Pourquoi ils ne seront pas aux Jeux équestres mondiaux

Daniel Deusser, Christian Ahlmann, Kent Farrington, Scott Brash, Ben Maher, Simon Delestre... Chaque semaine qui rapproche des Jeux équestres mondiaux de Tryon apporte son lot de forfaits et autres non-sélections plus ou moins surprenants de stars du saut d’obstacles, au regard de leur statut ou de leur potentiel dans cette compétition. Au-delà des aléas classiques liés à l’état de forme des chevaux, l’évolution des réalités financières du jumping n’est pas tout à fait étrangère à certaines défections... GRANDPRIX a tenté de décrypter les plus emblématiques.



Daniel Deusser et Christian Ahlmann fâchés avec la Fédération allemande

Pourquoi la huitième édition des Jeux équestres mondiaux enregistre-t-elle tant de forfaits de stars du saut d’obstacles? Cette question revient de plus en plus souvent dans les conversations des passionnés de ce sport. "À quoi ressembleront ces JEM sans Daniel Deusser, Christian Ahlmann, Kent Farrington, Scott Brash, Ben Maher ou encore Simon Delestre?", se demandent-ils. Tous ont un jour porté le brassard du numéro un du classement mondial Longines des cavaliers et tous sont encore en activité au plus haut niveau, mais tous seront donc absents du plus grand événement de l’année... Comment a-t-on pu en arriver là?
 
Daniel Deusser et Christian Ahlmann, pour commencer par eux, n’ont plus disputé la moindre Coupe des nations depuis les Jeux olympiques de Rio, en 2016, où ils avaient contribué à la médaille de bronze arrachée par l’Allemagne. En refusant de signer un contrat imposé par la Fédération allemande, les deux multi-médaillés se sont tout simplement exclus du jeu. Ce contrat stipule notamment que les cavaliers portant les couleurs de la Mannschaft doivent uniquement s’en remettre à la justice sportive dans d’éventuelles affaires de dopage, et qu’ils ne peuvent donc pas intenter de procédures devant des juridictions de droit commun. Ayant déjà été condamnés par le passé à la suite de contrôles positifs de leurs chevaux, ces deux champions avaient alors fait face à l’attitude particulièrement sévère – injuste ? – de leur fédération. Chat échaudé craint l’eau froide...
 
Côté britannique, on passera rapidement sur l’absence de Scott Brash, qui n’a porté la veste nationale qu'une seule fois cette saison à l'occasion du CSIO 5* de Hickstead. Certes, l’Écossais s’est adjugé le Longines Global Champions Tour de Londres cet été avec Hello Mr President, mais ce dernier reste assez jeune et irrégulier. Autrement dit, il n’est jamais rentré dans les plans de Di Lampard, qui – rappelons-le – avait déjà dû se résoudre à ne pas envoyer d’équipe l’an passé aux Européens Longines de Göteborg.


Ben Maher et l’étonnant cas d’Explosion W

En revanche, la sélectionneuse britannique espérait sûrement pouvoir compter sur Ben Maher, de retour à son meilleur niveau cette année avec un piquet conséquent de très bons chevaux... mais peut-être pas tous disponibles pour l’équipe nationale. Le trentenaire misait sans doute prioritairement sur Tic Tac du Seigneur, son partenaire des derniers JO, mais celui-ci, sûrement blessé, n’est plus réapparu en compétition depuis le CSI 5* de Windsor, mi-mai. Il a alors relancé en CSIO une certaine Sarena (ex-Sixtine de Vains), arrêtée pendant dix-huit mois entre l’automne 2016 et le printemps 2018, mais celle-ci ne semble pas encore d’attaque pour un tel défi. En revanche, comment expliquer qu’Explosion W, vainqueur notamment du très sélectif LGCT de Madrid, disputé sur un grand terrain en herbe et avec une rivière, ne soit pas entré en ligne de compte, de même –dans une moindre mesure– que Winning Good, lauréat du LGCT de Saint-Tropez? Si les parties concernées restent muettes, il n’est pas impossible d’en déduire que les raisons sont financières. En effet, ces deux cracks de neuf ans appartiennent à Poden Farms, la structure de la famille Moffitt, vraisemblablement propriétaire de l’écurie London Knights engagée dans la Global Champions League (GCL). Même si Winning Good a sauté la Coupe des nations de Rotterdam (4 puis 8 points), il n’est pas impossible que ces deux chevaux aient été empêchés de disputer les JEM pour se consacrer à la GCL...
 
Vu que chaque propriétaire d’écurie doit s’acquitter d’une gigantesque pay-card annuelle de 2 millions d’euros pour y participer, on peut comprendre que l’argent prenne le pas sur les enjeux nationaux. Si le problème se situe bien là, faut-il blâmer le propriétaire, britannique qui plus est, pour son manque de patriotisme? Ou le cavalier, pour ne pas avoir défendu son projet sportif avec suffisamment d’ardeur? Ou bien la Fédération équestre internationale, pour avoir laissé se développer une telle compétition avec de telles règles du jeu? Depuis la naissance au forceps de la GCL, comme d’autres observateurs et amoureux du grand sport, GRANDPRIX a toujours craint que les propriétaires d’écuries ne finissent par supplanter les sélectionneurs nationaux. Ici, on fait peut-être face à un triste premier cas d’école... Dans d’autres pays, y compris en France probablement même si les contrats entre écuries et cavaliers demeurent opaques, des chevaux commencent à être achetés spécifiquement pour la GCL. Si celle-ci se disputait à 1,45m ou 1,50m, tout cela serait vertueux pour le commerce et valorisant pour les montures performantes à cette hauteur, mais elle se court à 1,55m et sur des parcours de plus en plus corsés, de l’aveu même d’un cavalier d’expérience tel que Roger-Yves Bost (lire son entretien dans le numéro de juillet-août du magazine Grand Prix). Dès lors, la GCL se retrouve bien en concurrence directe avec le circuit des Coupes des nations, le seul qui prépare véritablement les couples aux grands championnats. Et si la FEI ne reprend pas rapidement le dossier en main, qu’adviendra-t-il des championnats continentaux, des JEM, voire des JO?
 
Deux autres forfaits d'anciens patrons ont posé question ces dernières semaines. D’abord, celui de Kent Farrington, pourtant armé de Gazelle, meilleur cheval de l’année 2017, a pu surprendre, y compris a posteriori, le couple ayant brillamment conservé son titre dans le Grand Prix CSI 5* de Valence dimanche dernier. Pour autant, il n’en demeure pas moins que l’Américain a dû s’arrêter trois mois cette année pour soigner sa fracture de la jambe consécutive à une mauvaise chute. Et même si Gazelle a terminé deuxième du Grand Prix Longines de La Baule quelques jours après le retour de son cavalier, avant de gagner un Grand Prix CSI 5* à Calgary, elle a manifesté des signes de méforme au début de l’été... Sans doute les planètes n’étaient-elles donc pas suffisamment alignées cette année.


Hermès Ryan s’était-il rendu à Mexico et Miami en bateau ?

Pour Simon Delestre ensuite, que ses supporters espéraient forcément voir triompher aux États-Unis avec Hermès Ryan des Hayettes, privé des JO en raison d’une blessure contractée dans son box de Rio, l’explication n’est pas évidente. D’un côté, le cavalier assurait publiquement depuis l’automne dernier qu’il se mettrait au service de l’équipe de France et que le programme de concours de l’alezan serait établi en fonction des JEM. Du reste, il a renoncé à l’engager dans la finale de la Coupe du monde Longines et a pris part à la Coupe des nations de La Baule. Cependant, le couple s’en est tenu là pour ce qui est des CSIO. Un peu léger compte tenu d’une prestation bauloise rassurante mais inaboutie (0/9). Par la suite, Simon et Ryan ont disputé pas moins de cinq étapes des LGCT/GCL, avec à la clé trois classements, dont une troisième place dans le Grand Prix de Cannes, mais le Lorrain n’est pas encore parvenu à se qualifier pour le Super Grand Prix, épreuve dotée d’1,25 million d’euros disputée en décembre à Prague, en marge des nouveaux play-offs de la GCL.
 
Le 26 juillet, le cavalier et le propriétaire du cheval, Philippe Berthol, se sont adonnés à un exercice commun de communication sur les réseaux sociaux pour annoncer que Ryan n’irait finalement pas à Tryon. "Le cheval n’a pas repris l'avion depuis Rio et son propriétaire n’a pas envie de prendre ce risque. Ryan a plus d’âge et s’il lui arrivait un pépin supplémentaire, ce serait sûrement la fin de sa carrière", a notamment argué le cavalier. Pourtant, sans remonter bien loin dans la fiche FEI de Ryan, on trouve trace de participations aux CSI 5* de Mexico et Miami début 2017, deux mois après sa reprise... Le crack s’était-il rendu au Mexique puis en Floride en bateau? (Ryan s'était déjà blessé pendant un voyage au CSI 5* de Miami l'an dernier, ndlr) Alors pourquoi ce choix? Là encore, on ne peut émettre que des suppositions. À ce jour, l’écurie Monaco Aces n’est pas encore qualifiée pour les fameux play-offs de la GCL, ouverts aux douze meilleures escouades. Avant les étapes de Rome et Doha, l’escouade regroupant les Français Simon Delestre, Julien Épaillard et Jeanne Sadran, le Belge Jérôme Guery et le Suisse Romain Duguet ne pointe qu’au treizième rang au général. Bien que Ryan ne soit pas, à ce jour, engagé à Rome, peut-être son entourage a-t-il tout simplement d’autres priorités pour lui. Ne disputera-t-il pas ce week-end le CSI 5* de Bruxelles? Bref, difficile d'y voir clair.
 
D’autres défections notables ont été enregistrées ces dernières semaines. Celle d’Edwina Tops-Alexander ne semble pas totalement illogique au regard des récentes performances quelque peu irrégulières de California et Inca Boy van’t Vianahof. Très attachée au double circuit fondé par son époux Jan Tops, l’Australienne préfère sûrement se concentrer sur la GCL, où elle défend les couleurs de l’écurie St Tropez Pirates, vraisemblablement propriété de sa voisine Athina Onassis, et sur le Super Grand Prix du LGCT, plutôt que se lancer en quête d’une qualification olympique presque impossible à obtenir pour son équipe à Tryon. Du reste, sa Fédération «respecte son choix». Ajoutons qu’en avril dernier, elle avait déjà renoncé à la finale de la Coupe du monde Longines de Paris.

Luciana Diniz préfère le Grand Chelem...

À première vue, le forfait de Luciana Diniz est beaucoup plus étonnant, tant elle enchaîne les performances dans les plus beaux Grands Prix de la planète avec Fit For Fun 13, victorieuse à Saint-Gall et deuxième à Aix-la-Chapelle. La Portugaise dit vouloir "préserver l’une des meilleurs juments du monde, qui donne toujours le meilleur d’elle-même en piste. Parce que je l’aime tant et que je la respecte, je voudrais la garder encore longtemps en pleine forme et heureuse." Elle assume, quant à elle, de favoriser le Grand Chelem formé par les prestigieux Grands Prix d’Aix, Genève, Bois-le-Duc et Calgary, où elle tentera sa chance la semaine prochaine. Certes, la qualification olympique semble aussi inaccessible à sa nation qu’à l’Australie, mais il est triste de la voir renoncer à la quête d’un grand titre individuel qui manque toujours à son palmarès. Du reste, elle avait déjà renoncé aux JEM de Lexington et Caen. Alors, jamais deux sans trois...
 
Que dire de l’absence de Philipp Weishaupt, qui aurait pu offrir son expérience et quelques sans-faute à l’Allemagne avec le puissant LB Convall? Le trentenaire a dû se plier aux désirs de son patron, Ludger Beerbaum, désireux de le voir s’illustrer à Calgary, où il remettra son titre en jeu. Étonnant tout de même de la part du «Kaiser», qui a si souvent favorisé les succès de la Mannschaft...
 
La liste des grands absents toujours en activité en CSI 5* comporte aussi les noms du Suédois Rolf-Göran Bengtsson, champion d’Europe en 2011, vice-champion olympique en 2008 et autre ancien numéro un mondial, du Néerlandais Jeroen Dubbeldam, champion olympique en 2000, champion d’Europe en 2015 et tenant du titre mondial, et du Britannique John Whitaker, champion d’Europe en 1989 et double vainqueur de la finale de la Coupe du monde. Mais aucun de ces trois-là n’est actuellement équipé d’un cheval en capacité de performer à Tryon. Si l’on parcourt le classement mondial jusqu’à la cinquantième place, on ajoutera le Néerlandais Maikel van der Vleuten, les Irlandais Denis Lynch, Bertram Allen, Daniel Coyle et Shane Breen, les Américaines Margie Goldstein-Engle et Lauren Hough, le Brésilien Marlon Módolo Zanotelli, les Belges Jérôme Guéry et Olivier Philippaerts, les Suisses Werner Muff (qui aurait refusé la place de réserviste qui lui proposait sa Fédération) et Pius Schwizer, le Français Julien Épaillard et le Brésilien Rodrigo Lambre, qui n’ont pas été retenus par leur sélectionneur national, faute, le plus souvent, de disposer d’un cheval au niveau de l’événement à l’instant présent. Ainsi va, aussi, la vie des grands cavaliers.
 
Quoi qu’il en soit, la liste est longue, un peu trop longue. Mais les absents n’ont-ils pas toujours tort?