Des propriétaires français comblés par leur aventure olympique

Il y a trois semaines déjà, l’équipe de France de saut d’obstacles a conquis une très belle médaille de bronze aux Jeux olympiques de Paris 2024. Au stade équestre éphémère de Versailles, le public a acclamé Simon Delestre, Olivier Perreau et Julien Épaillard, qui ont rempli l’objectif qui leur avait été fixé par la Fédération française d’équitation, mais aussi leurs excellents I Amelusina R 51, Dorai d’Aiguilly*GL events et Dubaï du Cèdre, sans lesquels cet exploit n’aurait jamais pu être accompli. En coulisses, Philippe Berthol, copropriétaire du premier nommé, et Sylvain Pitois, naisseur et copropriétaire de Dubaï, ont vécu une aventure extraordinaire et inoubliable.



“C’est dingue ce que nous venons de vivre”, admet d’emblée Sylvain Pitois, co-naisseur et copropriétaire, avec sa compagne Perrine Cateline, de Dubaï du Cèdre (SF, Baloubet du Rouet x Diamant de Semilly), l’exceptionnelle partenaire de Julien Épaillard. Il faut dire que le couple, déjà médaillé de bronze individuel des championnats d’Europe de Milan l’été dernier et deuxième de la finale de la Coupe du monde en avril, a brillamment contribué à la médaille de bronze de l’équipe de France il y a déjà trois semaines lors des Jeux olympiques de Paris 2024, à Versailles. Et il faut aussi rappeler que le Normand et la Selle Français de onze ans, également copropriété du cavalier, de son épouse Susana García Cereceda, de quelques amis espagnols du couple et de Laurent Guillet, sont passés à un cheveu, un crin de disputer la médaille d’or au barrage de la finale individuelle. Lors d’un parcours d’anthologie équestre, sur le tracé terriblement exigeant de quinze obstacles et dix-neuf efforts de Grégory Bodo et Santiago Varela Ullastres, la paire a cédé d’un rien sur le vertical 12b placé à la sortie du second double, ouvert par de gigantesques barres de Spa.

Avec des “si”, on mettrait Paris et Versailles en bouteille, mais comment ne pas penser que Julien et Dubaï auraient eu toutes leurs chances de signer le double sans-faute le plus rapide et, finalement, de devancer l’Allemand Christian Kukuk, le Suisse Steve Guerdat et le Néerlandais Maikel van der Vleuten, respectivement médaillés d’or, d’argent et de bronze avec Checker 47 (Westph, Comme il Faut x Come On), Dynamix de Bélhème (SF, Snaike de Blondel x Cornet Obolensky) et Beauville (Z, Bustique x Jumpy des Fontaines)… “Nous avons touché l’or du bout des doigts”, reconnaît Sylvain Pitois. “Il y a tout de même un peu de frustration, mais la médaille de bronze par équipes nous console amplement. Quatrième, ce n’est pas la meilleure place aux Jeux olympiques, mais nous serions contents d’être classés s’il s’agissait d’un Grand Prix”, tempère-t-il à raison. “Au départ, les Jeux olympiques n’étaient pas notre objectif. Nous voulions simplement donner la chance à Dubaï de concourir à haut niveau. Julien a évoqué les Jeux quand nous la lui avons présentée. À l’époque, il cherchait deux ou trois chevaux pour y participer et nous a tout de suite confié que la jument correspondait à tous ses critères. C’est à ce moment que nous nous sommes projetés sur cette échéance. Et force est de constater qu’il avait vu juste”, salue l’éleveur et kinésithérapeute établi à Châtillon-en-Vendelais, entre Fougères et Vitré, en Ille-et-Vilaine.

“Ces quelques jours ont été magiques avec énormément de suspense et d’appréhension. La France a réussi de très bonnes choses par équipes et en individuel. Nous avons vécu ces Jeux en direct, avec beaucoup de modestie, car tout peut arriver. Tout au long des épreuves, nous avons vacillé entre le doute de se qualifier par équipes et le fait d’y arriver”, introduit Philippe Berthol, copropriétaire d’I Amelusina R 51 (KWPN, Dexter R x Chin Chin), le partenaire de Simon Delestre. Le Lorrain, à la tête d’un chaîne de magasins d’optique, en sait quelque chose, ayant partagé avec son fidèle cavalier l’horrible mésaventure des JO de Rio de Janeiro, au Brésil, où le prodigieux Hermès Ryan des Hayettes (SF, Hugo Gesmeray x Ryon d’Anzex), dont il est aussi le propriétaire, s’était malheureusement blessé dans son box. Du reste, I Amelusina R, qui a suivi une courbe de progression continue et très prometteuse, validant la sélection du couple au mérite d’un double sans-faute dans l’étape néerlandaise de la Ligue des nations Longines, fin juin à Rotterdam, n’était pas le plan A de Simon pour Paris 2024. Il l’est devenu lors de ce même Officiel des Pays-Bas, où Cayman Jolly Jumper (SF, Hickstead x Quincy) a manifesté une légère gêne locomotrice synonyme de blessure… et de forfait olympique. “C’était Cayman à 99% jusqu’à ce que les aléas de la vie nous rattrapent. Sa blessure n’est pas méchante, mais nous ne pouvions pas prendre le risque de le faire concourir. La vie d’un cavalier est faite de hauts et de bas, ce que Simon a très bien intégré. Il en est de même pour les propriétaires, mais nous ne sommes qu’au bord de la piste ou au bout du téléphone quand il y a une mauvaise nouvelle, donc nous ne sommes pas en prise directe avec ce qu’il se passe. Il faut savoir relativiser et rendre à César ce qui lui appartient. Ce sont les cavaliers qui se lèvent tous les matins pour monter à cheval et qui s’endorment le soir avec des idées, des stratégies et des rêves… qui sont souvent remis en cause par la vie. En tout cas, nous avons de la chance, parce que Simon sait gérer tout cela”, salue Philippe Berthol.



“Simon a le don de susciter la cohésion entre les personnes présentes au sein de ses écuries”, Philippe Berthol

Selon lui, les propriétaires des chevaux du Lorrain forment une équipe soudée autour de lui et ses projets. “Nicholas Hochstadter (copropriétaire de Cayman Jolly Jumper et ancien cavalier international sous les couleurs du Lichtenstein, ndlr) a été le premier supporter de l’équipe de France et de Simon. Sans aucune réserve. Il a été d’une sincérité et d’une loyauté totale et il s’est réjoui de tous les bons moments. C’est un garçon entièrement fair-play, qui a tout misé sur Cayman il y a deux ans pour aller aux JO. À la dernière minute, cela ne s’est pas passé comme nous l’avions pensé, mais il est resté, comme toujours, d’une gentillesse et d’une générosité qui l’honorent. Simon a le don de susciter la cohésion entre les personnes présentes au sein de ses écuries, même si elles ont des intérêts divergents au départ. C’est une véritable communauté de partenaires partageant la même volonté de bien faire. La fidélité de chacun de nous en est la preuve. Aujourd’hui, certains sont peut-être un peu moins dans la lumière, comme Pascale Bliscaux (copropriétaire d’I Amelusina R 51 avec une société de Simon Delestre et Philippe Berthol, ndlr) qui est là depuis presque trente-cinq ans, mais ils n’en demeurent pas moins des supporters de longue date.”

“Chacun a joué son rôle dans les différentes épreuves. Ce fut une belle illustration du travail d’équipe. Cette compétition demande la rigueur. Bien sûr, les cavaliers doivent avoir de très bons chevaux, mais ils doivent être solides. Je pense que nos Bleus l’ont été tour à tour, chacun à sa façon, lors de la qualificative puis de la finale par équipes, pour arracher la médaille”, salue encore Philippe Berthol. “Dès le premier jour, nous avons su que Julien était dans le match, ce dont nous ne doutions pas”, reprend Sylvain Pitois. “Ensemble, Dubaï et Julien ont participé à trois championnats, donc il sait comment atteindre son pic de forme. Dubaï est une jument solide, qui regorge d’énergie, ce qui permet d’optimiser l’entraînement et l’alimentation le jour J. Pour le deuxième parcours par équipes, nous avions moins de pression parce que l’équipe était assurée d’une médaille même avec une faute et que nous savions Julien et Dubaï naturellement rapides.” De fait, le couple a fauté sur l’oxer 9, mais il a coupé la ligne d’arrivée assez vite pour ne pas concéder de temps dépassé, mais, surtout, pour permettre à la France de finir avec un meilleur chronomètre cumulé que les Pays-Bas, les nations ayant été départagées par ce biais – un barrage aurait été plus méritoire – pour la médaille de bronze.

“La dualité incarnée par Grégory Bodo et Santiago Varela a très bien fonctionné. Leurs parcours ont été très bien construits et très bien réalisés, sans fracas ni dégât. Tout cela a été assez révélateur du niveau de préparation des uns et des autres, cavaliers comme chevaux”, salue encore Philippe Berthol, avant d’évoquer la qualificative individuelle. “En individuel, Olivier Perreau a un peu été victime de son ordre de passage. Il est passé dans les premiers et a malheureusement concédé quatre points sur le dernier obstacle donc n’a pas pu accélérer pour se mettre à l’abri. Simon a été plus chanceux et Julien nous a démontré tout son talent en se classant premier de l’épreuve et en abordant la finale du lendemain en favori. Là encore, le destin a rejeté les dés.” En effet, comme toujours aux JO, les scores ont été remis à zéro le dernier jour. “Nous avions de l’espoir, mais j’ai aussi ressenti de la pression lors de cette finale”, reprend Sylvain Pitois. “Après la reconnaissance, Julien m’a dit que le parcours allait être long, large et très technique donc, à partir de là, le stress est monté”, sourit-il en y repensant.



“Dubaï du Cèdre sait se mobiliser quand c’est très dur”, Sylvain Pitois

Premier des deux Français qualifiés pour cette finale, Simon Delestre a monté un I Amelusina R 51 à la hauteur de l’événement, mais n’a pu éviter une faute sur le vertical numéro 1, puis une autre sur l’oxer de sortie du premier double, placé en 5, sortant malgré cela sous les acclamations du fabuleux public olympique. Quant à Julien Épaillard, dernier à s’élancer, il a produit un parcours de toute beauté, avec une Dubaï du Cèdre pleinement disponible et ultra généreuse, mais une touchette a donc privé le couple de barrage. “À l’œil, depuis les tribunes, nous nous sommes dit qu’ils rentraient parfaitement dans ce double, peut-être trop bien finalement. Il y a sûrement eu un peu de relâchement de la part des deux. C’est le sport”, analyse sagement Sylvain Pitois. “En tout cas, au fil de la compétition, j’ai le sentiment que la jument a pris la mesure de ces gros obstacles. Les deux derniers jours, Julien s’est permis des choses qu’il n’aurait peut-être pas pu faire le premier jour. Il savait que la jument ne manifesterait aucune hésitation et qu’il pourrait tout lui demander. C’est l’une des caractéristiques de Dubaï: elle sait se mobiliser quand c’est très dur. Nous l’avons remarqué lorsqu’elle avait six ans. À cet âge, les parcours sont plus compliqués à partir du mois de mai, et c’est là que nous avons remarqué que nous avions affaire à une vraie athlète”, se souvient le Breton.

Depuis son retour de Versailles, Dubaï du Cèdre s’est reposée au pré. On pourrait la retrouver en finale de la Ligue des nations Longines, début octobre à Barcelone, après un ou deux concours préparatoires. Elle devrait reprendre la compétition la semaine prochaine au CSI 5* de Rome. Dorai d’Aiguilly*GL events et Olivier Perreau sont attendus la semaine prochaine au CSIO 5* de Bruxelles, tandis qu’I Amelusina participe ce week-end au CSI 5* de Valkenswaard. Les deux juments et l’étalon resteront-ils longtemps sous selle française ? On les imagine fort convoités, mais la suite de leur carrière ne semble pas figée dans le marbre. “Avec Julien, nous avons un contrat de trois ans donc nous sommes loin du terme. Nous avons quelques semaines, voire quelques mois, pour réfléchir ensemble à l’avenir. Nous sommes dix copropriétaires, donc il y a plusieurs avis à prendre en compte. À la fin, c’est Julien qui décidera. La finalité de l’élevage français est de produire des chevaux pour le sport en général, pas seulement pour les Français. Quand je vois comment Caracole de la Roque (ancienne partenaire de Julien Épaillard, ndlr) a brillé à Versailles avec Karl Cook, je me dis que la filière ne peut être que fière d’avoir produit une telle jument. Dubaï est entourée de gens rationnels, donc la passion ne l’emportera pas sur la raison le moment venu”, dessine Sylvain Pitois.

“Notre aventure va continuer parce que Simon monte et travaille avec une détermination et un acharnement qui repoussent les limites. Nous avons acheté I Amelusina quand il avait trois ans, et Ryan à cinq ans, donc nous faisons partie des gens qui accèdent au haut niveau avec des moyens financiers raisonnables et des stratégies raisonnées. I Amelusina a le droit de figurer dans les plans de Simon pour les Mondiaux d’Aix-la-Chapelle dans deux ans et les JO lui auront sûrement permis de mûrir et de s’affirmer. Pour autant, Simon a une écurie de top niveau avec d’autres chevaux qui peuvent prétendre aux championnats, donc nous verrons”, commente Philippe Berthol. “Simon est celui qui s’est donné du mal à le former, alors il garde la priorité pour quelque décision que ce soit. Par le passé, nous avons eu des opportunités que nous n’avons pas saisies. Nous n’avons vendu ni Ryan, ni Cayman donc rien n’est impossible. En tout cas, la vente d’I Amelusina n’est pas un sujet à l’ordre du jour. Quant à moi, je suis un éleveur et un passionné de chevaux depuis que je suis enfant, et ce n’est pas à l’approche de la soixantaine que cela va changer!”, conclut le Lorrain.

Le dernier mot reviendra à Sylvain Pitois, qui salue les efforts de la Fédération française d’équitation envers les propriétaires. “Nous avons très bien été accueillis (un espace leur était dédié, de même qu’à tous les invités de la FFE, à la ferme de Gally, à proximité immédiate du stade olympique, ndlr). Nous étions logés ainsi que nos enfants. Le nombre d’accréditations accordées par les organisateurs des Jeux a fait que nous n’avons pas pu voir notre jument aux écuries. Nous aurions pu en avoir deux, mais j’ai préféré les donner à l’épouse et au fils de Julien afin qu’il puisse vivre cette expérience en famille. Notre priorité était de mettre notre cavalier dans du coton afin que tout se passe bien avec notre jument. En retour, Julien a réussi à nous trouver des places, et tout s’est très bien passé ainsi.” Un geste qui honore le couple d’éleveurs bretons, qui n’ont peut-être pas vécu leur dernier championnat…



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