DANS LE RÉTRO : Madeleine Winter-Schulze, matriarche de la famille allemande
“Madeleine est ce qui m’est arrivé de mieux. Si quelqu’un mérite l’or, c’est bien elle.“ Dans la bouche de la championne allemande de dressage Isabell Werth, ces paroles valent au moins autant que la couleur du métal des médailles qu'elle a ramené à sa propriétaire. Et bien d’autres cavaliers, toute discipline confondue, de considérer Madeleine Winter-Schulze avec la même estime et la même reconnaissance. Ludger Beerbaum met par exemple depuis seize ans déjà ses pieds dans les étriers des chevaux de la Berlinoise. Pour les services qu’elle a rendus au sport outre-Rhin, la grande mécène du sport équestre en Allemagne est décorée, en 2004, de l’ordre du mérite de la RFA.
Madeleine Winter-Schulze, soixante-neuf ans, se retrouve pour la première fois en selle à l’âge de neuf ans. Elle deviendra une cavalière accomplie… et performante! En 1959, à dix-huit ans, elle est championne d’Allemagne de dressage, en 1969 et 1975 championne d’Allemagne de saut d’obstacles. Avec plus de cinq cents victoires, elle fait partie des plus grandes cavalières de son pays. Cette vie vouée aux chevaux, elle la doit à son père. Edouard Winter (décédé en 1959), homme d’affaires berlinois, avait gagné des millions grâce à l’automobile et a laissé une fortune considérable à ses filles Madeleine et Marion Jauss. Cette dernière est d’ailleurs propriétaire de nombreux chevaux de Christian Ahlmann. Son mari, Dietrich Schulze, décédé en 2008, également cavalier, termine sa carrière sportive en saut d’obstacles en 1994. Trois ans plus tard, Madeleine Winter-Schulze s’arrête également. Mais la grande dame n’a jamais réellement quitté les terrains. Presque tous les week-ends, on voit sa silhouette dans les stades de compétition aux côtés de “ses“ cavaliers. Rencontre avec une femme hors du commun qui s’est fixé comme objectif de mener les sports équestres allemands vers le top niveau et surtout, qu’ils y restent.
Vous êtes une femme de cheval complète. En tout, combien de chevaux possédez-vous (entretien réalisé en novembre 2011, ndlr) ?
C’est difficile à dire. J’essaie toujours de faire le point correctement, en vain! Je crois en posséder environ soixante-dix. De tous les âges, du poulain au vétéran. Chez moi, je possède également un petit élevage. Mon mari, qui est mort en 2008, l’avait beaucoup agrandi. Comme je ne connais pas trop ce domaine, j’ai commencé à le réduire. Mais naturellement, les poulains, de un, deux et trois ans sont toujours là. Auxquels il faut ajouter des chevaux déjà formés pour mes deux cavaliers à la maison : cinq chevaux de dressage et cinq de saut d’obstacles. Des chevaux de dressage, j’en monte aussi un de temps en temps. Il y a actuellement environ quatorze chevaux de compétition chez Ludger (Beerbaum, cavalier allemand de saut d'obstacles pour laquelle elle est mécène, ndlr) et environ la même quantité chez Isabell (Werth, cavalière allemande de dressage également sponsorisée par l'intéressée, ndlr). De plus, j’ai avec Ludger la société B&S avec un bon nombre de chevaux.
Avez-vous un cheval que vous préférez personnellement ?
Oui, c’est Cherie, qui a été championne du monde de dressage des six ans en 2001. Je l’avais achetée pour Karin Rehbein, mais sa santé s'est révélée très fragile et nous l’avons gardée chez nous. Elle ne concoure plus en Grand Prix, mais notre cavalier la sort toujours en concours. Et de temps en temps, je la monte un peu aussi!
Vous ne venez pas d’une famille de chevaux. Vous êtes même une fille de la ville !
Je suis originaire de Berlin. Ce qui est encore pire! (Rires, ndlr) Je vis à Wedemark (près de Hanovre, ndlr). C’est l’ancienne propriété de Hartwig Steenken, avec qui nous étions de grands amis mais il a eu un accident mortel... À cette époque, les voyages vers Berlin étaient très difficiles à cause de la situation politique. Par conséquent, nous avons décidé d’acheter la ferme après le décès de notre ami.
La ville ne vous a jamais manqué ?
Non, parce que je peux toujours y aller. Pour moi, Berlin est la plus belle ville à visiter. L’entreprise de mon père était à Berlin. Les usines automobiles ont été revendues à différents fabricants. Nous possédons toujours une société immobilière avec tous les terrains sur lesquels elles se trouvaient. Mais mes rapports avec Berlin et mes amis là-bas existent bel et bien encore.
Vous vivez le monde équestre dans toutes ses variations. Une seule passion dans une vie, est-ce cependant possible ?
Bien sûr! Je ne me suis jamais sentie à l’étroit dans ma passion pour les chevaux. Parce que c’est très varié et que tout ce qui entoure les chevaux compte également beaucoup pour moi: Isabell, sa famille, leur ferme. Quand je vais voir mes chevaux chez elle et que je me retrouve dans sa famille, c’est pour moi comme une journée de vacances. Et c’est la même chose à 100% quand je vais chez Ludger. Pour moi, ils font partie de ma famille. Avec puis, vu la charge de travail que nous avons, nos journées sont bien remplies.
Vous n’avez pas eu d’enfants. Les chevaux ont-ils comblé un manque ?
Les chevaux représentent la plus belle chose que j’ai dans ma vie. Surtout depuis la mort de mon mari. La devise de mon père était: “Ce que nous donnons finit toujours par retomber dans notre propre cœur.“ Et j’ai appris dans ma vie qu’il en en était effectivement ainsi. Beaucoup d’autres rêveraient peut-être de mener la vie que j’ai eue, au milieu des chevaux, mais ne le peuvent pas. Grâce à certaines circonstances, j’en ai eu la possibilité et j’ai une belle vie. Je me suis alors imposée d’équiper mes cavaliers avec les chevaux nécessaires pour qu’ils restent au haut niveau aussi longtemps qu’ils le souhaiteront.
Comment ces relations se sont-elles tissées ?
Ludger s’est joint à nous par l’intermédiaire de l’ex-entraîneur national Herbert Meyer. Quand mon mari a arrêté le saut d’obstacles, Herbert pensait que ses chevaux seraient mieux chez Ludger que dans le pré. Et comme nous avons sympathisé dès le début, l’affaire a été conclue. Quant à Isabell, nous nous connaissons de l’époque des championnats où j’étais chef d’équipe et elle participante. Nous étions déjà amies. Et quand le Dr Schulten-Baumer m’a demandé si je voulais lui prendre quelques chevaux pour Isabell, j’ai rapidement accepté. Puis, ils ont arrêté leur collaboration, Isabell a monté son écurie sur la ferme familiale et nous nous sommes soudées encore plus elle et moi.
Sam, qui est devenu champion du monde avec Michael Jung à Lexington, est actuellement en vente. Ne seriez-vous pas tentée de le racheter et faire une opération de sauvetage afin de laisser ce couple évoluer ensemble ?
Jusqu’au moment où le père de Michael m’a abordée au sujet de Sam, je ne connaissais pas personnellement la famille Jung. J’ai accepté d’investir un certain montant, mais le prix demandé pour Sam a doublé et s’élèverait désormais à deux millions d'euros... Pour une telle somme, je ne suis pas.
Que présagez-vous pour Ludger Beerbaum et ses cavaliers, Marco Kutscher et Philipp Weishaupt, qui montent tous des chevaux qui vous appartiennent ?
À mon avis, Ludger, comme Isabell Werth, dispose de très bons chevaux. Mais comme les cavaliers d’obstacles sortent plus souvent en compétition que les cavaliers de dressage, nous sommes toujours à la recherche de bons jeunes chevaux, âgés de sept à neuf ans. Car il s’agit de satisfaire beaucoup de besoins, entre les Coupes des nations, le Global ChampionsTour, le Riders Tour, et bien d’autres circuits de haut niveau.
Donc Ludger Beerbaum devrait performer dans les mois à venir ?
Ludger est à l'abri. Il sait que s’il a besoin d’un autre bon cheval et qu’il le trouve, il l’aura.
Si ce cheval est un étalon, il pourrait être un moyen de récolter de l'argent grâce à la station de monte que gère Ludger, non ?
Vous savez, ce sont des activités accessoires pour nous. L’élevage est secondaire pour nous. À propos du commerce, je ne vends pas de chevaux personnellement. Les chevaux qui sont montés par Ludger ou Isabell ne seront vendus que s’ils ne répondent pas ou plus à nos attentes. Notre système est fantastique, et d’une sûreté fantastique!
Cet entretien est paru dans le magazine GRANDPRIX International n°61 en décembre 2010.