Luca Maria Moneta, un ovni dopé à l'éthologie
Habitué des CSI 5*, membre de l’équipe italienne aux championnats d’Europe de 2013 et aux Jeux équestres mondiaux de 2014, Luca Maria Moneta, cinquante et un ans, est à la fois un cavalier accompli et une figure singulière du saut d’obstacles international. Incarnation transalpine du horsemanship pratiqué par les chuchoteurs américains, l’invité d’honneur des dernières Rencontres de la Cense essaime sa philosophie depuis vingt ans.
Qu’ils bouclent un parcours avec douze points, quatre ou sans la moindre faute, les chevaux de Luca Maria Moneta sont toujours récompensés d’une petite carotte. Cette habitude, à l’origine de son surnom de “The Carrot Man“, son style très atypique et ses montures déferrées des postérieurs intriguent dans le monde très normé du saut d’obstacles de haut niveau. À l’origine de ces singularités, une photo que l’Italien découvre dans un article en 1999, montrant un cavalier britannique en train de sauter par-dessus un bidon d’1,20 m sans selle ni filet. “J’étais impressionné et je voulais apprendre à en faire autant“, se souvient-il. Cet épisode, véritable déclic, entraîne le cavalier sur le chemin de l’éthologie. Dans cette approche, il n’est question ni de soumission, ni de domination physique, mais de compréhension des émotions et du mental des équidés. Initié par des dresseurs de l’univers du spectacle, des jockeys, des cavaliers de reining ou encore de saut d’obstacles, le Transalpin embrasse cette philosophie jusqu’alors méconnue. En 2003, Luca Moneta décide de traverser l’Atlantique pour passer trois mois chez Pat Parelli. Fondateur de la méthode éponyme et ancien collaborateur du haras de la Cense, premier centre de diffusion de l’éthologie en France, le Californien est l’un des plus grands chuchoteurs au monde. Rappelant que le cheval est une proie à l’état naturel, Pat Parelli ne cherche pas à modifier cet instinct, mais à faire évoluer le rôle de l’homme. De prédateur, il doit devenir leader d’un troupeau dans lequel l’animal peut avoir pleinement confiance. “Cette rencontre a changé ma vie. Au fil des ans, l’équitation était devenue un simple métier. Lorsque je me levais le matin, je me préparais à une journée de travail comme une autre. Mon rêve de vivre avec les chevaux s’était estompé. Grâce à l’éthologie, j’ai retrouvé cette flamme, cette passion qui m’animait quand j’avais treize ans.“
À cet âge, le jeune Lombard né à Milan découvre les sports équestres grâce à l’un de ses frères, Pietro Maria Moneta, de quatorze ans son aîné, membre de l’équipe médaillée d’argent aux championnats d’Europe d’endurance de Bruxelles en 2017. À l’aube de son adolescence, il rêve de vivre auprès des équidés. “Je suis tombé amoureux de ces animaux. Leur consacrer toute mon énergie était une évidence.“ Malgré les fortes réticences de ses parents, étrangers au monde équestre, il devient moniteur dès l’âge de vingt ans. En dépit des revenus très limités qu’il génère, ce métier lui permet de vivre de sa passion… mais pas de s’épanouir pleinement, d’où cette remise en question au tournant du XXIe siècle.
Les belles aventures de Connery et Neptune Brécourt
“L’éthologie m’a permis de retrouver cette fougue, cet amour de l’animal“, reprend-il. “Auparavant, lorsqu’un cheval ne voulait pas faire quelque chose, je m’aidais d’accessoires. Par exemple, s’il refusait de baisser la tête, j’employais une paire de rênes allemandes ou une martingale. Aujourd’hui, j’essaie de comprendre pourquoi il veut monter la tête. Si cela résulte d’un stress, par exemple, alors je vais travailler à renforcer notre confiance mutuelle“, s’enthousiasme le Transalpin. Jeux, travail en liberté et exercices de complicité articulent ainsi le quotidien des chevaux de Luca Moneta. Dans ses écuries d’Uggiate-Trevano, entre Varèse et Côme et à moins de dix kilomètres de la frontière suisse, ils paissent en groupes dans des paddocks verdoyants, jour et nuit d’avril à octobre. Si sa pratique de l’éthologie interroge - encore aujourd’hui - certains acteurs du haut niveau, qui demeurent sceptiques devant cette approche, elle lui permet de se faire connaître. D’autres le considèrent même comme un dernier recours pour ces chevaux difficiles, dangereux et souvent traumatisés que l’on regroupe sous l’injuste appellation de “repris de justice“. C’est notamment le cas de Connery (Westph, Cordobes II x Polydor), l’un de ses plus fidèles compagnons, finaliste de la Coupe du monde en 2015 à Las Vegas et classé dans de nombreux Grands Prix et Coupes des nations. Avec chaque nouvel arrivant, le cavalier assure prendre tout le temps nécessaire pour comprendre le sujet. “D’abord je le laisse un peu seul, et je regarde comment il se comporte au box ou au paddock s’il a l’habitude d’y aller. Ensuite, j’essaie de le faire bouger en liberté jusqu’à ce qu’il soit complètement relâché. Une fois qu’il est en confiance, je demande à quelqu’un de monter dessus mais en le laissant libre de faire ce qu’il veut. Ensuite vient mon tour : j’effectue un nouveau débourrage, je reprends tout. Je lui demande ce qu’il pense de la rêne droite, de la jambe gauche, d’aller en avant, de revenir, etc. Je lui montre un maximum de choses, en le récompensant avec de nombreuses friandises, jusqu’à ce qu’être avec moi l’amuse.“
Deux autres fidèles compagnons, Neptune Brécourt (SF, Cumano x Kayack) et Jésus de la Commune (SF, Diamant de Semilly x Rocky du Carel), ont bénéficié de ce protocole à la suite d’un stage effectué auprès de l’Italien par leur ancien cavalier, Nicolas Baysset. “Je n’ai jamais choisi mes chevaux, je n’en ai pas les moyens. En général, ils me sont confiés parce qu’ils sont particulièrement délicats“, admet-il. Si Jésus s’illustre essentiellement dans les épreuves de vitesse, Chasses et autres Derbies, le singulier Neptune ouvre à Luca les portes du très haut niveau, avec à la clé près de trente victoires internationales, une pléthore de classements en Grands Prix, Coupes des nations, Puissances et Derbies, et surtout une dixième place aux championnats d’Europe de Herning, en 2013, et une nouvelle sélection aux Jeux équestres mondiaux de Normandie en 2014.
Avant de parvenir à de tels résultats, une autre rencontre a été déterminante pour Luca Moneta, celle de Michel Robert il y a une dizaine d’années. “Nous avons beaucoup collaboré. Luca avait besoin de recadrer sa façon de travailler et souhaitait reprendre ses bases techniques sur le plat et à l’obstacle“, se souvient le maître rhônalpin. Progressivement, Michel et son épouse Dominique Robert sont devenus comme une deuxième famille pour le Lombard. “À mon sens, il est l’un des seuls cavaliers au monde à pouvoir récupérer et reconstruire un cheval extrêmement difficile ou traumatisé par un autre cavalier pour l’amener au plus haut niveau. Je n’en connais pas d’autres capables de cela. Luca a de grandes valeurs humaines. Il respecte infiniment les hommes et les chevaux. Et il a un coeur énorme“, salue le multi-médaillé.
Un savoir à transmettre
Ses aptitudes n’ont pas non plus échappé à un autre Rhônalpin, Julien Gonin, qui n’a pas hésité à confier plusieurs montures à celui qu’il considère comme un ami. “J’aime son approche de l’éthologie et de la liberté. Mes chevaux étaient très différents avec lui. Son équitation n’est pas classique et donne parfois une impression d’inconfort pour ses montures, mais pour avoir passé du temps avec lui, je sais qu’elles évoluent dans une bulle, un réel bien-être“, témoigne l’ancien élève et protégé de Michel Robert. Quova de Vains (SF, Robin II x Narcos II) figure parmi ses sujets ayant traversé les Alpes avec succès. La jument a notamment permis à l’Italien de remporter les Puissances du CSI 5*-W de Londres en 2013, puis du CSIO 5* de Lummen en 2015. Même si ces épreuves sont parfois critiquées pour leur rudesse physique, ce qui n’est d’ailleurs pas prouvé sur le plan vétérinaire, Luca Moneta se plie à l’exercice pour des raisons très pragmatiques. “Si l’on ne figure pas parmi les meilleurs au classement mondial, il est très compliqué d’obtenir des invitations pour les plus beaux concours. Dès lors, s’engager à disputer ces épreuves peut ouvrir quelques portes. Et de façon générale, si les cavaliers refusent de se donner un minimum en spectacle, le public ne se déplacera plus, et sans spectateurs, les concours n’existeront plus.“
Plus que jamais amoureux des chevaux, celui qui rêvait autrefois de médailles olympiques s’attache désormais à propager la notion de horsemanship également chère à l’Américain George Morris, qui fut également son maître. L’Italien multiplie les stages et rencontres, desquels ils cherchent toujours à tirer un enseignement. Sa philosophie, il la résume à travers les mots d’un homme, Walter Zettl, décédé en 2018. Le regretté cavalier allemand de dressage, entraîneur de l’équipe canadienne et collaborateur de Pat Parelli lui avait confié cette formule devenue son mantra : “Si un cheval ne veut pas faire quelque chose, il y a seulement trois raisons possibles : soit il ne comprend pas, soit il est stressé, soit il a mal.“ Au-delà de sa pratique et de ses résultats, l’éthologie a également permis au quinquagénaire de trouver un équilibre personnel. “J’ai beaucoup travaillé sur mes émotions, je me suis recentré. On ne peut ni juger ni critiquer un animal, il faut abandonner cet état d’esprit. J’ai fini par comprendre que tout était connecté : les humains, les chevaux et tous les êtres vivants. Cela m’a profondément changé. Les chevaux soignent. Ce sont même les meilleurs moniteurs“, conclut-il. Jusqu’à pouvoir comprendre précisément et instantanément ce qu’ils expriment, les cavaliers auront besoin de passeurs comme lui.
Cet article est paru dans le magazine GRANDPRIX n°109.