'LE MATCH A COMMENCÉ ET J?IRAI JUSQU?AU BOUT', PIERRE DURAND
Le 22 août dernier, quelques jours après que Son Altesse Royale la Princesse Haya Bint al-Hussein de Jordanie a annoncé qu’elle ne briguerait finalement pas de troisième mandat à la présidence de la Fédération équestre internationale, Pierre Durand a fait part de sa candidature. Ce poste, plus aucun Français ne l’a occupé depuis 1927, terme du mandat du premier président, le Baron du Teil. Depuis, si le champion olympique 1988, à jamais associé au légendaire Jappeloup, a fait quelques apparitions et annonces publiques, on attendait avec impatience son programme et ses propositions pour faire avancer la FEI dans le XXIe siècle. Pierre Durand a accepté de répondre par écrit aux questions de GrandPrix-replay.com.
GrandPrix-replay.com : Qu’est-ce qui a motivé votre candidature ?
Pierre Durand : Depuis mon enfance, j’aime les chevaux et le sport. Ils ont donné une direction à ma vie. Mon grand-père maternel, puis mon père m’ont transmis le sens de l’engagement associatif. À mon tour, je suis devenu un serviteur exigeant de mes deux passions. J’ai multiplié les expériences depuis l’arrêt de ma carrière sportive en 1992 : président de la Fédération française d’équitation (1993 à 1998), puis successivement membre du conseil d’administration (CA) du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), président du CREPS de Talence et, depuis 2008, président du CA de l’INSEP. À travers mon premier métier d’administrateur judiciaire, j’ai été confronté à beaucoup de situations diverses et complexes.
Ma candidature aujourd’hui, est la conséquence de circonstances exceptionnelles. L’annonce, mi-août, de la décision inattendue de la Princesse Haya de ne pas briguer un troisième mandat alors que tout le laissait croire, et la fin de mon deuxième et dernier mandat au sein de l’INSEP, en novembre prochain. C’est dans ces conditions que j’ai été approché par des personnes de mon pays, mais aussi de l’étranger, inquiètes de la succession à la tête de la FEI. On m’a encouragé à déposer rapidement ma candidature. Après avoir consulté des acteurs importants du milieu, fort du plein et entier soutien de la FFE, mais aussi du CNOSF et du ministère des Affaires étrangères, bientôt libre de tout engagement bénévole en dehors de mes propres activités, j’ai accepté.
GPR. : L’ancien champion olympique, ancien président de la FFE et organisateurs de concours que vous êtes avait-il besoin d’un nouveau défi personnel ?
P.D. : Je suis un homme de défi. C’est ma nature. Ma carrière sportive et mes nombreux engagements publics ou à titre personnel le démontrent. À cinquante-neuf ans, j’ai encore beaucoup d’enthousiasme et je vois dans cette opportunité l’occasion de prolonger mon engagement ancien et désintéressé au service des chevaux et des sports équestres.
GPR. : Comment jugez-vous l’action de la Princesse Haya de Jordanie, présidente de 2006 à 2014 ?
P.D. : Par le dévouement exceptionnel de la Princesse Haya, pour l’organisation qu’elle a mise en place, pour les actions innovantes qu’elle a su mener, dont la principale à mes yeux est le programme FEI Solidarity, pour avoir contribué avec élégance à l’image de la FEI, elle mérite respect et estime.
« Asseoir notre permanence dans le mouvement olympique »
GPR. : Quels sont les domaines dans lesquels la FEI reste faillible ou en retard sur son temps ?
P.D. : Il est toujours possible de mieux faire. Dans un monde en perpétuel mouvement, rien n’est garanti. Nous sommes toujours soumis à une forte pression pour rester dans le programme olympique, actuellement en cours de révision. Si nous ne nous adaptons pas pour que nos disciplines soient encore plus attractives et universelles dans leur pratique, nous serons condamnés à être démembrés dans un premier temps, avant de disparaître. Il faut asseoir notre permanence dans le mouvement olympique.
GPR. : Entendez-vous vous inscrire dans la continuité ou dans la rupture par rapport à la présidente sortante ?
P.D. : Mon slogan de campagne est : 'La continuité dans l’action sera ma ligne de conduite'.
GPR. : Quels sont les grandes lignes de votre programme ?
P.D. : Mon programme s’articule principalement autour du respect des chevaux et de l’éthique sportive, du maintien des disciplines équestres au sein du programme olympique et de la promotion et du développement des bonnes pratiques de l’équitation partout dans le monde, dans le cadre de FEI Solidarity.
GPR. : Au sujet des compétitions, comment avez-vous vécu les derniers Jeux équestres mondiaux ?
P.D. : Les Jeux équestres mondiaux sont un évènement considérable. Peu se hasarde à les organiser, et de ce point de vue, je suis fier que la France, la Normandie et la FFE aient relevé le défi. Je sais que l’impression générale de l’organisation a donné lieu à des critiques, notamment au niveau de l’accueil du public, mais sur un plan sportif, c’est une réussite tant les conditions techniques étaient idéales et les champions consacrés reflètent bien la hiérarchie sportive actuelle. J’aime ce format des JEM, car il offre une occasion unique tous les quatre ans de renforcer l’unité de la grande famille des sports équestres. Le regroupement de huit disciplines en un même lieu aux mêmes dates donne un formidable coup de projecteur sur l’équitation qui souffre d’un manque d’exposition auprès du grand public.
GPR. : Que faut-il revoir dans l’organisation de cette compétition ?
P.D. : Le gigantisme de l’évènement risque de rendre difficile la maîtrise budgétaire. D’ailleurs à ce jour, presque toutes les éditions ont connu un dérapage financier. Cela peut dissuader les nouvelles candidatures qui ne sont d’ailleurs pas légion. Dans son rôle, la FEI doit veiller à établir un cahier des charges qui n’augmente pas les contraintes et elle doit être plus flexible en laissant une certaine marge de manœuvre aux comités d’organisation. Elle ne doit pas être là pour compliquer la tâche de ceux qui prennent le risque de l’organisation, mais se montrer un partenaire utile.
« Je n’imposerai pas mes vues »
GPR. : La finale à quatre sera-t-elle encore pertinente en 2018 ?
P.D. : Tout le monde connaît depuis longtemps mes réticences sur le bienfondé de la finale à quatre de l’épreuve individuelle de jumping. J’ai longuement, et à plusieurs reprises, présenté mes arguments. Je constate qu’après avoir été isolées pendant de longues années, mes remarques entrent en résonance avec bon nombre de cavaliers, y compris parmi les meilleurs, et leurs propriétaires. Ils s’interrogent de plus en plus ouvertement sur la nécessité de maintenir la formule en l’état. Les esprits semblent prêts à engager une réflexion à ce sujet. La FEI ne doit pas être autiste sur ce sujet comme sur bien d’autres. Le format des compétitions ou des championnats doit pouvoir évoluer pour épouser un monde qui se transforme, faute d’avoir été dans l’anticipation. Mais, je n’imposerai pas mes vues. Par contre, je participerai au débat avec l’espoir de convaincre, mais dans le cas contraire, je saurai me ranger à l’avis majoritaire.
GPR. : Quel rôle doit jouer la FEI face à l’explosion du nombre d’événements et de circuits en tout genre, spécialement en saut d’obstacles ? Encourager sans limite ou arbitrer pour mieux sanctuariser les grands championnats ?
P.D. : Cette question se pose surtout pour le saut d’obstacles. Cette discipline évolue à vitesse grand V, avec l’émergence de circuits richement dotés à l’initiative d’organisateurs professionnels imaginatifs et audacieux. C’est une bonne chose pour l’attractivité et la visibilité du sport. Attention toutefois à des modèles économiques qui sollicitent beaucoup la participation financière des cavaliers et de leurs propriétaires, au point de devenir des concours « entre-soi », comme au début du siècle dernier. Très stéréotypés, ils peuvent aussi finir par lasser le public et les médias. La vigilance commande que la performance sportive reste le principal ascenseur d’accès aux différents niveaux de compétitions. Plus important encore, les compétitions de sélections nationales doivent être mieux protégées et valorisées. La FEI doit jouer pleinement son rôle d’arbitre pour toujours faire prévaloir le sport sur le spectacle et pour garder la main sur les grands évènements, sans s’interdire d’en créer elle-même.
« Un dispositif de sanctions existe, il doit être appliqué »
GPR. : Quel regard portez-vous sur l’endurance et ses problèmes endémiques de dopage et de maltraitance, essentiellement le fait de cavaliers issus du puissant et riche Moyen Orient ? La FEI ne peut-elle pas faire plus pour mieux lutter face à ces tricheries et actes de violence ?
P.D. : J’ai vu éclore l’endurance dans les années 90 quand j’étais président de la FFE et que la France dominait cette discipline. Je me souviens aussi des prophéties du regretté Pierre Cazes, un entraîneur national à l’éthique irréprochable. Il avait déjà décrit les risques qui menaçaient cette discipline nouvelle. La FEI a autorité sur les règlements sportifs, c’est même sa raison d’être. Elle met en place une politique contre le dopage. Elle doit être intraitable avec ceux qui mettent leurs chevaux en danger et qui bafouent les règles. Un dispositif de sanctions existe, il doit être appliqué. Au besoin, il doit être renforcé et pourquoi pas étendu à d’autres personnes de l’entourage du cavalier, seul à ce jour à devoir engager sa responsabilité. Avec des athlètes chevaux, qui n’ont pas choisi leur projet sportif, qui ne peuvent ni parler, ni se défendre, il est d’une absolue nécessité d’adapter les moyens de la lutte face aux nouveaux défis, en endurance comme ailleurs. Cela impose des devoirs et des obligations strictes.
GPR. : Même si la Princesse Haya a su attirer de gros sponsors, plusieurs disciplines souffrent encore du manque de moyens pour se développer. HSBC, qui a cessé de soutenir le circuit FEI Classics en concours complet, n’a pas été remplacé depuis. Vous estimez-vous apte à attirer de nouveaux partenaires ?
P.D. : Tout système qui repose sur l’apport financier d’une seule personne est fragile et périssable. Que se passe-t-il quand la personne s’en va ? Avec la Princesse Haya, le budget de la FEI a fait un énorme bond en avant. Elle a initié de nouvelles missions, dont le FEI Solidarity, de plus en plus gourmand en moyens financiers et humains. Il va falloir sortir de ce système pour favoriser un modèle économique durable. Partout où je suis passé, j’ai apporté une valeur ajoutée en trouvant des gisements de ressources nouvelles et pérennes. Je citerai en exemple l’outil informatique de gestion des engagements à la FFE et la politique d’offres commerciales de l’INSEP. La FEI a des atouts inexploités. Par un changement de culture, elle doit proposer des services appréciés des usagers qui puissent être valorisés financièrement et elle doit déployer une stratégie de communication et de marketing autour de la marque FEI. Pourquoi laisserait-elle faire à d’autres ce qu’elle peut faire elle-même ? Il faut sortir d’une Fédération dont la principale vocation serait règlementaire. Les grandes fédérations ont franchi ce pas depuis longtemps.
GPR. : Il reste un peu plus de deux mois avant l’élection. Par quels moyens allez-vous faire campagne ?
P.D. : C’est un laps de temps très court. Les autres candidats se sont aussi déclarés à la date limite du 1er septembre, à l’exception du suisse Pierre Génécand. Je vais privilégier les contacts directs avec les votants grâce aux moyens actuels de communication (entretiens par Skype, série de vidéos enregistrées en anglais et en français, plaquette de mon programme), les rencontres avec des personnes influentes et certains déplacements ciblés. Je compte aussi sur de bons relais un peu partout dans le monde. Il s’agit d’une élection particulière qui se joue entre cent trente-quatre fédérations nationales, dont beaucoup donneront des procurations.
« Je suis un candidat de conviction »
GPR. : La FFE vous a apporté son soutien officiel. Quels moyens a-t-elle mis à votre disposition ?
P.D. : Le président Serge Lecomte a spontanément soutenu officiellement ma candidature. Au-delà de sa confiance, cela se traduit concrètement par une mise à disposition de moyens humains et financiers. En étant candidat, je sers aussi la France qui reste le premier contributeur financier de la FEI.
GPR. : Ingmar de Vos, pour bien des raisons, à commencer par son actuelle position de secrétaire général, semble tenir la corde dans cette élection. Vous estimez-vous capable de l’emporter ou votre candidature a-t-elle simplement pour but de porter le message de la France ?
P.D. : Il part avec un avantage certain, mais une élection n’est jamais gagnée d’avance et peut réserver des surprises. Parfois, les circonstances changent, comme les avis. Cette campagne permet de participer à un débat d’idées. C’est même la première fois qu’autant de candidats se confrontent, ce qui est une bonne chose. Par le passé, l’élection s’est faite bien souvent par acclamation d’un seul prétendant. Le match a commencé et j’irai jusqu’au bout. Je suis un candidat de conviction.
Propos recueillis par Sébastien Roullier