Dubaï du Cèdre, les Bleus auraient devancé les États-Unis et obtenu l’argent, mais à mes yeux, c’est cette médaille de bronze gagnée de haute lutte à Versailles, dans un stade extraordinaire, qui restera dans nos mémoires.

Nos trois cavaliers ont très bien monté cette épreuve. Jeudi, I Amelusina R 51 était monté en pression au fil du parcours. Vu ce qui s’était passé, soit il allait se ressaisir, soit il allait se montrer encore plus fébrile. Heureusement, Simon est parvenu à le rassurer – c’est l’une des grandes forces de ce cavalier – et ils ont produit un excellent parcours. Même s’il y a eu trois points de temps à l’arrivée, leur sans-faute aux obstacles a lancé l’équipe de France dans une super dynamique et marqué les esprits.

Quant à Olivier Perreau, il a délivré un parcours parfait avec Dorai d’Aiguilly*GL events… à l’instant où la France et lui en avaient le plus besoin! C’était de très loin le parcours le plus important de sa carrière, et il a été au rendez-vous. Je suis extrêmement heureux pour lui, non seulement parce que c’est un coéquipier et un bon copain, mais aussi parce qu’il est l’un des très rares cavaliers à avoir fait naître, formé et monté un produit de son élevage jusqu’à une finale olympique. Cette jument, il faut se rappeler que les Perreau ont consenti de gros sacrifices pour la conserver, ce qui n’était évidemment pas sans risque. Olivier est focalisé sur cet objectif olympique depuis un certain temps. Après les championnats d’Europe de Milan (dont il avait pris la septième place, ndlr), il a tout axé là-dessus, mais cette longue route a parfois été pavée de doutes. Lors de cette finale, Olivier a monté avec son talent, mais aussi avec ses tripes et son cœur, ce que Dorai a forcément ressenti. Leur parcours restera dans les annales. Une fois qu’il a coupé la ligne d’arrivée, c’était très chouette de le voir exulter de cette manière. Il attendait cette délivrance depuis si longtemps… C’est pour ces moments-là que l’on aime ce sport.

Comme toujours, Julien Épaillard est parti avec la volonté de réussir un sans-faute sur sa géniale Dubaï du Cèdre. Et même s’il y a eu quatre points à l’arrivée (concédés sur l’oxer 9, placé après un mur, ndlr), il a de nouveau fait preuve d’une concentration et d’un précision d’orfèvre. Julien est un véritable cavalier de championnats, qui a gagné sa troisième médaille en trois grands rendez-vous (le bronze individuel aux Européens de Milan, la deuxième place en finale de la Coupe du monde Longines et cette médaille de bronze collective, ndlr). Pour Simon et Olivier, savoir que Julien conclurait la finale était très sécurisant. En bord de piste ou à la télé, nous avons tous stressé durant ce dernier parcours, mais nous savions tous que Julien réussirait quelque chose. Et il a répondu présent. Cette médaille appartient d’abord aux cavaliers, mais il faut saluer toutes les personnes impliquées, dont les grooms et propriétaires, mais aussi ll’encadrement de l’équipe de France, dont les choix n’ont pas toujours fait l’unanimité. Force est de constater que Sophie Dubourg (directrice technique nationale, ndlr) et Henk Nooren (sélectionneur national, ndlr) ont gagné leur pari, ce qui mérite un coup de chapeau.



“Scott Brash mérite la palme de meilleur cavalier”’

La Grande-Bretagne n’a pas volé sa médaille d’or. Scott Brash, dernier à entrer en piste, avec une pression énorme sur les épaules, a monté Hello Jefferson avec une dextérité qui force le respect. C’est un vrai défi de partir en dernier avec un tel enjeu et quand on monte un cheval, certes excellent, mais loin d’être le plus sûr (depuis ses débuts à 1,60m et plus, le couple a réussi 40% de sans-faute, pour un score moyen de 3,6 points, avec une tendance à céder dans les plus grands rendez-vous, ndlr). Et Scott a produit un parcours magistral (pénalisé d’un point de temps sans importance, ndlr), qui pourrait lui valoir la palme de meilleur cavalier du jour. Attention, il ne faudrait pas minimiser les exploits accomplis par Dallas Vegas Batilly et Ben Maher, qui a gagné sa troisième médaille d’or olympique hier (il avait été sacré par équipes en 2012 à Londres avec Tipple X III, puis en individuel en 2021 à Tokyo avec Explosion, ndlr), et par Romeo 88 avec le jeune et génial Harry Charles, auteur d’un sans-faute admirable et sacré douze ans après son père, Peter Charles (sur Vindicat, après avoir défendu les couleurs de l’Irlande de 1992 à 2007, ndlr). Les cavaliers britanniques de saut d’obstacles ont imité leurs homologues complétistes, ce qui démontre la puissance de cette nation équestre. Chapeau, tout simplement!

Les Américains ont tout autant mérité leur médaille d’argent, avec dans leurs rangs deux légendes de notre sport: McLain Ward (médaillé d’or en 2004 à Athènes et en 2008 à Hong Kong avec Sapphire, puis d’argent en 2016 à Rio de Janeiro avec Azur Garden’s Horses et 2021 à Tokyo sur Contagious, ndlr), et Laura Kraut (en or en 2008 avec Cedric et en argent en 2021 avec le même Baloutinue, ndlr). Ces deux-là ont tenu leur rang, même si Laura a concédé une faute. Et ils ont été épaulés par un garçon fabuleux nommé Karl Cook qui, comme Olivier Perreau, a été titularisé à la dernière minute (en lieu et place de Kent Farrington, Greya n’étant pas arrivée à 100% de ses capacités, ndlr). Avec la prodigieuse Caracole de la Roque (ancienne partenaire de Julien Épaillard, ndlr), il a signé deux sans-faute de haut vol, marqués par l’audace et la certaine insouciance qui le caractérisent. C’était génial à voir! Franchement, l’encadrement de l’équipe américaine ne lui a fait aucun cadeau (l’an dernier, le couple avait complètement manqué son entrée aux Jeux panaméricains de Santiago du Chili, avec une Chasse hors de contrôle et douze points en première manche de l’épreuve par équipes, avant de produire un sans-faute, ce qui avait suscité de vives inquiétudes quant au potentiel olympique du couple, ndlr). Cette année, Karl et Caracole n’ont quasiment rien raté et achevé leur préparation par deux superbes Coupes des nations aux CSIO 5* de Rome et La Baule (zéro puis quatre points dans les deux cas, ndlr), une victoire dans le Grand Prix de Rome et une deuxième place dans le Grand Prix de France à La Baule (juste derrière Kent Farrington et Greya, ndlr). Dans beaucoup d’équipes nationales, un couple capable de telles performances serait titularisé sans discussion. Quoi qu’il en soit, Karl a mis tout le monde d’accord aujourd’hui.

Depuis le printemps et jusqu’à hier, l’Allemagne semblait favorite pour l’or, mais elle a dû se contenter de la cinquième place (à un point du podium, ndlr). Aucun de ses trois couples n’a commis de grosse faute, mais il ne fallait pas cumuler plus d’une faute aux obstacles et trois points de temps au total pour finir sur le podium. Et encore, Les Pays-Bas ont fini à sept points et ont dû se contenter de la quatrième place. Honnêtement, l’Allemagne a manqué de réussite: Christian Kukuk et Checker ont touché moins fort les barres de Spa que Harry Charles et Romeo 88 n’ont heurté la sortie du triple. Côté néerlandais, Maikel van der Vleuten et Harrie Smolders ont aussi connu des sursis avec Beauville et Uricas van de Kattevennen. Pour l’Allemagne, c’est d’autant plus frustrant qu’Otto Becker (l’inamovible sélectionneur national, ndlr) disposait de suffisamment de couples pour construire trois, voire quatre équipes, mais c’est la dure loi du sport.



“L’élevage français est l’un des plus beaux, sinon le plus beau du monde”

J’attendais mieux des Belges, aussi, qui ont été pénalisés de deux parcours à huit points, concédés par Gilles Thomas et Jérôme Guéry sur les cracks étalons Ermitage Kalone et Quel Homme de Hus. J’ai compris à lire les propos de Jérôme qu’il avait lâché mentalement après sa première faute. De toute façon, même avec un zéro de ce dernier couple, la Belgique n’aurait terminé que septième… Justement septième, l’Irlande (pourtant représentée par deux couples hyper performants, Daniel Coyle/Legacy et Shane Sweetnam/James Kann Cruise, et l’incontournable Cian O’Connor, associé à Maurice) aussi compte parmi les grands perdants de cette finale. C’est tout simple: aucune équipe ne pouvait se permettre un parcours à huit points (le score de Cian O’Connor, ndlr).

Comme jeudi, le parcours de Grégory Bodo et Santiago Varela Ullastres était à la hauteur des enjeux, plus gros et encore plus technique. Cette fois, le temps accordé était plus serré, ce qui me semble juste s’agissant d’une finale de championnats. D’ailleurs, si Simon Delestre avait concédé quarante et un centièmes de seconde de plus, la France aurait fini à huit points… et à la quatrième place. De même, il est extrêmement rare de voir Julien Épaillard finir à dix-sept centièmes du temps accordé. C’est dire le caractère exceptionnelle de cette épreuve. Certes, il n'y avait pas de rivière à sauter, mais avec un triple et deux doubles, les cavaliers n’ont pas vraiment eu matière à s’ennuyer… Pour ma part, je préfère voir les chevaux mis à l’épreuve sur un double d’obstacles sur bidets que sur une rivière. Je ne dis pas que la rivière n’a plus lieu d’être, mais le fait est que nous y sommes de moins en moins souvent confrontés, et que les chevaux qui en sautent trop souvent sur des pistes en sable finissent par ne plus les respecter, ce qu’on peut difficilement leur reprocher. C’est un sujet sur lequel la communauté équestre aurait intérêt à se pencher. À Versailles, le double de bidets a provoqué très peu de fautes, mais il n’en demeure pas moins un test pour les chevaux. Quant à la rivière, j’imagine qu’on la reverra lundi pour la qualificative individuelle. Et si l’on veut une preuve de plus de la qualité du travail des chefs de piste, on se souviendra qu’il n’y a eu vendredi que sept sans-faute en vingt-six parcours – une proportion parfaite à mes yeux.

Si l’on prend un poil de recul, voir quatre des neuf cavaliers médaillés par équipes monter des Selle Français est une autre source de satisfaction pour notre filière, qu’il nous faut savourer et sur laquelle il nous faut capitaliser. On entend tellement de gens critiquer ou dévaloriser ce dont la France devrait s’enorgueillir, que l’élevage français pèche par tel ou tel écueil qu’on en n’oublierait presque à quel point il est performant en saut d’obstacles et en concours complet. C’est l’un des plus beaux, sinon le plus beau du monde, grâce à des souches maternelles riches, variées et bien exploitées par nos éleveurs. Par ailleurs, il est intéressant de constater qu’il s’agit de quatre juments.

Le nouveau format des compétitions olympiques fait qu’il ne peut plus y avoir de barrage que si la médaille d’or est en jeu. Dans cette finale, cela a profité à la France, qui n’a devancé les Pays-Bas que d’une demi-seconde pour le bronze. Autrefois, il fallait barrer pour n’importe quelle médaille. C’était peut-être plus juste que d’additionner les chronomètres de trois couples sur un parcours aussi dur et long, qui n’a rien d'une épreuve de vitesse. Tant mieux pour la France, mais rien n’interdit de remettre le sujet sur la table durant l’olympiade à venir. Pour être honnête, quand j’ai vu la France finir avec égalité de points avec les Pays-Bas, je ne savais pas vraiment qu’elle règle s’appliquerait! (comme tout le monde ou presque dans les tribunes, ndlr). Aux championnats du monde et d’Europe, la Chasse crée des écarts au centième de point qui rendent hautement improbables les barrages (il y en avait toutefois eu un entre les États-Unis et la Suède aux championnats du monde de 2018, à Tryon, ndlr).

À Saint-Lô, nous avons vécu cette épreuve intensément et avec passion grâce au grand écran installé par les organisateurs du Normandie Horse show. Nous avons frissonné jusqu’au bout et l’ambiance a été chouette. Que dire de plus sinon: vivement lundi!”



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