"Bien que nous convenions que la maréchalerie est essentielle, nous sommes également conscients de nos responsabilités en tant qu’individus", Denis Leveillard, maréchal-ferrant
Il est énormément question en ce moment de la préservation du bien-être des chevaux dans un cadre où les déplacements sont fortement limités, si ce n’est interdits pour certains. Ce bien-être passe, entre autres, par des pieds en bonne santé et donc par le - relatif - maintien en fonction des maréchaux-ferrants. Entre leurs responsabilités en tant qu’individus et l’exercice nécessaire de leur métier, comment ceux-ci gèrent leur quotidien ? GRANDPRIX a donné la parole à deux d’entre eux, Grégory Chartier et Denis Leveillard.
Évoluant en Loire-Atlantique, non loin de Nantes, Grégory Chartier et son équipe, composée d’un associé et d’un apprenti, ont une charge actuelle de travail diminuée de 50 %, tout comme l’ensemble de la profession à l’échelle nationale. "À l’annonce du confinement et de la fermeture de toutes les structures équestres, il a été recommandé à l’ensemble de la profession de cesser de travailler pendant quinze jours. J’ai durant ce temps seulement répondu à l’appel de quelques urgences extrêmes, trois au total, un poulain qui avait les pieds vraiment tordus et des crises de fourbure. Puis, lorsque le confinement a été prolongé, nous avons repris le travail, mais en l’adaptant à la situation. Nous avons déferré en deux jours environ quatre-vingts chevaux de club qui ont été mis au pré. Puis, la saison des jeunes chevaux étant de plus en plus compromise, les quatre ans, suivis des cinq ans, pour la majorité d’entre eux, ont peu à peu pris le même chemin. Ce qui entraîne bien évidemment un réel manque à gagner. Il reste le suivi des ferrures des chevaux de professionnels et de propriétaires qui restent au travail et, dans une moindre mesure, celui du parage des chevaux vivant pieds nus au pré. Mes deux collaborateurs travaillent désormais trois jours par semaine, au lieu de cinq habituellement, et moi, quatre jours", raconte Grégory Chartier, maréchal-ferrant.
"La confiance de nos clients est primordiale", Grégory Chartier
Pour rester en bonne santé, un cheval a absolument besoin d’avoir des pieds sains. En temps normal, les chevaux sont ferrés toutes les cinq à six semaines. "Une durée qui peut tout à fait être prolongée d’une, voire de deux semaines, sans danger pour le cheval", précise Grégory Chartier. Il ajoute : "La confiance de nos clients est primordiale. On connaît chaque cheval, la façon dont sa corne pousse, ses éventuelles pathologies. Si c’est nécessaire, on vient. À l’inverse, si on dit qu’il n’y a pas urgence, que ça peut attendre, ils doivent nous croire. Nous avons bien conscience de leur besoin d’être rassurés, de l’inquiétude qu’ils nourrissent à l’égard de leurs chevaux, mais nous connaissons notre travail et ne ferons rien qui puisse entraîner la moindre souffrance de ces derniers. La période est inédite, et il s’agit en ce moment d’agir à l’équilibre entre les risques humains que l'on prend et les obligations que l’on doit remplir pour garantir le bien-être des chevaux." Denis Leveillard abonde dans ce sens : "C’est ce que les vétérinaires appellent la ‘balance bénéfice-risque’. Se déplacer en ce moment présente de vrais risques de propagation du virus. Il faut donc le faire en connaissances de cause, avec du bon sens et de la prudence. Le bien-être animal, oui, mais pas au prix de la santé de nos concitoyens ! Il faut donc à chaque fois se demander si le bénéfice apporté par l’action de soin vaut le risque pris. J’ai envoyé une note à ce sujet à l’IFCE, inspirée du texte publié par l’association des maréchaux britanniques, classant les situations en trois catégories - verte pour les moins urgentes (quand le cycle de soin peut être retardé), orange quand l’alerte est donnée mais qu’elles peuvent encore être retardées, et rouge quand l’urgence est réelle (accident, orthopédie, abcès, crise de fourbure) -, et demandant aux maréchaux de considérer chaque rendez-vous selon ce système."
"Le bien-être animal, oui, mais pas au prix de la santé de nos concitoyens !", Denis Leveillard
Le risque zéro n’existe pas, toutefois il est possible, en agissant avec civisme, rigueur et bon sens, d’éviter au maximum la propagation du virus par contamination. Grégory Chartier développe : "Je tiens à bien faire mon travail, mais j’ai une famille confinée à la maison, que je ne veux pas mettre en danger. Alors je fais tout pour ne pas ramener le virus avec moi ! Pour ce faire, je respecte scrupuleusement les gestes barrière et ne me rends que dans les écuries qui les respectent également. On ne sert pas les mains, on reste à au moins 1,50 m de chaque individu, on désinfecte tout ce qu’on touche au pulvérisateur, on va nous-mêmes chercher les chevaux, on apporte nos propres licols… Aussi, on compte sur nos clients pour nous alerter si quelqu’un chez eux se sent un peu patraque, et au moindre doute, on annule notre venue." Dans son document, Denis énumère précisément ces gestes : "Appeler à l'avance pour vérifier que personne dans l'établissement n'est malade ou n'a été en contact avec une personne malade ; pas plus d'un propriétaire ou soignant ne devrait assister aux rendez-vous et attacher le cheval, puis s'éloigner immédiatement à une distance de sécurité pour vous permettre de travailler ; se laver les mains entre chaque cheval ; désinfecter chaque soir tous les outils qui ont été touchés à l'eau de javel, ainsi que son tablier et les semelles de ses chaussures ; laver à 60° minimum l'ensemble des vêtements de la journée ; éviter d'intervenir dans plusieurs endroits dans la journée ; porter masque et gants à usage unique et respecter les gestes barrière recommandés par les autorités sanitaires. Le tout, évidement, en suivant les directives règlementaires officielles."