Christian Kukuk écrit l’histoire à Versailles, Steve Guerdat la poursuit, Maikel van der Vleuten la répète

De quelle finale d’anthologie le stade éphémère de Versailles a été le théâtre ce matin… Achevant des épreuves équestres olympiques absolument parfaites et exemptes de toute polémique majeure, la finale individuelle de saut d’obstacles a sacré Christian Kukuk en champion suprême. À trente-quatre ans, le lieutenant de Ludger Beerbaum a écrit la plus belle page d’histoire de sa carrière en arrachant l’or avec l’exceptionnel Checker 47, qui a montré toute l’étendue de son talent. Déjà titré à Londres en 2012, l’immense champion suisse Steve Guerdat a décroché la médaille d’argent avec la géniale Dynamix de Bélhème, suivi du Néerlandais Maikel van der Vleuten et Beauville, qui ont dû se contenter du bronze, comme aux JO de Tokyo en 2021 et aux Mondiaux de Herning, en 2022.



Avant de devenir l'un de ses employés, en 2012, Christian Kukuk était un fan absolu de Ludger Beerbaum.

Avant de devenir l'un de ses employés, en 2012, Christian Kukuk était un fan absolu de Ludger Beerbaum.

© Collection privée

Qu’aurait pensé le gamin (ci-contre en photo) si quelqu’un lui avait dit qu’il deviendrait champion olympique de saut d’obstacles à Versailles, trente-deux ans après le sacre son idole absolue, Ludger Beerbaum, auprès duquel il apprend et travaille depuis ses vingt-deux ans? Il aurait ri, probablement, le garçon n’étant pas des plus sinistres! Ce midi, Christian Kukuk a probablement réalisé son plus grand rêve – et celui de son mentor, retiré de la scène sportive depuis le CHIO d’Aix-la-Chapelle édition 2023, les bras en l’air et la larme à l’oeil sur le kiss and cry du stade équestre éphémère de Versailles. Associé à Checker 47, le fantastique gris qu’il monte avec des grandes ambitions depuis l’automne 2020, l’Allemand a vaincu la plus forte concurrence qui soit ce matin lors du barrage de la finale individuelle des Jeux olympiques de Paris 2024: Steve Guerdat et Dynamix de Bélhème, champions d’Europe en titre, et Maikel van der Vleuten et Beauville, médaillés de bronze individuels aux JO de Tokyo 2021 et aux Mondiaux de Herning, en 2022. 

Il faut dire qu’après le goût amer qu’a dû lui laisser la compétition par équipes, la Mannschaft ayant échoué à la cinquième place (à un point du podium) après avoir clairement dominé son sujet le premier jour et toute la saison, le cavalier de trente-quatre ans devait avoir plus que jamais envie de montrer de quel bois il se chauffait! Ce matin, à 10h passées de quelques minutes, il a d’abord survolé le tour initial proposé par Grégory Bodo et Santiago Varela Ullastres – à qui l’on doit lever chapeaux et verres pour l’extrême qualité des parcours proposés, qui n’ont jamais donné l’impression d’être trop durs ni pour les cavaliers, ni surtout pour les chevaux. Le couple, parti en huitième position, a signé le premier sans-faute de l’épreuve! Moins rapide que ses deux rivaux, il a dû ouvrir ce palpitant barrage à trois, ce qui n’est jamais chose facile – même si l’Allemand a déclaré avoir évacué toute la pression avant de prendre le départ, se sachant déjà décoré d’une médaille (lire sa réaction ici). Devant des tribunes combles et passionnées, l’Allemand et son gris sont apparus effectivement très relâchés, déroulant une prestation flamboyante et fluide. Serrant ses virages (notamment les deux demi-tours à produire devant des verticaux) et prenant de la vitesse, il n’a pas non plus secoué son tapis et a franchi la ligne avec un chronomètre très compétitif de 38’’34… qui lui a suffi à se parer de la plus belle de toutes les breloques! Déjà médaillé d’argent par équipes aux Européens de Riesenbeck, à domicile, Christian Kukuk est devenu le cinquième Allemand de l’histoire du jumping à remporter ce titre.

Christian Kukuk a livré deux magnifiques prestations avec Checker 47.

Christian Kukuk a livré deux magnifiques prestations avec Checker 47.

© Scoopdyga



Steve Guerdat allonge encore son palmarès

Steve Guerdat et Dynamix de Bélhème ont à nouveau décroché une médaille.

Steve Guerdat et Dynamix de Bélhème ont à nouveau décroché une médaille.

© Scoopdyga

Champion d’Europe en titre, Steve Guerdat était, comme toujours, surmotivé pour performer aujourd’hui. Et il n’était pas le seul à espérer décorer Dynamix de Bélhème d’une nouvelle médaille. On imagine que les éleveurs de la Selle Français, les Seinomarins Laure et Frédéric Aimez, à fond derrière leur écran de télévision! Une motivation d’autant plus grande chez le Suisse qu’il a connu un début de compétition compliqué. “J’ai senti que Dynamix n’était pas vraiment comme d’habitude. Elle se retenait un peu plus et n’était pas vraiment relâchée, alors que normalement, elle est toujours sûre de ce qu’elle fait. Je ne l’avais jamais sentie comme ça”, avait-il même confié, à la sortie de la qualificative pour la finale par équipes. Après trois jours de repos, la splendide baie de onze ans s’est parfaitement remise de ses émotions, entre son sublime parcours d’hier et ses deux prestations d’aujourd’hui. Elle a littéralement survolé le tour initial, avant de réitérer au barrage… Hélas, le couple, lancé à la poursuite du chronomètre de Christian Kukuk et parti en dernière position, a laissé un vertical à terre en toute fin de tour, finissant avec un chronomètre moins rapide de quatre centièmes de seconde que les vainqueurs. C’est donc l’argent pour le couple; la deuxième médaille pour Dynamix, revenue des deux championnats qu’elle a courus avec une récompense, et la neuvième (dont quatre individuelles) du Jurassien, qui continue d’enrichir son palmarès déjà long comme le bras. Que dire de plus que l’on ne sache déjà? Steve Guerdat est un grand Monsieur et il le prouve à chaque rendez-vous majeur.



Maikel van der Vleuten et Beauville seront-t-ils reconnus à leur juste valeur?

Entré en piste entre Christian Kukuk et Steve Guerdat au barrage, Maikel van der Vleuten a tout donné. Avec son atypique Beauville, quatorze ans, le Néerlandais n’avait surtout pas envie de ne décrocher “que” le bronze individuel, comme aux Jeux olympiques de Tokyo, en 2021, et aux championnats du monde de Herning, en 2022. “On ne se souvient que des vainqueurs”, dit-on souvent… Alors, le Néerlandais a tenté d’aller aussi vite que possible avec son fils de Bustique, brillamment formé par le Français Maxime Rius, qui avait réussi un premier parcours ahurissant de maîtrise – malgré un bon sursis sur l’avant-dernier obstacle, l’oxer le plus large du jour (1,55m x 1,75m). Malheureusement pour lui, au barrage, le duo a commis une grosse faute sur l’entrée du double après un virage très serré - une prise de risque qui n’a pas payé aujourd’hui. Comme au Japon et comme du Danemark, le Néerlandais repart donc de France avec le bronze. C’est très certainement frustrant pour le primé, mais cette performance ébouriffante, personne ne l’avait jamais réalisée jusqu’ici! H&M All In de Vinck, le complice désormais retraité du Suédois Peder Fredricson, avait bien décroché l’or individuel aux Européens de Göteborg, puis l’argent individuel aux Jeux de Rio et de Tokyo, mais remporter trois médailles de bronze individuelles dans trois championnats d’affilée (les trois seuls que Beauville ait disputés), c’est une première! Gageons que cette prouesse sera reconnue à sa juste valeur car elle est bien moins facile qu’il n’y paraît, même si le couple l’a accomplie avec une aisance déconcertante.

Comme à Tokyo et comme à Herning, Maikel van der Vleuten et Beauville NOP ont décroché le bronze individuel.

Comme à Tokyo et comme à Herning, Maikel van der Vleuten et Beauville NOP ont décroché le bronze individuel.

© Benjamin Clark/FEI



Julien Épaillard repart avec une médaille en chocolat… et l’amour inconditionnel des supporters tricolores!

Julien Épaillard et Dubaï du Cèdre ont été privés de finale au chronomètre pour une faute en fin de parcours.

Julien Épaillard et Dubaï du Cèdre ont été privés de finale au chronomètre pour une faute en fin de parcours.

© Scoopdyga

La pire place du classement, c’est probablement celle dont a hérité Julien Épaillard… Véritable héros national du saut d’obstacles depuis quatre ans, au mérite de ses innombrables victoires au plus haut niveau, le Normand faisait incontestablement partie des favoris – et il était certainement celui des spectateurs, qui ont à nouveau intégralement rempli les tribunes. Quatre jours après avoir décroché la médaille de bronze avec l’équipe de France, le cavalier de Dubaï du Cèdre avait certes moins de pression, comme il l’a dit en sortie de piste, mais on imagine qu’il rêvait tout de même d’embarquer une breloque supplémentaire dans ses bagages. Entamant son parcours dans un silence de cathédrale – on pouvait quasiment entendre le souffle saccadé de ses voisins de tribunes – Julien Épaillard s’est sorti de la plupart des difficultés (malgré un “coup de pédalo” dans l’oxer de sortie du très fautif double 5, où le coup de jarret de Dubaï du Cèdre a clairement laissé penser qu’elle avait des yeux aux sabots)… jusqu’au vertical de sortie du double 12. Une faute, une petite faute, qui prive le couple médaillé de bronze des derniers Européens d’un accès au barrage, et qui le fait terminer à la quatrième place. Quoi qu’il en soit, le Normand a de quoi être fier de ce qu’il a réalisé à Versailles cette semaine, et le public le lui a bien rendu avec une standing ovation!

Quant à Simon Delestre, qui a lui aussi remporté sa première médaille olympique vendredi dernier, tirant un trait sur trois tentatives infructueuses, il a concédé deux fautes et terminé dix-septième (lire sa réaction ici). Associé à l’imposant I Amelusina R 51, le Lorrain a immédiatement perdu toutes ses chances de podium en butant sur le vertical numéro 1, puis sur l’oxer de sortie du double 5, qui a aussi coûté une place au barrage au champion olympique de Tokyo, Ben Maher, associé à Dallas Vegas Batilly, ainsi qu’aux champions des Jeux panaméricains, le Brésilien Stephan de Freitas Barcha et Primavera.



La douche froide pour Henrik von Eckermann et King Edward…

Depuis les championnats d’Europe de Rotterdam, en 2019, c’est-à-dire avant les JO de Tokyo, les Européens de Riesenbeck, les Mondiaux de Herning et les Européens de Milan, la Suède n’était jamais rentrée bredouille d’un grand championnat. La série s’est arrêtée à Versailles, et de quelle manière dans cette finale individuelle… Le seul Suédois qualifié pour cette épreuve à grand spectacle était Henrik von Eckermann, et il formait sans aucun doute le binôme archi-favori des statisticiens avec King Edward Ress. Médaillé d’or par équipes et quatrième en individuel à Tokyo, double médaillé d’or à Herning et double vainqueur de la finale de la Coupe du monde Longines (!), le couple n’était, comme Maikel van der Vleuten et Beauville, jamais rentré d’un grand rendez-vous sans médaille… Dès le début de leur prestation, ce matin, on a senti toute la pression qui pesait sur les épaules du numéro un mondial, qui reconnaît lui-même ne pas avoir produit le plus beau parcours de sa vie avec son petit alezan. Au bout de la ligne rivière-vertical-oxer, placés en 6, 7 et 8, où les deux athlètes ont littéralement bataillé pour réussir leur contrat de foulées, il y a eu... une impensable séparation de corps! L’un est parti à droite, l’autre à gauche. Henrik von Eckermann à terre, et King Edward qui s’en va, nez au vent, vers la sortie. Quel scénario tragique pour le Suédois, profondément déçu en sortie de piste – il est même arrivé avec un bout de mouchoir à la main et la goutte au nez, laissant supposer quelques larmes (lire sa réaction ici)… Que les deux cracks se relèvent vite: ils ne décrocheront pas de médaille individuelle aux JO, certes, mais il leur reste bon nombre de médailles et de victoires à empocher!

Henrik von Eckermann a vécu la pire désillusion aujourd'hui avec King Edward...

Henrik von Eckermann a vécu la pire désillusion aujourd'hui avec King Edward...

© Scoopdyga



Karl Cook et Martin Fuchs auraient mérité un sans-faute

Alors qu'ils semblaient très proches d'une médaille, Karl Cook et Caracole de la Roque ont failli dans la dernière ligne droite...

Alors qu'ils semblaient très proches d'une médaille, Karl Cook et Caracole de la Roque ont failli dans la dernière ligne droite...

© Benjamin Clark/FEI

Des surprises, il y en a eu d’autres aujourd’hui, moins retentissantes peut-être. On peut évidemment citer l’abandon du Brésilien Rodrigo Pessoa, qui a décidé d'en rester là après deux fautes de Major Tom, mais aussi celui de l’Irlandais Daniel Coyle et Legacy, qui ont craqué dans la dernière ligne, ou encore les huit points plus que regrettables de Karl Cook et Caracole de la Roque… Alors que l’on voyait déjà l’Américain courir vers la gloire avec l’ancienne complice de Julien Épaillard, le charismatique duo a buté sur les deux éléments du dernier double après un très mauvais abord. Rude conclusion pour le Californien, qui avait jusqu’ici survolé la compétition et qui est sorti de piste en larmes aux côtés de son vénérable mentor Éric Navet… Même score pour le Belge Grégory Wathelet et Bond JamesBond de Hay, fautifs sur le double 5 et la rivière. 

Vice-champions d’Europe en titre, l’Allemand Philipp Weishaupt et Zineday ont eux laissé cinq points de pénalité derrière eux, tandis que l’Américaine Laura Kraut en a récolté quatre aux rênes de Baloutinue après avoir concédé une faute bête sur le dernier obstacle… Même chose pour le Suisse Martin Fuchs, qui a pourtant livré une prestation phénoménale sur Leone Jei, et n’a hélas pas été récompensé à la hauteur de ses efforts (lire sa réaction ici). Sur son gris, le jeune multimédaillé a perdu son étrier gauche à la sortie du double 5... et a achevé son parcours sans! La rivière, le triple, la dernière ligne, le Suisse a vécu la majeure partie de sa performance avec un seul étrier, faisant étalage de ses qualités de pilote – d’autant que Leone Jei est réputé pour produire de très gros sauts et qu’il arrive fréquemment que son cavalier s’en retrouve “déculassé”. 

En bref, cette vingt-septième finale individuelle olympique de saut d’obstacles a été comme les vingt-six précédentes: palpitante, surprenante et émouvante! Une épreuve venue parachever onze jours de compétitions équestres dignes du sport qu’on aime, c’est-à-dire juste, beau et sans incident! 

Les résultats
Le parcours



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